Naama - Tariqa Gnaouie

FOLKLORE AIN SEFRA (DIWAN SIDI BLAL)



FOLKLORE AIN SEFRA (DIWAN SIDI BLAL)
QU’EST CE QUE LE FOLKLORE ?

L'éminent musicologue André Coeuroy dans son étude « Le folklore et la chanson populaire en Europe » dit que le terme « folklore », est formé de deux mots anglo-saxons : Lore, la science, et Folk, le peuple. Le mot désigne d'abord la science des traditions, des mœurs et des arts populaires. Il désigne aussi les objets mêmes de cette science.

Une des plus importantes parmi ses branches est le folklore musical, dont la liaison est étroite avec l'histoire des langues, des littératures, des coutumes et des religions. A l'origine de toute musique, on trouve la danse et le chant. Airs de danse, airs de chant naissent spontanément sur les lèvres d'anonymes marqués du don créateur. Ces airs, qui ont toujours une origine personnelle, sont aussitôt versés au patrimoine de la communauté. Créations individuelles, ils deviennent acquit unanime. Chacun y apporte ses variantes. L'air semble appartenir à tous, émané de la foule. C'est ce qui fit croire aux romantiques que la musique populaire était on ne sait quelle création spontanée de tout un groupe et même de tout un peuple.

En fait, si le folklore musical s'adresse à l'âme collective, il est cependant, le fils naturel du père inconnu. Qu'était-il ce père ?

Un illettré, a-t-on dit. Le mot est juste.

La chanson populaire appartient au peuple illettré, mais cette humble origine ne l'empêche point d'être un art.

-ooOoo-



LA TRIBUNE N° 997 du 30 Septembre 1998



ETUDE ANTHROPOLOGIQUE

LES GNAWA OU LE DIWAN DE SIDI BLAL D’AIN-SEFRA

Descendant de l’ancien empire du Soudan



Les confréries noires « Gnawa », Diwan de Sidi Blal de soufisme populaire font partie du folklore musical qui appartient à la mémoire collective et historique des peuples. Elles sont assez vivantes dans le Sud-Oranais et sont répandues dans tout le Maghreb.

Les « Gnawa » désignaient les descendants de Soudanais des groupes Saracole des Haoussa, des Bambara, des Dogon, des Mossi… Ils sont originaires de l'ancien Soudan qui s'étendait du Sénégal au Niger, dont une civilisation originale s'est développée grâce à l'existence de certaines richesses naturelles. La plus précieuse de ces richesses est l'or. Cette matière était avant tout un produit d'échange qui permettait d'acquérir certains produits provenant du Nord, tels que sel, étoffes, cuivre …Les caravanes organisées traversant le Sahara emportaient aussi vers la méditerranée de l'ivoire, de l'ébène, des plumes d'autruche et des esclaves.

Ces Soudanais vivaient dans un environnement culturel développé : D’après Jacques Maquet : « Un art étonnant fut découvert, des pièces de bronze, des sculptures de bois et d’ivoire, des masques (…). Des récits historiques et des poèmes de guerre ou d'amour sont conservés, transmis de père en fils et déclamés lors des fêtes (…). La musique était caractérisée par des instruments à percussion (…). Le chant était accompagné d'instruments à cordes comme la cithare (…). Généralement, la musique en Afrique était dominée par le rythme marqué par les tambours ». Pour ce qui est des cérémonies, l’auteur ajoute : « (…) en pleine lune, ils sortent masqués accompagnés de musique et de chants, ils sont en mouvement, dansent, prêtent la réalité de l’être surnaturel qui en prend possession pendant les rites ou les danses ». Au niveau du système des valeurs, l’auteur précise qu’ « une grande importance est accordée aux vertus par lesquelles l'individu s'affirme, courage personnel, confiance en soi, fierté.»

La religion pratiquée était le paganisme et le culte des fétiches (dakakir). Ils sacrifient des victimes à leurs morts et leur apportent comme offrandes des boissons enivrantes.

