Alger - 08- La guerre de libération



’’ AFIN QUE NUL N’OUBLIE ‘’

Par Djillali Hadjebi *

‘’ Les impérialistes ont toujours été de mauvais écoliers. Ils oublient vite leurs leçons…’’ Général V.N. GIAP
En janvier 1961, après plus de six années d’une lutte héroïque contre l’une des plus puissantes armées coloniales du moment, la guerre d’Algérie semble toucher à sa fin. Reconnu par les plus grandes instances internationales le Front de Libération Nationale s’impose comme seul et unique représentant de tout le peuple algérien. Divisé, acculé, épuisé par une guerre qui ne lui a coûté que trop, Paris prend des contacts, engage secrètement des pourparlers, cherche par tous les moyens à trouver une solution au problème algérien. Le F.L.N négocie mais demeure intransigeant sur l’essentiel. D’importantes décisions paraissent imminentes... Devinant l’issue inéluctable de la guerre, oubliant les bonnes leçons du passé, l’Armée s’empare dès le mois d’Avril du pouvoir ; un ‘Non’ catégorique à De Gaulle et à toute idée d’abandon de l’Algérie. Les colons et les ultras, entraînant derrière eux tous les pieds-noirs, le petit peuple, sont au comble de l’hystérie. Les ‘héros’ de Diên Biên Phu leur promettent plus qu’ils n’en demandent… Après le discours du Général, l’hésitation de quelques officiers encore ‘loyaux’ et la prise de conscience des soldats du contingent, l’Armée regagne discrètement ses cantonnements. En fuite, ses chefs, un ‘quarteron’ de généraux putschistes, maintiennent le contact avec les conjurés, s’organisent. Des dépôts d’armes, de munitions et d’explosifs, disparaissent comme par enchantement des casernes, des commissariats et autres S.A.S. Les désertions atteignent des chiffres effarants… Trompés, déçus après tant d’espoir, la rage au cœur et la mitraillette flambant neuve à la main, les ultras, les colons et les pieds-noirs ralliés à leur cause, reprennent à leur compte l’insurrection. Chacun veut mener sa petite guerre. C’est à celui qui fera le plus de bruit… Le 2O Mai la presse fait état de l’ouverture de la première conférence d’Evian entre la France et le Front de Libération Nationale. On parle pour la première fois d’autodétermination… Telle une bête blessée à mort et sortant dans un dernier spasme toutes ses griffes, les partisans de l’Algérie française, par la terreur et l’assassinat, par le meurtre et le chantage, tentent de s’opposer au règlement du problème. Avec une haine et une bestialité jamais égalées, ils s’acharnent aveuglément sur une population sans défense. Le plastic fait des ravages. Les dégâts sont considérables. Chaque jour, les victimes se dénombrent par centaines. Abandonnant leurs biens, des familles entières fuient les quartiers européens. Dès les premiers jours une inscription apparait sur les murs de la capitale et des grandes villes du pays : ‘ O.A.S ’. Répétées partout, accompagnant chaque crime, chaque assassinat, chaque destruction, ces trois lettres, sigle de l’Organisation de l’Armée Secrète, finissent par faire trembler les européens eux-mêmes. Des officiels sont enlevés, séquestrés, assassinés. Jamais la faiblesse de l’Etat n’a été autant ressentie. A tous les échelons hiérarchiques des