Alger - Revue de Presse

62 ans après le cessez-le-feuQuestions mémorielles et enjeux politiques



62 ans après le cessez-le-feuQuestions mémorielles et enjeux politiques
Publié le 23.03.2024 dans le Quotidien le soi d’Algérie

Par Meriem Merdaci(*)

Soixante-deux ans après la signature des accords d’Évian et l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, que représente, aujourd’hui, cet évènement historique qui a scellé la fin de la colonisation française qui aura duré plus de cent-trente-deux années ?
Qu’en est-il du traitement des questions mémorielles des deux côtés de la Méditerranée ? Faudrait-il qu’il y ait toujours un levier politique pour avancer dans le chantier de la mémoire ?
Les martyrs et les moudjahidine du Hamas rappellent bien nos martyrs et nos moudjahidine. Qu’en est-il réellement et quel sera le devenir de nos frères et sœurs de Ghaza qui entament le mois sacré de Ramadhan dans les pires conditions sur tous les plans ?
Le 18 mars 1962, les accords d’Évian ont été signés entre le Gouvernement provisoire de la République algérienne et le Gouvernement français, et l’application du cessez-le-feu a lieu, le lendemain, à midi, actant la fin de la guerre d’indépendance et le début du processus pour arriver au référendum et l’autodétermination.
Les négociateurs algériens tenaient à protéger les intérêts de notre pays face à une colonisation qui avait des plans politiques et tactiques ainsi que des convoitises économiques et énergétiques pour maintenir sa domination sur l’Algérie. Des pourparlers qui avaient duré plusieurs mois, traitant de toutes les questions et dont le rôle du ministère de l’Armement et des Liaisons générales (le MALG) était crucial.
Aujourd’hui encore, les accords d’Évian, le combat et la détermination des négociateurs, des moudjahidine et militants algériens et étrangers ayant épousé la cause algérienne restent un fait unique et singulier dans l’Histoire de par la hardiesse et le désir profond des Algériens de recouvrer leur liberté face à l’une des pires colonisations que l’humanité ait connues.
Soixante-deux ans après, des questions mémorielles restent un sujet tout aussi important que délicat, parfois même assez épineux.

