Algérie - 02- Origines

De l'origine du nom d'Oran



De l'origine du nom d'Oran
Oran, capitale de la province occidentale de l'Algérie, a été bien négligée par les historiens. Autant les études sont nombreuses concernant l'histoire d'Alger, autant celles concernant Oran sont peu nombreuses. Au surplus, parmi les historiens qui se sont intéressés à Oran, rares sont ceux qui ont essayé d'expliquer pourquoi la ville s'est appelée ainsi (I). Le but de cette étude sera donc d'exposer les solutions proposées par les auteurs les plus connus, puis de rechercher l'hypothèse qui paraît la plus valable. Enfin, il sera expliqué comment le nom le plus anciennement connu du monde méditerranéen : Ouahrân, est devenu Oran.

I. DE L'APPARITION DU TOPONYME " OUAHRAN "

L'histoire d'Oran commence très tôt, avec l'arrivée de l'homme dans la région. Probablement, il y a 600 000 ans, l'homo-erectus, venu d'Afrique australe, arrivé en Oranie. On l'a appelé " l'atlanthropus mauritanicus " c'est-à-dire l'homme de l'Atlas de Maurétanie (II).

Puis, il y a environ 80 000 ans, l'homo-erectus a cédé la place à un descendant plus adapté que lui à la vie, un homo sapiens appelé " l'atérien ". Ce dernier va évoluer et vers 30 000 ans avant notre ère, il va laisser la place à son descendant, " l'ibéro-maurussien ".

Enfin, ces espèces locales vont disparaître, éliminées par un nouvel homme mieux adapté qu'elles à la vie, qui arrive du Uban environ 10 000 ans avant notre ère. Cet homme est un proto-méditerranéen, du type capsien. C'est l'ancêtre des Berbères, les autochtones de l'Afrique du Nord.

1. Les Berbères

Les Berbères ont amené avec eux, du Proche-Orient, une langue ou plus exactement des parlers, des dialectes, très voisins les uns des autres, qui font partie du groupe des langues Chamito-sémitiques nées en cette région du monde, comme l'hébreu, l'arabe, le phénicien... Ils possédaient aussi une écriture appelée " Libyque ".

Cette écriture existe toujours, sous une forme évoluée : il s'agit des caractères tifinaghs des Touareg du Sahara.

On a retrouvé de nombreuses inscriptions libyques, gravées sur des pierres dans des monuments ou dans des tombes. Malheureusement, il n'a pas été découvert de pierre écrite sur le site d'Oran pouvant apporter un témoignage direct sur le nom de la petite bourgade berbère qui en occupait le site.

Il faut chercher ailleurs et donc, dans la littérature des premiers conquérants étrangers.

2. Les Phéniciens et les Romains

Tous les livres écrits par les Phéniciens, qui se rendaient de leurs ports libanais (Byblos, Sidon, Tyr ... ) jusqu'en Espagne et même au-delà jusqu'aux îles britanniques et jusqu'au golfe de Guinée, pour y chercher des métaux précieux (or, argent, cuivre, étain - pour fabriquer le bronze), ont disparu.

De même, la brillante civilisation des Phéniciens installés à Carthage et dans les ports africains, espagnols... n'a pas laissé de littérature.

Nous n'avons donc aucun témoignage direct concernant Oran faute d'ouvrages écrits ou même de pierres gravées (III).

Il faut donc se tourner vers les écrivains grecs et latins, qui sont les seuls témoins du monde berbère et carthaginois de l'Afrique du Nord dans cette période de l'histoire qui va de plus de mille ans avant notre ère à un siècle et demi, toujours avant J.C. Là encore, la recherche est décevante. Il n'a pas été retrouvé d'écrits concernant Oran.

Les Romains nous ont laissé de nombreux témoignages écrits sur des monuments, bornes milliaires, mais rien n'a été trouvé à Oran. Il reste les " cartes géographiques " qu'ils nous ont léguées.

Le principal document géographique que l'on appelle " l'Orbis Pictus "ou encore la Table de Peutinger (du nom du moine qui en 1509 l'a retrouvé) donne sous sa forme de douze parchemins assemblés, une carte du monde antique, des Indes à l'Océan Atlantique de 6,80 mètres de longueur sur 0,34 mètres de largeur. Mais, par malheur, le feuillet le plus occidental où devait figurer l'Oranie et le Maroc a disparu.