autorités, les complicités, voire la présence de cet ‘ordre noir’, sont indéniables. Malgré la forte présence des forces de l’ordre et malgré le couvre-feu, l’O.A.S mène à bien toutes ses actions, agit à visage découvert de jour comme de nuit. Toutes les fermes de la Mitidja servent de centres d’entraînement, de caches, de points de ralliements et de bases de départs des expéditions contre des quartiers, des villages et des hameaux ‘livrés’ pieds et poings liés à la bête immonde. Erigés en brigades et en commandos, bien entraînés et bien encadrés par de jeunes officiers spécialistes de la guerre subversive, les ‘ultras’ et leurs acolytes se surpassent dans le crime et l’horreur. Même les enfants ne sont pas épargnés. Les malades sont achevés sur leur lit d’hôpital. Si l’O.A.S ne constitue à ce moment-là que la 47° organisation clandestine française, son équipement, son entraînement et son encadrement, firent d’elle l’une des plus organisées et des plus meurtrières jamais mises sur pieds. Ses actions s’étendent jusqu’en métropole. C’est dire tout le degré de nuisance auquel est parvenue cette organisation criminelle en cette fin d’année où sa politique de la terre brûlée prend le pas sur toutes autres approches qui n’épousent pas sa haine partisane. Les villes d’Oran, de Constantine et de Bône entre autres, connaissent les mêmes évènements que ceux d‘Alger. De leur côté les services psychologiques de l’armée coloniale, en une ultime opération, tentent de créer une soi-disant’ troisième force’ avec qui dialoguer le moment venu. Devant les massacres perpétrés par l’O.A.S et afin d’éviter à tout prix un affrontement direct entre les deux communautés, le F.L.N renforce ses positions dans les villes. Les 1° et 5 Juillet des manifestations grandioses sont organisées sous l’égide du F.L.N au Clos-Salembier à Belcourt, à Blida et à Kouba, pour ne citer que celles-là, pour contrecarrer les actions menées par les services psychologiques de l’Armée. Ces manifestations démontrent une deuxième fois à l’opinion mondiale l’unité et le choix du peuple algérien…
La Cité Récazin, Baraki pour les autochtones, est une grande bourgade d’ouvriers agricoles ne dépassant pas les quatre milles âmes et à forte dominance musulmane. Situé à une quinzaine de kilomètres au Sud d’Alger et à équidistance entre El-Harrach à l’Est, Kouba au Nord et Sidi-Moussa à l’Ouest, Baraki est connu non seulement pour ses magnifiques vergers et ses prestigieux cépages, son succulent muscadet et ses délicieuses ‘golden’ et autres ‘duchesses’ expédiés par bateau entier en métropole, mais également pour avoir abrité à partir des années vingt une importante Base d’Aérostats et un Centre d’essais moteurs pour Dirigeables, transformés en Novembre 1942 lors du débarquement des forces alliées en Afrique du Nord en un gigantesque dépôt de carburant et d’équipements militaires. Dès le déclenchement de la lutte armée et l’appel du F.L.N, Baraki a vu, à l’instar de toutes les autres villes et villages du pays, les meilleurs de ses fils répondre à l’appel du devoir. Rendons à cette occasion un vibrant hommage à tous ces jeunes moudjahidines tombés au champ d’honneur pour que vive l’Algérie.