Cette vaste région des savanes attirait par sa richesse l'attention des voisins du Maghreb. Pour répandre l'Islam, les Almoravide entreprirent la conquête. En 1055, ils s'emparèrent de la ville d'Andagost, tributaire du Ghana. Puis la domination s'est étendue à toute la région. La présence Almoravides ne fut pas de longue durée. La prospérité continua sous des souverains musulmans noirs. Les rois islamisés firent briser les idoles de leurs Etats, expulsèrent les magiciens, mirent fin aux sacrifices d'humains et interdirent les boissons enivrantes. L'absence de tout art figuratif dans les villes soudaniennes trouve son explication dans l’islamisation des groupes dirigeants soudaniens.

Dans une anecdote on racontait qu’un an après la mort du Prophète Mohammed (qsssl), la femme dont le mari, un noir soudanais qui avait été un de ses hommes de confiance, mit au monde un enfant. Trois jours après, celui-ci refusa de prendre le sein de sa mère ou de toute autre femme, et refusa également de boire du lait préparé. Son père voyant que l’état de son enfant s’aggravait de plus en plus fit appel à une guérisseuse. On amena l’enfant chez elle. Elle le vit et dit à son père : « Si vous voulez sauver votre enfant, il faut tout de suite abattre un jeune taureau noir et faire boire son sang encore chaud à l’enfant, aussitôt après, il prendra le sein de sa mère ».

Les prescriptions furent immédiatement exécutées. L’enfant fut sauvé. Ce miracle a sûrement été transmis par les Arabes aux peuples des savanes islamisés afin d’abolir les meurtres rituels d’enfants. Le sacrifice d’humains a été remplacé par l’immolation d’un taureau noir.

Les Zénètes ont bouleversé les habitudes primitives en essayant de changer les rites et même les gestes des Soudanais en imposant un chant proche des leurs tout en se conformant au hadith du Prophète Mohammed (qsssl) qui dit :

« Dans l'islam, on continuera à pratiquer les meilleures choses du temps de la jahiliya (préislamique) ».

Les Zénètes créèrent une musique polyphonique en préservant les mêmes outils d'expression : instruments à percussion, le « gumbri » remplaçait la cithare… le tambour; ils ajoutent au rythme le chalumeau (flûte à roseau). Un chant est crée, c'est « l'abellil », chant de l'étoile. Il retrace le cheminement du prophète vers Médine. Le Zénète enseigne au soudanais l'Islam, son eau et son humanisme dans le chant « ahellil ». Par la suite, ils devinrent les maîtres incontestés de « l'ahellil », en s'exprimant dans un arabe parfait.

Malgré cette alternative pour changer les chants et danses antiques qui sont transmises de père en fils, ils continuèrent, tout en respectant les limites prescrites par les Zénètes, d'organiser leur « lila » lunaire ancestrale, la danse de possession « Bori ».

Ces fameuses veillées auraient un véritable pouvoir thérapeutique : Le rituel menait le corps jusqu'à la transe pour le libérer de ses mauvaises vibrations.

On retrouvait les danses de possession « Bori » en Ethiopie, au Caire et jusqu'à la Mecque sous le nom de « Zar » dont l'origine était Soudanaise.

Le nouveau monde, lui aussi connaît des accommodements semblables. On assistera ainsi, à une remarquable fusion d’ « Orisha », un génie animiste qui fait appelle aux danses de possessions, particulièrement à Cuba, au Brésil et aux Etats-Unis d'Amérique.

Après de longues souffrances et des pérégrinations très compliquées, ces Noirs soudanais sont enrôlés dans les armées ou dans la garde personnelle des sultans ou devenus serviteurs de cheikh des zaouïas ou chez les maîtres arabes et berbères ; ils trouvèrent en cet Islam un véritable refuge où, respectés, ils menèrent une existence d’hommes libres.

« De tous les temps et à chaque moment de la vie, l'homme s'interroge sur ses origines et interroge les mythes fondateurs pour comprendre son existence dans l'infini parcours de la vie ». (B. Mediene).