Le second document est appelé " l'ltinéraire dAntonin ". Il s'agit d'un guide routier, probablement à l'intention des militaires, des fonctionnaires et des commerçants romains, datant de la fin du IIIe siècle. On y voit dans la baie d'Oran, la mention des " Portus Divini ", des Ports des Dieux, sur la route qui longe la côte algérienne. Et ces Portus Divini sont reliés par d'autres routes à la grande route stratégique qui passe par l'intérieur (de Tasacurra = Saint-Denis du Sig, à Regiae = Arbal, Ad Dracones = Hamman Bou Hadjar, Albulae = Ain-Témouchent...)

La baie d'Oran ne possède que deux sites pouvant abriter des ports, ceux d'Oran et de Mers el-Kébir. Il est donc certain que les Romains connaissaient ces deux ports, qu'ils savaient leurs situations privilégiées et baptisés pour cette raison, les Ports des Dieux.

Mais... ils ne nous ont pas indiqué leurs noms berbères

3. Les Vandales et les Byzantins

Il faut rappeler que la puissance romaine va s'effondrer en Afrique, comme ailleurs dans le monde, au début du Ve siècle de notre ère. Les Vandales vont conquérir l'Afrique du Nord entre 429 et 439. Puis, ils seront chassés par les Grecs de l'Empire Romain de Byzance, en 533. De ces siècles, nous n'avons aucun témoignage sur le nom de la ville d'Oran. Des inscriptions latines sur des monuments nous permettent de savoir que l'Oranie était alors un Royaume de Berbères latinisés, dont la capitale était à Tiaret.

Il faut donc continuer la recherche.

4. Les Arabes

Vers 645/646, les Arabes lancent une première expédition, un rezzou vers le Maghreb, tenu alors par les Byzantins de Constantinople. Ils prennent conscience des richesses de " l'Ifrîqiyya " (la Tunisie) et reprendront par la suite leurs raids conquérants.

Au cours de la seconde moitié du VIIe siècle, ils détruiront les faibles forces byzantines et surtout les armées des tribus berbères qui s'opposent à eux et la conquête sera assurée au début du Vllle siècle et même poursuivie, à partir de 711, en Espagne. Les Arabes sont-ils alors passés par Oran lorsqu'ils se sont dirigés vers le Maroc et l'Espagne ?

Il est impossible de répondre d'une manière certaine, faute de renseignements sur cette période de l'histoire.

Il est, par contre, certain qu'ils ne se sont pas installés à Oran. Il ne faut pas oublier que la conquête de l'Afrique du Nord et de l'Espagne a été le fait de quelques milliers d'Arabes, soldats puis fonctionnaires du khalife de Damas. Peu nombreux, ils ne sont installés que dans les grands centres stratégiques de l'époque, ce qui n'était pas encore le cas du port d'Oran.

Cette affirmation repose sur les témoignages des premiers historiens et géographes arabes à nous parler d'Oran. Tous affirment qu'Oran a connu la présence des Arabes avec l'installation en 902/903 de marins andalous qui prennent possession de la ville avec l'accord de la tribu berbère qui la possède, les Beni-Mesguen, pour le compte de l'Emir Abderrahmane III de Cordoue qui règne, à cette époque sur l'Espagne musulmane. Il faut donc en déduire, à contrario, que les Arabes n'étaient pas installés à Oran auparavant. C'est alors que ces auteurs citent pour la première fois le port d'Ouahrân, mais sans s'interroger sur l'origine de ce nom.

Ainsi, trois hypothèses peuvent être formulées :

* Ouahrân, est le nom berbère de la ville, peut-être plus ou moins arabisé,

* Ouahrân, est le nom donné à la ville par les premiers conquérants arabes du Maghreb à la fin du Vle siècle ou au début du Vlle, soit que la ville n'ait pas eu de nom berbère, soit que le nom berbère ait été effacé par les Arabes.

* Ouahrân, est le nom donné à la ville par les Arabes d'Espagne, venus s'y installer vers 902/903.

Que nous disent donc ces chroniqueurs arabes pour nous aider à faire un choix ?

Il semble bien que ce soit l'Egyptien Ibn Haouqâl, commerçant et géographe qui a parcouru l'Afrique du Nord et le Sahara vers 955/960, qui ait cité le premier, dans la littérature, le nom d'Ouahrân dans son " Livre des Routes et des Royaumes " (" kitâb el Masalik oua al Mamâlik ") écrit vers 971.