Questions mémorielles et enjeux politiques

Les questions mémorielles, aujourd’hui plus que jamais, sont au cœur de l’actualité, notamment après la signature de «l’accord d’Alger», en août 2022, par les deux chefs d’État algérien et français, où il était question, entre autres, de ce volet et tout récemment lors de l’échange téléphonique entre les deux Présidents qui avaient exprimé leur satisfaction quant à l’avancement du travail de «la commission mixte Histoire et mémoire».
Après la quatrième réunion, celle de Constantine en novembre 2023, puis dernièrement celle de Paris en janvier, nous voilà dans une démarche académique, historique et méthodologique pour déblayer ce chantier colossal, commençant par «la guerre des conquêtes», jusqu’à l’indépendance en 1962.
Les deux parties se sont entretenues et entendues sur un certain nombre de points tels que la numérisation et la restitution des archives, une liste ouverte de biens symboliques comme ceux ayant appartenu à l’Émir Abdelkader et Ahmed Bey en vue de leur restitution, les échanges et la formation de doctorants et chercheurs, l’élaboration d’une chronologie allant de 1830 à 1962, la poursuite de l'identification et la recension des cimetières, des tombes et des noms des détenus algériens du XIXe siècle décédés et enterrés en France, la numérisation de l’état civil et des cimetières de la période coloniale conservés en Algérie, l’instauration d’un portail numérique sous forme de «bibliothèque partagée».
Même si une méthodologie de travail instaurée par les dix historiens algériens et français est bien tracée, il n’en reste pas moins que les cadres juridique et administratif ne sont pas mis en place pour le traitement de certains volets, comme la restitution des biens, et leurs intentions se heurtent souvent aux méfiances de certains, à l’opposition d’autres, notamment les nostalgiques de «l’Algérie française» et les résidus de l’OAS.
À ce sujet, M.Dahou Ould Kablia s’exprimera en disant que c’est «l’intérêt économique qui dicte, en définitive, sa démarche (la France) récurrente de rapprochement mais ce qui la freine souvent, c’est le climat politique malsain qui domine chez une bonne partie de la classe politique et même de la société française dont la rancœur mémorielle d’abord et politique ensuite est exacerbée par le rôle néfaste des moyens de communication puissants hostiles à notre pays».(1)
Une question récurrente demeure posée, celle de savoir si le levier politique restera encore celui qui mettra à plat les questions mémorielles et fera, encore, passer le traitement académique de l’Histoire au second plan.
Tout dialogue sur les mémoires a, bien évidemment, besoin de ces deux paramètres mais la latitude doit être donnée aux historiens et chercheurs pour présenter une nouvelle approche, un nouveau regard sur des questions aussi sensibles que celles-ci, en mettant en place les mécanismes et outils de travail permettant d’avancer sur les différents sujets de la mémoire comme les travaux engagés par «la commission mixte Histoire et mémoire».
Si la question de la mémoire est censément une affaire d’historiens et de chercheurs, elle est — et ce depuis toujours — un enjeu politique des deux côtés de la Méditerranée, de par le passé lourd et commun entre les deux pays, les investissements et échanges bilatéraux dans différents domaines, notamment économique, et notre importante diaspora établie en France.
Pour Fatima, la cinquantaine, retraité et fille de moudjahid, parti en France pendant la guerre d’indépendance, «comme beaucoup en Algérie, la colonisation fait partie intégrante des histoires familiales : expropriations, négation du droit de vote, de l’accès aux soins et à l’instruction difficile, voire inexistante...».
Elle se rappelle avec fierté de l’engagement des membres de sa famille. «Mon père faisait partie de la Fédération de France du FLN, la Wilaya 7. Nous avons des photos de la fête organisée dans la petite ville où nous habitions, on les voit autour de tables avec le drapeau algérien cousu à la main par les femmes. J’ai un oncle maternel qui a pris le maquis à Annaba. Il est porté disparu et nous n’avons jamais réussi à connaître les circonstances de sa disparition ou décès malgré des recherches de témoignages. L’incertitude quant à son sort, ne sachant pas s’il est mort ou vivant, nous a toujours empêchés de faire notre deuil.»
Une diaspora qui a fait le choix de s’installer à l’étranger pour diverses raisons, mais qui ne nie pas ses origines, ni son appartenance à une Algérie qui appelle de ses vœux pour la prospérité de sa communauté et son engagement profond pour notre pays.
Mohamed Lamine, étudiant installé au Luxembourg : «L’attachement à notre patrie est toujours aussi fort, malgré le temps et notre Histoire, étudiée à l’école, racontée par nos parents et dictée dans la proclamation du 1er novembre, restera à jamais ancrée en moi. Vivre, ici, à l’étranger, est un choix de carrière mais nullement un déracinement ou un oubli des méfaits de la colonisation de notre Algérie.»