Pour ne pas oublier leurs racines et la souffrance de leur peuple à travers les siècles, ils créèrent au Maghreb leur propre confrérie, Sidi Blal, issue du patronyme de Bilal ben Rabah, esclave noir habachi d'Ommeiya Ben Khalef, notable de la tribu qoriechite des Banou Djamh.

Il embrassa l'Islam à la suite de l'abolition de l'esclavage et la destruction des idoles lancée par le Prophète Mohammed (qsssl), sur l'ordre d'Allah le Tout Puissant. Il est ensuite acheté et affranchi par Abu Bakr, compagnon du Prophète. Il devint le premier esclave noir à avoir embrassé l'Islam et un des premiers compagnons du Prophète et premier muezzin de l'Islam.

Bilal el Habachi mourut aux environs de Damas (Syrie) à l'âge de soixante dix ans.

Par légende, il devient le sacré saint des Soudanais du Maghreb. Chaque année, lors de la pleine lune du début du mois de septembre, ils célèbrent le maârouf et prennent les spectateurs à témoin pour que nul n'oublie les offenses et les humiliations subies par leurs frères pendant des siècles.



L’HISTOIRE DU DIWAN D’AIN-SEFRA



L'histoire du Diwan de Sidi Blal d’Ain-Sefra, se confond avec celle des premiers Soudanais venant, du Sud de la Saoura, du Nord de l’Algérie ou du Maroc, au dernier tiers du XVIII° siècle. Cheikh Ziane Mohammed décédé en 1995 à l’âge de 85 ans, un musicien qui s’inscrit dans la lignée culturelle du maître et qui devint batteur dans un groupe musical Jazz dans les années quarante, détient le récit suivant de son père Barka :

« J'avais à l'époque six ans quand, affranchis, nous sommes venus avec nos familles de la Guinée par caravane en traversant Tombouctou, le Soudan actuel puis, remontant la mer rouge par voilier nous atteignîmes le Caire puis Alexandrie. Une semaine après, on s’embarquait en direction d’Alger. Et de là, nous prenions le train jusqu’à Mohammedia. Certains s’y étaient installés, d’autres rejoignirent Sidi Bel Abbés, Sig ou Mascara où ils furent embauchés par les colons. Quant à nous, nous continuons vers le sud par train. Arrivés à Ain-Sefra, on est engagé dans les champs au Ksar Sidi Boutkhil. A cette époque, il n’y avait que le Ksar et les jardins avoisinants. D’autres Noirs arrivaient par la suite du Gourara et du Touat par Béchar pour chercher du travail. Nous avions formé une communauté noire ».

« Notre participation à la construction du centre-ville nous a permis d'être autorisés à bâtir nos propres maisons. Après cinq ou six ans, nous fondions une première « m'halla » dans une habitation que nous blanchissions à la chaux. Et depuis ce temps, nous organisions nos fêtes du maârouf avec le sacrifice du taureau, puis vint l’insurrection de Cheikh Bouamama, qui fut marqué, par de nombreux incidents et attaques contre l’occupant français. L’insécurité régna. Les renforts militaires affluèrent. Ain-Sefra ressembla à une caserne. Notre communauté est soupçonnée de servir Bouamama. Plusieurs caches ont été démantelées et certains lieux ont été évacués. A l'issue d'un recensement rapide par l’administration, notre quartier était désormais appelé, « Village nègre », et désigné comme étant un lieu dangereux. Pour nous contrôler, les uns ont été affectés pour les travaux des casernes et des routes, les autres dans les voies ferrées, qui à cette époque, ont atteints Béni-Ounif.

Les jeunes Noirs et Arabes livrés à eux- mêmes, les spahis déserteurs, les brigands venant de toute part occupent dans ce village des masures insalubres et délabrées où ils passent leurs soirées à boires de l'alcool, à fumer du kif, accompagnés de jeunes femmes aux mœurs légères ». Ce village est devenu le lieu d’un folklore musical où l’être doit s’exorciser pour oublier son cauchemar quotidien. Le rite sacré des Soudanais est détourné de son chemin où chaque nuit les tambours et qarqabou font rage. L’arrivée du général Lyautey, en octobre 1903, ne changea rien à la situation. Les répercussions s’accentuent sur les ksour et les tribus nomades. La misère est criante.