Ibn Haouqâl écrit : " Ouahrân est un port tellement sûr et si bien abrité contre tous les vents, que je ne pense pas qu'il ait son pareil dans tous les pays des Berbères... La ville est entourée d'un mur et arrosée par un ruisseau venant du dehors : les bords du vallon où coule ce ruisseau sont couronnés de jardins produisant toutes sortes de fruits... "

Le second auteur à nous parler d'Ouahrân est le grand géographe de Cordoue, Abou Obeïd Abdallah ben Abdelaziz el Bekri, qui écrit en 1068 un ouvrage célèbre, connu sous le nom de " Description de l'Afrique Septentrionale ". Sa description d'Ouahrân est très proche de celle d'Ibn Haouqâl. Et El Bekri est le premier auteur à expliquer l'apparition dans l'histoire de la ville d'Oran, du fait de sa prise de possession par les marins andalous.

Désormais Ouahrân, port stratégique d'une importance vitale pour les communications avec l'Espagne, entre dans l'histoire. Il sera l'objet de luttes incessantes entre les Musulmans de la dynastie des Omeyades d'Espagne et de la dynastie rivale des Fatimides qui s'implante au début du Xe siècle dans l'Est du Maghreb. Puis les dynasties venues du Maroc qui vont les supplanter en feront un port vital pour leurs communications entre leurs possessions africaines et leurs possessions espagnoles (les Almoravides 1050-1160 et les Almohades: 1160-1236).

La lutte continuera pour la possession d'Ouahrân entre les trois royaumes berbères qui vont succéder aux Almohades (Mérinides du Maroc, Abdelwadides de Tlemcen et Hafsides de Tunis). Enfin, l'Espagne interviendra, les Rois Catholiques poursuivant la " Reconquista " en Afrique en s'emparant d'Ouahràn en 1509, perdant le port en 1708 sous la pression des Turcs de la Régence d'Alger, le reprenant en 1732 pour le céder définitivement aux Turcs en 1792.

Il. RECHERCHE DE L'ORIGINE DU NOM D'OUAHRAN

Il faut, tout d'abord, exposer les hypothèses le plus souvent avancées par les historiens, puis il faudra, ensuite, essayer de faire un choix critique entre ces auteurs.

1. Les propositions des historiens

Elles vont être examinées dans un ordre chronologique partant des auteurs les plus anciens et allant jusqu'aux contemporains.

Henry Léon FEY

C'est le premier auteur d'une histoire d'Oran, à notre connaissance. Son ouvrage qui s'intitule : " Oran, avant, pendant et après la domination espagnole " édité à Oran en 1858, indique que cette ville, au début du Xe siècle était appelée indistinctement : Bou Charân, Ouaharân, Oued El-Haran, Wehran, puis par abréviation Ouarân. Henri Fey ajoute que Ouarân viendrait du mot " ouachar " signifiant, selon lui, endroit d'accès difficile (IV). Malheureusement, il ne cite pas ses sources de renseignements et n'explique pas pourquoi la ville aurait eu simultanément tant de noms dont il ne donne pas les origines. Au surplus, il semble contradictoire qu'une même ville ait eu autant de noms distincts. Cela serait un cas unique au Maghreb. Les toponymes cités paraissent encore inconciliables. Voyons !

- Bou Charân, semble se rapporter à un nom d'homme surnommé Bou (père) de Charân.

- Oued El-Haran, vise manifestement une rivière (oued) : la rivière de Haran. Mais que signifie Haran ? Ce mot n'existe ni en berbère, ni en arabe. A moins qu'il ne s'agisse d'un lieu, mais Haran n'apparaît nulle part dans les descriptions d'Oran. Est-ce la déformation d'un autre mot ? Probablement, comme nous le verrons bientôt.

Et puis, comment ces noms auraient-ils été déformés en Wehran ? Et, par abréviation, mais laquelle ? en Ouarân ? Cela parait invraisemblable.

Enfin, le mot " ouachar" qui serait à l'origine de Ouahrân, n'existe ni en langue berbère, ni en langue arabe. En berbère, un lieu difficile d'accès se dit " aourir " ou encore " azrou ". Et en arabe c'est " ouarar " (1) M. Bérard dans un ouvrage intitulé " Indicateur général de l'Algérie " publié en Alger en 1848, M. Bérard reprend la proposition de M. Féry concernant le mot arabe " Ouaer " plus exactement " Ouaâra " (2) signifie bien en arabe " être dur " et pour un terrain, " être abrupt ". Ce verbe a donné un substantif " Ouaâr " qui signifie difficile, et endroit d'accès difficile.