La terre des révolutionnaires

D’autres dossiers lourds restent en suspens ou en cours de traitement tels que les crimes nucléaires, les disparus, la torture, alors que nous entamons la soixante-dixième année depuis le déclenchement de la guerre d’indépendance.
Cet évènement historique et inédit de par son ampleur et le courage de nos glorieux martyrs, la détermination des moudjahidine et militants rappelle l’engagement et la résistance farouche des martyrs et des moudjahidine du Hamas qui ont déclenché «Tofane El Aqsa» et leur objectif de libérer leurs terres de l’occupant sioniste qui dure depuis plus de soixante-quinze ans.
Les Palestiniens, et surtout les Ghazaouis, entament le mois sacré de Ramadhan dans des conditions inhumaines et restent debout malgré les bombardements incessants, la violation des droits de l’Homme et du droit international et les crimes contre l’humanité dénoncés par l’Algérie dans les hémicycles à l’international.
De par sa position de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, l’Algérie plaide pour un cessez-le-feu humanitaire immédiat, la libération des territoires palestiniens et l’édification d’un État palestinien dont la capitale est El Qods El Charif et ce, devant un silence d’une grande partie de la communauté internationale.
Cela ne fait que démontrer, une fois de plus, la détermination et la profonde conviction de l’État algérien pour une solution définitive et selon les lois internationales pour un peuple qui n’a que trop souffert.
C’est, aussi, notre manière à nous les Algériens de rester fidèles à nos principes de soutenir les peuples opprimés et en quête d’indépendance parce qu’ici, à la Mecque des révolutionnaires, les libertés s’arrachent quel qu’en soit le prix et restera une terre d’accueil des combattants pour les libertés légitimes.
La position de l’Algérie est bien claire pour ceux qui refusent de le voir ou le croire et si d’autres voix s’élèvent, avec la nôtre, c’est que cette guerre contre la Palestine et Ghaza, particulièrement, est injustifiée, inexcusable, innommable et non «une légitime défense contre les terroristes du Hamas», comme énoncé par plusieurs médias étrangers, mais bel et bien un génocide, un apartheid au vu et au su du monde entier. Des crimes pour lesquels l’entité sioniste devra payer le prix fort, tôt ou tard.
Cette appellation de «terroristes» désignant les glorieux combattants du Hamas nous ramène à des années en arrière où nos martyrs et nos moudjahidine étaient appelés de la sorte par la colonisation française, ces mêmes militants qui se sont battus pour recouvrer la souveraineté nationale scellée par les accords d’Évian et le cessez-le-feu un certain 19 mars.
M. M.
1. Extrait de l’interview exclusive — qui suivra dans son intégralité — qui m’a été accordée par M. Dahou Ould Kablia, moudjahid, ancien ministre de l’Intérieur et président de l’Association des anciens du MALG.
• Éditrice, ancienne ministre de la Culture.

Entretien avec M. Dahou Ould Kablia, moudjahid, ancien ministre de l’Intérieur et président de l’Association des anciens du MALG

Le Soir d’Algérie : Soixante-deux ans après la signature des accords d’Évian, que représente aujourd’hui ce fait d’Histoire qui scelle la fin de la colonisation française en Algérie ?

Dahou Ould Kablia : La signature des accords d’Évian représente à ce jour un fait historique inédit où, pour la première fois dans l’histoire, un peuple faible matériellement mais fort de son désir profondément enraciné de liberté et de dignité, a fait plier une des puissances coloniales les plus puissantes et les plus déterminées à conserver des privilèges conquis par la force. Le sacrifice payé pour cela a été incommensurable, relativement à d’autres pays qui se sont libérés à la même période.

Nous entamons le soixante-dixième anniversaire du déclenchement de la guerre d’indépendance, cela donne-t-il encore plus de poids aux négociations des accords d’Évian et au cessez-le-feu ?

Le retentissement de ces accords ou plutôt de cette victoire sur le colonialisme a sonné le réveil des consciences partout dans le monde où le colonialisme a été bousculé. Le peuple algérien en a tiré la leçon en faisant de la protection de sa liberté et de son indépendance un dogme irréversible qui lui vaut partout respect et considération.

Quel a été l’apport du MALG durant toute la période des négociations ?

Pour revenir aux négociations, ce serait mentir de dire qu’elles ont été faciles et si elles ont abouti, c’est grâce à la combinaison de deux options stratégiques : la résistance implacable du peuple algérien et une détermination sans faille des dirigeants algériens qui ont fait durer cette résistance et les souffrances qui y sont liées pour ne rien céder sur l’objectif final d’une indépendance totale et sans équivoque.
D’ailleurs, si on fait le rappel des déclarations des deux parties, il est facile de remarquer que c’est le discours français, notamment celui du général de Gaulle, qui a évolué progressivement vers la reconnaissance des droits du peuple algérien.
C’est d’ailleurs grâce à une connaissance parfaite des intentions de la partie française bien avant les négociations que les négociateurs algériens ont pu détruire leurs arguments sur les plans politique et tactique, notamment sur les droits excessifs souhaités pour la communauté française soucieuse de rester en Algérie, les droits militaires en exigeant un séjour plus ou moins durable de ses unités dans certaines bases et lieux stratégiques et des droits économiques en encadrant les prétentions françaises en matière d’exploitation des richesses pétrolières du pays.
Le MALG a été l’artisan principal de la préparation des dossiers de négociation sur les questions militaires et celles du pétrole et du gaz que ses services de renseignements ont collectés bien avant et qu’ils avaient rigoureusement analysés et recoupés avant de les présenter aux négociateurs algériens.