En ces temps à la fois d’espoir, mais aussi de peur et d’incertitudes pour les uns et les autres, le village est à l’écoute de l’évolution de la situation dans le pays. Appliquant les consignes des ‘frères’, tous les habitants du village se sont organisés en groupes d’auto-défense et assurent des gardes pour la nuit. Plus que deux heures et le premier tour sera terminé. Les hommes tirent nerveusement sur la cigarette cachée au creux de la main pour la protégée du vent et d’une pluie fine, pénétrante. De temps à autre, des gosses alertes ramènent du café chaud. Du côté du stade, venant de Kouba ou d’El-Harrach, tous feux éteints, plusieurs voitures roulent lentement en direction des ‘Sampéri’. A l’autre bout du village, côté ouest, venant sans doute de l’Arbaâ ou de Sidi Moussa, autant de voitures convergent vers les ‘Castello’. Réveillés par des appels discrets, tous les hommes sortent renforcer les équipes de garde. Dans toutes les maisons, tous les gourbis, les femmes retiennent leur souffle. Un silence de mort semble planer sur le village entier. Changeant d’objectif, le projecteur du Centre de Transmission situé entre la Cité Récazin et Saint Raphaël, fouille le bois longeant l’oued El-Harrach. Distrait, il s’oublie un peu et reste figé sur un terrain vague. Du côté de la gendarmerie et de la S.A.S, le black-out est total. Devant les casernes des bérets noirs et des gardes-mobiles, les sentinelles font les cents pas réglementaires. En silence, profitant de cette fausse accalmie, les hommes bloquent les croisements et les principaux carrefours à l’aide d‘obstacles de fortune. Armés de barres de fer, de haches, de fourches ou autres armes blanches, ils attendent de pieds fermes la horde d’assassins. Vers les coups de minuits, des cris stridents d’Allah ou Akbar, Allah ou Akbar, suivis par des rafales d’armes automatiques, déchirent la solitude et le silence de la nuit. La première alerte est donnée par le quartier Est, du côté des ‘Sampiré’. Au cri lancé par le groupe qui venait de s’accrocher avec les membres de l’O.A.S, succèdent très vite les youyous des femmes. D’abord lointains, les youyous se rapprochent et embrasent en un temps record tout Baraki. Un concert strident qui galvanise les hommes. Ca et là, au-delà des youyous et des ‘Allah ou Akbar’, des coups de feu sporadiques. Quartier Est, la nouvelle cité Diar El-Baraka et du côté des ‘Castello’, de nouveau des rafales d’armes automatiques, des cris et des lueurs de flammes. Plusieurs voitures abandonnées par leurs occupants brûlent. Ne s’attendant pas à un tel comité d’accueil, une telle résistance, les assaillants battent en retraite, fuient, frappent aux portes des pieds-noirs qui restent désespérément closes. Dans le noir les hommes les poursuivent à travers jardins et vergers. Durant tout le reste de la nuit, des cris, des tirs de mitraillettes et des coups de feu, des youyous et des ‘Allah ou Akbar’ seront entendus aux quatre coins du village sans qu’il y’ait une quelconque réaction de la part des militaires ou de la gendarmerie. Alors que quelques membres du commando O.A.S, à pieds, réussissent à regagner la villa Sampéri, du côté des Castello on s’engouffre à sept et huit dans les véhicules pour quitter le village, la route de l’Arbaâ n’étant qu’à cent pas. Juste avant l’aube le vent tombe, la pluie cesse. Des carcasses de voitures calcinées fument encore. Un silence impressionnant pèse sur le village. Après avoir installé des guetteurs aux points stratégiques, les hommes, épuisés, rentrent chez eux pour se reposer et soigner les blessés. La villa Sampéri où s’étaient refugiés quelques fuyards est toujours surveillée. Aux premières lueurs du jour, une jeep sort lentement de la caserne des bérets noirs. Au premier croisement et aux premiers cadavres qu’elle découvre, certainement pas ceux attendus, la patrouille donne l’alerte. Militaires, gendarmes et goumiers s’en mêlent. Il faut faire vite. Il ne reste que peu de temps avant la levée du couvre-feu. Les engueulades des gradés, les jurons, les mugissements des G.M.C et les bruits de pas des soldats, dureront toute l’heure qui suit. Au petit matin quand les gosses peuvent enfin sortir, tous les coins et recoins des quartiers sont fouillés. Des traces de sang, des douilles, quelques