Mais il existe deux objections majeures qui s'opposent à cette explication :

- d'une part, la deuxième syllabe de ce mot commence en arabe par la lettre " aïn " (3) dont la prononciation ressemble à un bêlement de brebis sur le ton " a ", alors que dans le toponyme Ouahrân (4) la deuxième syllabe commence par un " ra " (5) qui se prononce comme notre " r " roulé.

En outre dans Ouahrân, la première syllabe se termine par la lettre " ha " (6) qui se prononce comme un " h " fortement aspiré, ce qui n'est pas le cas de " Oua'âr " où la consonne centrale est " aïn ", (7) et donc un a " bêlé.

C'est pourquoi, il est impossible à un arabisant de confondre les deux mots.

- d'autre part, s'il est un qualificatif vraiment " difficile " à donner au site d'Ouahrân, c'est bien celui d'endroit d'accès difficile.

Si le site d'Ouahrân a été peuplé par l'homme depuis la plus lointaine préhistoire, c'est bien parce qu'il présentait une situation privilégiée. Le climat était clément, allant du type méditerranéen très humide au type actuel méditerranéen sec, avec une flore abondante (forêts et savanes) qui permettait à de grands troupeaux de ruminants d'y vivre. La source située au pied du Djebel Murdjadjo, formait un oued qui descendait par l'échancrure du ravin, bien connu par la suite sous le nom de Ras El Aïn, jusqu'au port et à la mer. Elle donnait en permanence, et en abondance une eau très saine, car filtrée par les calcaires du Murdjadjo. Les nombreuses grottes préhistoriques aujourd'hui bien connues du littoral méditerranéen et du plateau d'Eckmülh ont donné à l'homme des abris sûrs contre le froid, les intempéries et les bêtes sauvages. Plus tard, l'homme s'est installé sur les terrasses à l'est du ravin, où à de faibles altitudes (30, 40, 70 et 80 mètres) il a pu installer des cabanes de branchages et de torchis, sur ces plateaux sains et faciles à protéger. En conséquence, cette explication doit être rejetée (V).

Le Général Didier

Le général Didier a dû exercer un commandement à Oran dans les années 1920/1930. Et c'est à cette époque qu'il a écrit une " Histoire d'Oran " en quatre volumes.

Dans celui intitulé " Histoire dOran - Oran de 1501 à 1550 ", paru en 1927 à l'imprimerie Jeanne d'Arc d'Oran (page 89), le général Didier indique que des amis arabes dont le colonel Cadi (sans autre précision) affirment que la ville s'appelait à l'arrivée des Espagnols (18 mai 1509) " Oued El Haran " ou encore " Oued El Ouahrân ". Seul le vocable " Ouahrân " serait resté. Et le général Didier ajoute, selon les mêmes sources, que ce nom viendrait de la racine (arabe) " Ouhâr "signifiant : dur, sévère, exigeant, difficile à parcourir. C'est l'hypothèse déjà formulée par Bérard que nous avons été amenés à rejeter (VI).

A. Pellegrin

A. Pellegrin, universitaire, linguiste, dans un ouvrage remarquable " Essai sur les noms de lieux d'Algérie et de Tunisie ", paru en 1949 à Tunis aux Editions SAPI, propose un mot berbère signifiant " les lions ". En berbère très ancien, le lion se dit " Ar " ou encore " Aired " et au pluriel c'est " Iren " ou encore " Airaden ". On retrouve ces racines dans les dialectes berbères de Kabylie où le lion se dit " Airad " et les lions " Airaden " et dans celui des Touareg. Pour les Touareg du Nord (dialecte tamahâk) le lion c'est " Ahar ", les lions " Aharen ". Voilà une hypothèse séduisante, quand on sait que dans l'antiquité la région d'Oran, plus humide, boisée, abritait de grands troupeaux de ruminants donc était bien favorable aux lions, leurs prédateurs. Il faudra l'examiner plus attentivement, après élimination des autres propositions.

Le Professeur Pierre Goinard

Le regretté Professeur Goinard dans sa très remarquable étude " Algérie, l'œuvre française ", parue en 1984 chez Robert Laffont, indique en page 55 que " Ouahrâne " viendrait d'un mot signifiant " ravin boisé ".

Malheureusement, il n'a pas indiqué ses sources. Et je n'ai pas pu trouver ce mot dans mes dictionnaires arabes.

Est-ce du berbère ? Mes recherches ont été tout aussi infructueuses.