Le témoignage d’Isabelle Eberhardt est poignant dans ses pages de « Notes de route et dans l’Ombre chaude de l’Islam », qui constituent elles-mêmes une riche documentation de ce début du siècle où elle écrit avec force l’horreur des lieux et de leur environnement, la dégradation physique et l’humiliation des gens du Sud.

Dans « Joies noires », dernier texte écrit par Isabelle Eberhardt, puisqu’il est daté de Septembre 1904, Ain-Sefra, et qu’elle avait envoyé à « la Dépêche Algérienne » peu de jours avant sa mort. Le village nègre va être le lieu de la scène où Isabelle s’y trouvait en situation de voyeuse habillée en homme en compagnie du Soudanais Saadoun. Elle écrit :

« (…) Ici au Village nègre, des sons tumultueux, des sons soudanais de tam-tam et de chants monotones s’échappent de ce taudis blanchi à la chaux(…) Au milieu des décombres dans la clarté diffuse qui tombe d’en haut, un groupe de femme s’agitent (…). Les hommes regardent cette danse (…) qui comme un rite rapporté de la patrie soudanaise revient tous les mois à la pleine lune. Les autres chantent sans s’arrêter (…). Les pipes de kif circulent. De ce taudis noir s’exhale une sensualité violente exaspérée jusqu’à la folie et qui finit par devenir profondément troublante. (…) S’en aller au galop, par la brise fraîche de la nuit, sur la route déserte, fuir la griserie sombre de cette terrible orgie noire ».

Denise Brahimi, en commentant ce texte (2) déclare : « Peu de textes pourtant se donnent moins l’allure d’un testament (…). Il choisit de décrire non la nature (…) mais des hommes et des femmes (…). Car ils ne sont que des corps et des corps qu’elle regarde sans partager rien avec eux (…). Un taudis (…) où les femmes vivent et font leur métier parmi les décombres(…) où misère et abjection du décor contribuent aussi à la force des oppositions entrant dans la violence contradictoire du sentiment de répulsion/fascination (…). Elle partage avec tous les participants une sorte de rituel extrêmement troublant ». Et ajoute : « Par ses écrits, Isabelle Eberhardt dénonce l’odieuse duperie de l’occupation française dans le sud où la France est supposée s’adonner à un rôle civilisateur ».

L’insurrection de Cheikh Bouamama prit fin à sa mort à Aïn-Sidi Melouk (Maroc) en octobre 1908 après vingt cinq ans de résistance. Selon Mohammed Ziane Barka : « Les vieux soudanais : M’Barek Zoua, Ba Hamadi, Rouène… très alarmés par l'état du quartier village nègre et soucieux de l'avenir de leurs enfants, demandèrent aux autorités coloniales de mettre de l'ordre en chassant les délinquants et d'ordonner la destruction des bouges et taudis. Un travail collectif a été entrepris qui dura plusieurs semaines. Une fois que tout est entré en ordre, Ba Hamadi et ses compagnons fondèrent une nouvelle m'halla et depuis ce temps, la fête est donnée chaque année ».

Un arrêt a été observé durant la guerre de libération où aucune fête n’a été donnée et ce jusqu’à l’indépendance.



CELEBRATION DU MAAROUF





A Ain-Sefra, la fête est célébrée le jeudi le plus proche de la pleine lune de septembre. D'habitude, un mois à l'avance des tournées dansantes sont effectuées pour faire la quête pour pouvoir acheter les animaux à immoler pour le maârouf ainsi que de la semoule, la farine pour le couscous.

Au maqam, tout le monde s'est donné rendez-vous pour la tournée carnavalesque. Le temps, ce jour-là était ensoleillé. Dans une ambiance chamarrée, une grande foule pris part à ce festival ambulant qui enflamma les rues de la ville, avec à sa tête des femmes noires, des houriates et des blanches adeptes, qui portaient des petites corbeilles remplies de sel gris qu'elles répandent sur le sol. Au devant d'elles et en éventail venaient les étendards suivis des animaux à immoler tenus solidement à l'aide de cordes par des jeunes adeptes. Les volailles étaient tenues aux pattes par des cordelettes noires, le bélier et le bouc avaient le front orné de foulards de soie appelée « tmama », de couleur azurée offerts par les dévots. Le taureau noir surgissait à l'avant paré de pièces d'étoffes de soie de couleurs écarlates. A ces cornes étaient suspendues des chapelets en corail, en petites coquillages, ainsi que des amulettes en cuivre.