Depuis la signature de la déclaration d’Alger, en août 2022, par les deux Présidents algérien et français et leur dernier échange téléphonique, où les deux chefs d’État avaient exprimé leur satisfaction quant à l’avancement des travaux de «la commission mixte Histoire et mémoire», pensez-vous que la volonté politique reste un levier pour l’aboutissement de ce chantier colossal ?

La partie française connaît mieux que quiconque les immenses potentialités économiques de l’Algérie et pas que dans le domaine de l’énergie et elle ne peut rien trouver ailleurs si près de son territoire. Elle connaît également la volonté algérienne de développer d’autres secteurs aussi vitaux : industrie, agriculture, infrastructures diverses, habitat, formation, etc.
Aussi insiste-t-elle régulièrement pour une approche vers des relations apaisées susceptibles de satisfaire ses besoins en énergie et obtenir, si possible, des marchés de réalisation pour ses entreprisses. C’est donc l’intérêt économique qui dicte, en définitive, sa démarche récurrente de rapprochement mais ce qui freine souvent cette démarche, c’est le climat politique malsain qui domine chez une bonne partie de la classe politique et même de la société française dont la rancœur mémorielle, d’abord, et politique ensuite, est exacerbée par le rôle néfaste des moyens de communication puissants hostiles à notre pays. À ce titre, je pense que les dirigeants français, et à leur tête le Président, n’ont pas les coudées franches pour réaliser le rapprochement souhaité car il ne sera pas suivi dans le domaine sensible de la mémoire.
L’autre écueil est que dans ce monde en effervescence, les positions des deux Présidents algérien et français sont aux antipodes les unes des autres sur les questions internationales, notamment les conflits en Ukraine et surtout en Palestine. Il en est de même pour les questions propres aux deux pays : émigration, restrictions des visas, soutien à certains adversaires du régime algérien. Donc personnellement, je doute que l’embellie des relations soit pour bientôt car toute avancée souhaitable peut être rapidement remise en cause par un geste, une action ou un mot inconvenant. Souhaitons le meilleur et on verra bien.

Dans un contexte international prédominé par la guerre en Palestine, beaucoup d’analystes avaient comparé les évènements du 7 octobre 2023 au déclenchement de la guerre d’indépendance algérienne. Feriez-vous le même rapprochement ? Et quelle solution préconisez-vous à cette occupation qui dure depuis plus de soixante-quinze ans ?

Mon appréciation sur la situation de violence et de destructions insoutenables que fait subir l’entité raciste et criminelle israélienne aux populations de Ghaza est que toutes les limites de l’inhumanité ont été dépassées avec le soutien puissant et permanent de la plupart des pays occidentaux. Ce soutien a été facilement obtenu grâce à l’utilisation d’un argument «magique» : «Israël se défend contre des groupes terroristes.» Hamas est un groupe terroriste.
Ce mot est entré dans le lexique des pays qui s’engagent dans des actes d’agression contre des pays qu’ils veulent soumettre, faute de mieux, par la force.
Rappelons-nous du FLN algérien traité de terroriste par les forces coloniales françaises puis d’autres pays comme l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan, la Libye et certains pays du Sahel, etc. La réalité est plus prosaïque dans le cas d’Israël puisque sa politique d’occupation et d’oppression tire son origine d’une idéologie inspirée par les écrits religieux et les sentences dictées par leurs autorités religieuses depuis les temps anciens dont la crédibilité est souvent contestable.
Hamas est un groupe politique de résistance qui se bat contre l’occupation par les mêmes moyens et les mêmes armes qu’a utilisés son adversaire depuis près d’un siècle. Son combat est juste et sa souffrance illégale est de plus en plus dénoncée.
Les actes génocidaires et la tentative de l’éradiquer de la terre de ses ancêtres ne réussiront pas.
M. M

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