Brahim Zerouki

Dans un ouvrage intitulé " A l'Imanât de Tahart ", paru chez l'Harmattan en 1986, en étudiant l'origine du toponyme de Tahart (Tiaret), Brahim Zerouki retient, entre autres hypothèses, une racine " Ouhr ", proche de la racine Ouhr que l'on retrouve dans Ouahrân (VII). Il recense les sens que l'on peut donner à cette racine, entre autres : résidence, station, lion, si l'on retient une origine berbère au toponyme " Tahart ". Si tout au contraire, il s'agit d'un nom arabe " berbérisé " par les autochtones, la racine Ouhr pourrait signifier : faire tomber, mettre quelqu'un dans l'embarras, effrayer quelqu'un, et ainsi, toujours selon Brahim Zerouki, Ouahran pourrait signifier " la grande peur " (racine arabe: Ouahara) (8).

2. Un choix difficile

Après avoir exposé les solutions données au problème de l'origine du nom d'Ouahrân par les auteurs précités, ils convient maintenant de faire un choix et de le justifier. L'idée directrice de ce choix doit être la suivante : au Maghreb, dans la très grande majorité des cas, les toponymes sont d'origine berbère, ce qui est normal dans un pays occupé par les Berbères, 10 000 ans avant notre ère. Il faut constater, ensuite, que parfois les toponymes berbères ont été supplantés par ceux apportés par les conquérants du Maghreb : Phéniciens, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes et Français.

Qu'en est-il pour Ouahrân ?

3. " OUAHRAN ", toponyme berbère

L'histoire d'Ouahrân nous a appris que la ville a une origine très ancienne qui remonte à l'arrivée des Berbères dans la région, il y a 6 000 à 8 000 ans. Cette ancienneté du site fait présumer que ses habitants lui ont donné un nom qui, très souvent chez les Berbères provient d'une caractéristique géographique du lieu (montagne, plaine, mer, rivière ...) ou encore des animaux fréquentant la région (lion, hyène, chacal, tortue, perdrix, escargot ...). Ceci admis, peut-on supposer que ce nom a été supplanté ou bien a été déformé par les conquérants étrangers ?

Les Phéniciens

Il n'est pas établi que Phéniciens du Liban, puis Puniques de Carthage se soient installés dans le port d'Ouahrân. D'autre part, Ouahrân paraît bien étranger à la langue punique. Cette hypothèse d'un nom phénicien ou d'un nom berbère " punicisé " doit être rejetée.

Les Romains

Ils ont bien connu le port d'Oran qu'ils ont appelé, en le groupant avec celui de Mers el-Kébir, Portus Divini. Manifestement, à l'époque romaine, Portus Divini s'est ajouté, pour ceux-ci seulement, au nom berbère et ne l'a pas supplanté. Il est tout aussi évident, que Portus Divini ne peut être à l'origine du nom d'Ouahrân, qui n'a aucun caractère latin.

Les Vandales

Il ne semble pas qu'ils se soient installés à Oran. Puis, là où ils ont exercé leur pouvoir, ils ont simplement repris les noms romains. Ils sont donc tout à fait étrangers au toponyme Ouahrân.

Les Byzantins

Leur pouvoir ne s'est pas étendu jusqu'en Oranie, le royaume d'Oran paraissant avoir été leur allié. D'ailleurs, Ouahrân, est un terme étranger au grec comme au latin.

Les Arabes

Il est à noter que les historiens arabes qui, les premiers, font sortir Oran de l'ombre, ne disent nullement qu'à cette époque, vers 902/903 de notre ère, les Musulmans espagnols qui en prennent possession lui ont donné le nom d'Ouahrân. Leurs écrits doivent être compris en ce sens, que la ville existait à cette époque, qu'elle était peuplée d'indigènes (berbères) et qu'elle portait le nom qui lui avait été donné par ces derniers (I). Dès lors, l'origine berbère de Ouahrân parait logique.

Et au surplus, les noms d'origine arabe proposés par quelques auteurs ne peuvent, manifestement, pas être retenus.

Ainsi :

"- Lieu difficile d'accès " Ouaâr " (9) outre qu'il ne correspond pas à l'orthographe arabe ouahrân, ne peut pas avoir désigné un site bien accueillant."

"- ouahrân, la grande peur, doit être écartée, pour la même raison."