Sur l'air de « Ouali Allah Baba Merzoug », un groupe de musiciens et danseurs Gnawi, jouaient au « qarqabou » – castagnettes en cuivre liées aux poignets par des lanières de cuir, instruments très bruyants. Le grand et le petit tambour déchiraient l'air, accompagnés d'une mélopée mi-arabe mi-soudanaise coupée de refrains et de youyou.

Au retour à la m' halla, ils rangeaient les étendards en faisceaux. Le muqaddem traça sur le sol à l'aide d'une baguette courbe dite « menkar » la place ou se fera le sacrifice. Une femme gnawi « une caïdate » fit un cercle de quatre vingt centimètres sur le sol au moyen de sable blanc très fin. Au centre de ce cercle, elle posa une cassolette en terre cuite contenant des charbons ardents. Des bougies furent également allumées. Elle posa à côté du cercle quatre œufs et quatre bols contenant l'un du lait, le second du henné, le troisième de la rouina et le quatrième de la farine de riz sucrée et détrempée. Une fois ces préparatifs terminés, le muqaddem sacrificateur avança pieds nus, revêtu d'une tenue spéciale : une chemise blanche, longue et sans manches, ceinturé d'un foulard « maharma » rouge sang. Il était coiffé d'un turban blanc. On dit que ces vêtements ne seront jamais lavés. Ils seront brûlés et les cendres répandues au vent une fois qu'ils sont complètement hors d'usage.



LE SACRIFICE



Le muqaddem avança vers le cercle. Il purifia les animaux à immoler avec de l'eau en lavant la bouche et les parties génitales. On les encensa en promenant au-dessus d'eux le petit braséro à benjoin « jawi ». Il prit les bols et un par un, il lança vers les quatre points cardinaux, commençant par le sud au moyen d'une cuillère en bois, le henné et la farine de riz, puis mit du benjoin sur la cassolette pour la purification des lames. Après l'incantation, une femme noire avance un bol en porcelaine qu'elle présenta au muqaddem.

Le muqaddem se pencha et passa le couteau dans la fumée d'encens, puis laissa aller ses mains derrière le dos. On lui mit alors dans chacune les pattes de deux coqs noirs. Il se leva, se dressa à contre-jour, immense, hallucinant, au milieu de la fumée. Il fit un tour lentement avec ses deux bras, balançant les victimes trois fois autour de ses épaules. Puis, il commença l'immolation en disant : « bis mi allah » – au nom de Dieu – et trancha les gorges des coqs, le sang giclait et coulait des artères mêmes dans le bol porcelaine tenus par une « caïdate ». Puis le muqqadem les lança sur le sol dans le cercle fermé par le public en prononçant une incantation et en criant : « vous êtes lâchés, vous êtes libres », les offrants aux génies. Les coqs se débattaient contre la mort, firent des soubresauts et bien souvent franchisèrent le cercle, leur sang éclaboussait les gnawi et adeptes assemblés. Durant toutes ces opérations d'immolation, la musique battait son plein avec tambours, qarqabou et des couples gnawi dansaient jusqu'à l'extinction de leurs forces. En transe, l'homme résistait plus longtemps, mais la femme tombait à terre presque en crise d'hystérie et malheur à celui dont elle pouvait saisir les jambes.

Le sacrifice des coqs était un peu particulier et l'on disait que si la victime venait de se jeter en mourant sur l'un des assistants, c'est que celui-ci à quelque chose à se reprocher, n'a pas accompli un vœu ; il payait le coq comme amende. On amena le bouc. On le coucha à terre, la face tournée vers la Mecque « kiblâa », le muqaddem l’égorgea ; puis c'est le tour du bélier. Ces deux animaux étaient sacrifiés en honneur de l'Emir des Saints de l'Islam, Sidi Abdelkader Jilani et aux invités affiliés à d'autres dîwân. Enfin, c'est le tour du taureau noir très chargé symboliquement, constituait l'acte fondateur des Gnawa.