chargeurs vides de M.49, mais rien d’autre. Les quelques voitures abandonnées, intactes, sont saccagées. Méfiants, les pieds-noirs ouvrent les persiennes, scrutent les alentours. Rassurés ils ouvrent leur porte, font quelques pas dans leur jardin, puis dans la rue enfin. Une nouvelle journée, un dimanche, aussi ‘ordinaire’ que tous les autres, commence. Au stade il y’a foule ; des gosses surtout pour assister à la rencontre au programme : Les CRAC, Cité Récazin Athlétic Club, contre les DROS, les Diables Rouges de Oued- Smar. Les visiteurs sont déjà là. Des fusiliers de l’air les accompagnent. Les joueurs revêtent leurs maillots et rentrent au stade. Des vestiaires situés près de l’Auberge des trois chemins, les locaux, les violets et blancs, arrivent au pas de course. Ils sont tous là et entrent sur le terrain de jeu sous les applaudissements des jeunes supporters. L’arbitre regarde sa montre, alerte les joueurs puis donne le coup d’envoi. Un peu plus tard dans la matinée, les Sampéri et leurs acolytes préparent une sortie. Des deux côtés de la villa des groupes se forment. Leurs armes de fortune cachées sous les manteaux et les kachabias, des hommes les attendent de pieds fermes. Un membre du commando O.A.S ouvre une fenêtre et regarde. Aucune issue n’est possible. Un moment après il ouvre de nouveau la fenêtre et désespéré, il fait feu sur la foule. M…, est touché. Encore à la fleur de l’âge, il passera le restant de ses jours sur une chaise roulante avant de mourir des suites de ses blessures quelques années après l’indépendance. Alertés par les coups de feu, des jeeps et des G.M.C chargés de soldats arrivent à toute vitesse. Des militaires sautent des camions et prennent rapidement position. De la villa, on tire de nouveau sur la foule. Sans attendre les ordres, des soldats du contingent ripostent en ouvrant le feu au fusil-mitrailleur sur l’habitation faisant voler en éclats les fenêtres. Du premier étage, on agite une chemise blanche. Les militaires arrêtent le tir. Les rescapés du commando O.A.S sont sauvés...
‘’ Dans les jours qui suivirent, ‘Saout el Arab’, l’émission consacré à la révolution algérienne diffusée par la radio du Caire, commente l’évènement en révélant que grâce à la vigilance et au courage de ses habitants un horrible massacre planifié contre la population de Baraki a pu être évité, alors ue plusieurs activistes de l’organisation criminelle avaient perdu la vie... ’’
Quelques temps après en France, au village des Rousses dans le Jura, se tient du 12 au 19 Février 1962 une rencontre secrète regroupant des membres du G.P.R.A et du gouvernement français, qui sera déterminante dans le règlement du conflit et fera entrer les négociations entre le F.L.N et la France dans leur phase active. Toutes les grandes lignes de ce que seront les « Accords d’Evian » furent fixées au court de cette rencontre. Alors que les attentats et les crimes les plus atroces commis par l’O.A.S culmineront après la proclamation du cessez-le-feu fixé au Lundi 19 Mars 1962 à 12 heures sur tout le territoire algérien, son chef, le Général Salan, est arrêté le 20 Avril dans un appartement à la rue Desfontaines à Alger. Devant le déchaînement sans précédent des violences commises par l’O.A.S dans sa politique de « la terre brûlée », la plupart des pieds-noirs, les européens d’Algérie, choisiront l’exil. Un exode qui durera tout l’été dans un sauve-qui-peut et une panique incroyables, résultat du fameux slogan « La valise ou le cercueil » lancé comme une dernière et lourde menace par l’O.A.S.
Le 3 juillet 1962, après le référendum et l’adoption des accords consacrant l’accession de l’Algérie à l’indépendance à la quasi-unanimité, le gouvernement français reconnait officiellement l’Indépendance de l’Algérie et remet tous les pouvoirs à Abderrahmane Fares. Le G.P.R.A s’installe à Alger…
N o t e s /
- El Moudjahid n° 90 et 91 des 09 et 19 Mars 1962
- Y. COURRIERES, La Guerre d’Algérie, 4 vol. Fayard (1968.71)
- H. ALLEG, La Guerre d’Algérie, 3 vol. Temps Actuels
- P. EVENO et J. PLANCHAIS, La Guerre d’Algérie, Laphomic, 199O.

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* H. D est Romancier et Nouvelliste et auteur de plusieurs oeuvres littéraires.
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