Les Turcs et les Français

Nous entrons dans des pages d'histoire bien connues et nous savons que ni les Turcs, ni les Français n'ont donné de nom à la ville d'Ouahrân, que les derniers ont simplement francisé en Oran, par suite de l'impossibilité pour un Européen de prononcer correctement le mot, comme nous le verrons dans un instant. Il résulte de cette étude que, Ouahrân " est bien un toponyme d'origine berbère. Mais que pouvait-il signifier ? Et a-t-il été déformé ? Ce qu'il convient, maintenant, d'examiner.

4. Signification de " Ouahrân "

Plusieurs significations ont été proposées pour expliquer le toponyme Ouahrân -.

AHRI - IHIREN : LA SOURCE - LES SOURCES

Voilà une proposition séduisante Ihiren, c'est-à-dire les sources. Mais, il faut admettre une déformation du mot par les Berbères eux-mêmes, avant l'arrivée des Arabes, en Ouahrân, ce qui paraît invraisemblable. Et d'autre part, il y a un détail géographique qui s'oppose à cette signification de Ouahrân ; ce qui a donné naissance à un site peuplé par l'homme sur les pentes du ravin qui domine le port d'Oran, c'est une source, la source aujourd'hui appelée " Ras El Aïn " d'où la dénomination du ravin où coulait la petite rivière formée à partir de celle-ci. Jusqu'à une époque relativement récente, il n'y a eu qu'une seule source pour alimenter la ville d'Oran (II). La seconde source captée par l'homme, celle appelée " Bilal " sur les pentes du Murdjadjo, au-dessus du plateau de la "Blanca " date du début du XVe siècle.

Ces considérations amènent à abandonner cette proposition sur le sens de " Ouahrân ".

AR - IREN: LE LION - LES LIONS

La racine berbère AR qui désigne le lion (pluriel Iren) est bien connue. On la retrouve aujourd'hui, en Kabylie, sous la forme Airad (pluriel Airaden) et au Hoggar, chez les Touaregs du Nord, de langue tamahac, sous la forme Ahar (pluriel Aharen). Les Berbères, de la Préhistoire à l'Antiquité ont souvent donné le nom des animaux qui fréquentaient les lieux, à cet endroit. Et s'il y a un animal qui a toujours exercé une emprise fascinante sur l'homme, c'est bien le roi des animaux: le lion. D'une part, le climat humide du Maghreb aux temps préhistoriques a favorisé le développement d'une flore, d'une végétation qui a permis à de grands troupeaux de ruminants d'y vivre. On y trouvait en abondance des buffles, des antilopes, des zèbres, des cerfs.... suivis, bien sûr, par leurs prédateurs : lions, panthères, hyènes, chacals... Dans l'antiquité, certaines espèces ont été éliminées par l'homme qui peuplait de plus en plus des territoires jusque-là sauvages. Les éléphants, les autruches ont commencé à disparaître. Mais les fauves sont demeurés assez nombreux pour répondre aux demandes des cirques romains. Et c'est le cas à Oran et en Oranie, où le lion a vécu, en nombre, à ces époques. Nous en avons de multiples témoignages dans la salle romaine du Musée Ahmed Zabana d'Oran (ancien Musée Demaeght). Ainsi, y sont exposées une poterie représentant un lion qui attaque un cheval, et deux lampes en terre sur lesquelles sont dessinés des lions en situation de course, qui ont été trouvées à Saint-Leu (ancien comptoir phénicien devenu ensuite le port romain de Portus Magnus) à 35 km à l'est d'Oran, aujourd'hui Bettioua. Sont également présentées dans cette salle, une bouche de gargouille avec une tête de lion, trouvée à Tagremaret (autrefois Dominique Luciani, près de Frenda entre Mascara et Tiaret), une poterie avec un lion qui marche, trouvée à Ouled Mimoun (autrefois Lamoricière) et une autre poterie avec un lion qui fuit, trouvée à Aïn Témouchent (III). Un autre témoignage intéressant de la présence fréquente du lion dans la région d'Oran, c'est le nom du massif qui domine la baie d'Oran, 10 km à l'est de la ville en direction de Saint-Leu. Les indigènes l'appellent d'un nom arabe, le Djebel R'âr (11), c'est à dire la " Montagne de l'antre ". Il faut comprendre par là, la montagne du repaire du lion, ou des repaires des lions. C'est d'ailleurs ce nom qui lui a été donné par les Français : la Montagne des Lions. Très certainement, les pentes boisées de ce massif, tout comme celles du Djebel Murdjadjo qui domine Oran à l'ouest, devaient abriter des meutes de lions, aux époques préhistoriques et pendant l'Antiquité. C'est pourquoi, les anciens Berbères ont probablement voulu marquer cette présence du lion sur le site d'Oran, en lui donnant un nom faisant état de cette particularité, un nom qui avait vraisemblablement une racine " Iren " (les lions). Mais comment expliquer le nom de " Ouahràn " à partir de la racine " Iren " ? Il a été proposé une explication faisant état de l'arabisation du mot berbère " Iren " ; en ce sens, l'avis de Sidi-Ikhlef, responsable de la bibliothèque du musée Zabana d'Oran, soit " Wahran: deux lions " (12).