Ba Salem disait : « Notre tribu est une tribu de son et de sang », Il existait jadis dans la savane «Les massassa » buveurs de sang qui dansaient le « Bori », mais aujourd'hui plus personne ne s'amuse à boire le sang du coq ou du taureau au cours des séances extatiques mais on continue à « vendre » les enfants de santé fragile à Sidi Blal pour qu'ils puissent survivre. La vente est symbolique. Après la récitation de quelques versets du Coran par le muqqadem et une incantation de sa part, un nom soudanais est donné à l'enfant ; Blal, Mabrouk, Faradji, Sitra, et l'espoir de voir grandir son enfant. »

Comme pour tous les Saints de la région, Sidi Blal était célébré avec la même ferveur, le vendredi après la prière, une foule innombrable venait manger du couscous fait de viandes d'animaux immolés et il était offert à profusion.



L’ORGANISATION DU DIWAN



A Ain-Sefra, outre la fête principale en plein air, les tournées dansantes pour faire la quête, la fête occasionnelle pour demander de la pluie. Le Dîwân, peut se réunir selon les cas : Pour la guérison d'un malade touché par les génies, les fêtes religieuses ou nationales, les invitations à des mariages ou dans la maison d'un de ses membres pour les séances de danses extatiques « jdeb ».

On invoque Sidi Moussa el-Bahri, Sidi Abdelkader Jilani, Ouali allah Baba Merzoug, Sidi Hamou…Pour prendre part aux cérémonies, il faut être en état de pureté rituelle et pieds nus et éviter de parler et de rire.

A l'intérieur du ma'quam, on joue du qarqabou et du guimbri, guitare soudanaise à trois cordes, aux sons chauds et discrets, chargé de la ligne mélodique, dont le contraste avec le rythme violent des qarqabou contribuent à établir une atmosphère mystique.

Le joueur de guimbri est l'un des personnages les plus sacrés, détenteur des airs et des chants qui correspondent aux divers « douk-an-nâs » – Ces Gens Là – Les génies, qui, à son appel viendront posséder les danseurs.

Les principaux membres sont donc : Le muqaddem « sacrificateur », le Caïd-al-ouçfân (caïd des soudanais), le Chaouch, maître des cérémonies et surveillant des réunions, les ma'allem-ed-dîwân, joueur de guimbri, les joueurs de qarqabou, les « 'arif ed dîwân », initiés, les « jeddâba », danseurs en transe.

Contrairement à ce qui se passe dans le Nord, les femmes ne participent pas aux cérémonies des hommes, elles se contentent d'y assister du fond de la salle et d'accompagner de leurs youyous les instants pathétiques. Elles font des séances à part et ont leur Caïdat, leur Chaoucha, leur ma'allmet, 'arifat, jeddâbat.

Les vêtements sont de différentes couleurs. Ils sont mis par les danseurs selon les airs « abradj » et les génies survenus. Le chiffre Sept est sacré : Il y a sept couleurs, sept parfums, sept bougies, sept sources, sept génies. On croise les mains sept fois, on fait tourner le braséro autour de la tête sept fois, et il y a aussi sept vagues.

Les parfums qui sont en quelque sorte les aliments préférés des génies sont : Jawi, benjoin ; loûbane, encens ; kosbar, coriande ; 'anbar , ambre ; mesk, musc ; 'oud-el-qomari, aloès….

Les couleurs ont leur signification :

Le Noir : C'est la couleur de référence de l'homme noir. Source de lumière, de vitalité et de joie. L'habit noir, c'est pour « Serkou », c'est l'homme racine des Soudanais.