Mais il semble bien qu'il soit possible d'expliquer le passage d'un toponyme de racine " Iren " à celui de " Ouahrân " en faisant simplement appel à la langue berbère. Dans les dialectes berbères, il existe une préposition de lieu, le vocable " Oua " ou encore " Ouah " qui signifie "c'est.... il y a.... à cet endroit..., l'endroit de... ". Et ainsi, " Ouah iren " aurait pu désigner le site d'Oran, c'est à dire un endroit où il y a des lions, ou bien l'endroit des lions.

Mais comment " Ouah iren " serait devenu " Ouahrân " ?

On peut admettre une déformation de " Ouah iren " en " Ouahrân " due aux Berbères, la voyelle " i ", lettre faible s'effaçant devant la consonne forte " h " dans la conversation courante, et la ressemblance entre le son final " rene " et celui de " rane " entraînant la disparition du premier.

Vraisemblablement, ces déformations datent de l'arrivée des Arabes à Oran, au début du Xe siècle car elles correspondent à des sonorités habituelles de la langue arabe, surtout en ce qui concerne le son final " ane " très fréquent en arabe. La référence au vocable berbère " Iren " permet aussi, d'expliquer pourquoi le site d'Ouahrân a pu être appelé par les Berbères, habitants d'Oran au Moyen-Age : Oued El-Haran ou Oued El Ouahrân (IV) (12). A cette époque, les Berbères sont déjà bien arabisés, et commencent à utiliser des mots arabes. On peut supposer que la rivière qui part de la source du Murdjadjo, descendant le ravin de Ras El-Afn pour se jeter dans la mer, à hauteur du port s'appelait alors en berbère : la Rivière des Lions, car ces fauves devaient venir s'abreuver là, au seul point d'eau de la région. Le nom berbère de rivière des lions, devait être " Lilu ouah Iren " ou " Sua ouah Iren " ou encore " Tttt ouah Iren ". Dans tout le Maghreb le mot arabe " oued ", a rapidement supplanté les mots berbères: lilu, itel, sua ou titt. Ainsi, le seul mot " lions = Iren " étant conservé comme qualificatif de la rivière, l'expression serait devenue Oued El-Iren, déformée ensuite en Oued El-Haran ou Oued El-Ouahràn.

Voilà les raisons qui incitent à donner une origine berbère au toponyme " Ouahrân ". Mais, il reste à expliquer comment " Ouahrân " (prononciation Ouahrane) est devenu pour les Européens " Oran ".


III. DE OUAHRAN A ORAN

Ouahrân (13) prononciation " ouah/râne", voilà qui n'est pas facile à dire pour un Européen, non familiarisé avec les sons gutturaux des consonnes de l'alphabet arabe.

La première syllabe se termine par la consonne " ha " (14) un " h " expiré fortement du fond du larynx, guttural car il ne supporte aucune voyelle.

Cette difficulté de prononciation est accentuée par le fait que la seconde syllabe commence par la consonne " ra " (15) qui doit donner un son " r " roulé.

Il était donc inévitable que ce nom soit déformé par les Européens. Et c'est ce qui s'est produit, quand les premiers commerçants européens sont venus négocier dans le port d'Ouahrân. Pisans et Génois dès 1133, Marseillais à la fin de ce XlIe siècle, Catalans, plus tard, au début du XIVe siècle, et Vénitiens à la même époque ont déformé le nom du port où ils venaient commercer.

Nous le savons à partir de l'orthographe donnée à Ouahrân, et ainsi par la transcription en caractères latins de ce toponyme :

"- Horan, sur des portulans (cartes marines) des Génois du début du XlVe siècle,"

"- Boran, sur une carte marine des Pisans, de la même époque,"

"- Oram, sur les cartes pisanes, génoises, catalanes ou vénitiennes des XVe et XVIe siècles."

"- Oran apparaît sur un portulan génois de 1384, se généralise au cours du XVIe et devient le seul toponyme employé à la fin de ce siècle et depuis cette époque."

Vraisemblablement, la prononciation d'Oran était " orâne" avec un accent tonique sur le son final " an " commun dans toutes les langues d'origine latine de la Méditerranée, et notamment en espagnol où cette prononciation s'est conservée. Le 18 mai 1509, les Espagnols s'emparent d'Oran. Chassés par les Turcs, après deux siècles de présence, en 1708, ils reviendront fin juin 1732 pour en partir définitivement en mars 1792. Cette très longue occupation va fixer chez les Européens le toponyme Oran qui sera repris par les Français qui s'y installent le 4 janvier 1831, mais avec l'accent tonique final, en moins (V).

L'Algérie indépendante a conservé Oran comme transcription du toponyme Ouahrân, en caractères latins.


CONCLUSION

Bien peu d'Oranais ont su dans le passé quelle était l'origine du nom de leur ville, bien peu d'Oranais savent, aujourd'hui, quelle est l'origine du nom d'Ouahrân. Mais même si les Oranais, qui ont su ou qui savent que le nom de la ville est dû à la présence des lions qui fréquentaient les lieux, il y a quelques siècles, ont été et sont peu nombreux, tous ont été et sont fiers de leurs lions. Il s'agit, bien sûr, des deux superbes lions en bronze du sculpteur animalier Auguste Cain, situés de part et d'autre des escaliers de la mairie d'Oran, construite en 1888, place Foch, connue des Oranais sous le nom de place d'Armes.

Née sous le signe des Lions, Oran reste toujours sous leur bonne garde

IN CHA ALLAH (16)




Notes

(I) Il est fort possible que des chercheurs aient publié leurs travaux sur ce point de l'histoire d'Oran, dans des articles parus dans le Bulletin de la Société de Géographie et d'Archéologie de la Province d'Oran (B.S.G.A.P.O.) qui a été édité en 1878 à 1960. Malheureusement, je n'ai pu, à ce jour, trouver et consulter ces bulletins.
(II) Du nom donné par les Romains à leurs provinces du Maghreb.
(III) Les pierres écrites en caractères phéniciens trouvées près d'Oran sur l'emplacement actuel de Port-aux-Potdes n'ont pu nous faire connaître le nom donné à ce port par les Phéniciens et pas plus nous faire savoir sous quel nom, ils ont pu connaître Oran.
(IV) Ouvrage cité, pages 36 et 37
(V) L'ouvrage de Bérard est introuvable, mais il est cité par Lespes, dans son livre, un classique sur Oran, intitulé " Oran, Etude de Géographie et d'histoire urbaines " paru dans la collection du Centenaire de l'Algérie, chez Félix Alcan à Paris en 1938. Lespes, prudemment, cite plusieurs hypothèses sur l'origine du nom d'Ouahrân, mais sans prendre parti.
(VI) Le général Didier, dans l'ouvrage précité, page 88, expose une autre hypothèse, celle de Mme Nelly Brum, professeur d'Histoire à Oran, qui dans son ouvrage " La Croisade de Ximénès en Afrique ", paru en 1898 à l'Imprimerie Fouque d'Oran, donne comme nom de la ville: Guadaharan. Manifestement, comme le fait remarquer le général Didier, il s'agit de Oued El-Haran, déformé par les Espagnols comme Oued El-Kébir devenu Guadalquivir...
(VII) La lettre " t " que l'on trouve au début et à la fin du mot " Tahart " est, en berbère, le signe du féminin.


(I) El Bekri, ouvrage précité, page 144. Ibn Khaldoun, "Histoire des Berbères ", tome 1, page 283. Librairie orientaliste Paul Geuthner, Paris - 1982.


(II) Dans tout le Maghreb, la source d'eau est désignée d'une manière imagée par le mot " 'aïn " (10) qui signifie " oeil ",. " Râs " (10) c'est la " tête ". Il y a donc une redondance dans la locution arabe " Râs el Aïn ".


(III) L'inventaire de la salle romaine m'a été aimablement offert par le responsable de la bibliothèque du musée, M. Sidi-Ikhlef, qui m'a donné son avis sur l'origine du nom d'Oran, le 20 mai 1992.


(IV) Noms cités par MM. Fey et Didier dans leurs ouvrages précités.


(V) Les Oranais, que l'on disait fâchés avec les sons " on, an, et en ", disaient " Oron " bien souvent...



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