Le Rouge : C'est la couleur de la terre africaine. Le rouge est aussi celle du sang, sang répandu pendant les siècles de la Traite. Il peut également revêtir la signification de « Colère ». L'habit rouge, c'est pour l'air de « Changarmama », l'homme fort des Soudanais. Il représente le guerrier. Danse aux couteaux.

Le Blanc : C'est la couleur du colonisateur. Le flagellateur blanc. L'habit blanc, c'est pour l'air « Bori Manandabou ». Danses avec « boulala », cravaches en nerf de bœuf.

Le Vert : C'est la couleur de la végétation. Elle transforme la lumière, modifie les couleurs. L'habit vert, c'est pour « Ouali Allah Moulay Abdelkader Jilani », Emir des Saints de l'Islam. Danse avec bougies allumées. Les danseurs sont habillés en tuniques vertes et chéchia rouge et armées de poignards « koumia ». …

La liturgie est stricte et l'ordre des chants toujours le même. On recense 365 airs « abradj ». Les principaux sont : Changarmama, Negzou Nana Bari, Bouri Manandabou, Serkou, M'birika, Mohamed Daoui, Bounouari, Koyo bonco, Baba Gourma, Moulay Brahim, Sidi Ali, Mengazou, Maro, Ouali Allah Baba Merzoug, Bouderbala….



LA FETE





Ce jeudi, j’ai pu assister à plusieurs séances du dîwan auxquelles étaient invités les affiliés de Saïda avec à leur tête, le doyen des dîwan gnawa d’Algérie, le vénéré « Kano » dont l’âge dépasse les cent ans. Il a montré sa baraka en effectuant plusieurs danses. L'atmosphère était lyrique et cordiale. C’était hallucinant. Il y avait plus d’ordre et de rigueur. Toutes les scènes étaient filmées par une caméra locale.

Sur l’air de « salat-ala-nbi » qui ouvre les séances, vient l’air de « Nagzou Nana Bari », les danseurs entre « boulala », pris les mains derrière le dos, mais d'une façon plutôt décorative, puis en un quart d’heure, ils entraient en transe, s'auto flagellaient jusqu'à l'épuisement, puis suivi de l’air de « Changarmama » aux dangereux jeux de couteaux plantés dans le ventre d’une manière abracadabrante. Un véritable spectacle rappelant les séances Vaudou.

On réduisait au minimum les vêtements de couleurs diverses mis aux danseurs selon les génies survenus. On entrait que déchaussé et le chaouch encensait chaque assistant en lui posant sur la tête l'odorant brasero à « jawi » tout en croisant les poignets, et il fallait faire le même geste en disant « hna messalmine »-nous sommes soumis- . Alors une succession d'airs « abradj » étaient joués jusqu'au petit matin et un chant termina la séance avec la « chahada » et la « salat-ala-nbi », invoqua le grand Sidi Abdelkader Jilani, patron de Bagdad, le saint le plus puissant sur les énergies mystérieuses qu'on personnifie d’ « en-nas-al-okhrine »- Ces Autres Gens- et en « rjal-al-allah » – les hommes de Dieu-.

Le muqqadem du dîwan, très satisfait de ce ma ‘rouf, remercia en son nom et au nom de tous les adeptes de Sidi Blal, les invités affiliés à d'autres dîwan pour leur participation, de même, aux spectateurs qui avaient assisté aux veillées jusqu'à l'aube. Il récita la "Fatiha" du Saint Coran à haute voix, puis appela la bénédiction de Dieu sur tous les êtres morts et vivants. Ensemble « Amen », puis vint aussitôt l'appel du muezzin pour la prière du « fadjr » l'aube. Tout le monde se dirigea vers la mosquée avoisinante pour l'accomplissement de la prière.

Par ailleurs, pour évoluer dans un cadre légal, le Diwan local s’est constitué en association folklorique et lance un appel à la Direction du Tourisme et de la Culture de la wilaya de Naâma d’inscrire dans leur programme d’action l’organisation d’un festival au mouessim de la ville d’Ain-Sefra où toutes les troupes Gnawa de l’Oranais et du Sud Oranais se rencontrent et festoient ensemble. Ce festival sera marqué comme étant le premier du genre dans l’histoire du folklore national.






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