Algérie - Actualité littéraire

Critique de la xénophobie ordinaire La leçon sur le racisme d’un écrivain choqué


Critique de la xénophobie ordinaire La leçon sur le racisme d’un écrivain choqué
Face au sentiment de gâchis qui l’a oppressé lorsque des élèves lui ont renvoyé en pleine figure son origine algérienne, Akli Tadjer trempe une plume sincère dans l’encrier pour un vigoureux essai sans concession.

Akli Tadjer avait été sérieusement bouleversé, en septembre dernier, lorsque dans une classe de lycée de province, des élèves ont estimé qu’ils ne pouvaient pas lire son livre, Le Porteur de cartable (Lattès 2002) ni rencontrer son auteur. Ils invoquaient le fait que Tadjer n’est pas français et, pis encore peut-être, que les personnages avaient des noms arabes, dont celui de Messaoud.

L’enseignante l’en informa. Akli Tadjer rendit l’affaire publique. Elle fit le tour des médias en France et dans d’autres pays. En Algérie même, plusieurs médias la répercutèrent. Finalement, l’auteur, froissé, refusa la sensiblerie et se rendit dans l’établissement frondeur en novembre, pour parler avec ces élèves dont le racisme juvénile le heurtait au plus profond. Il raconte cette expédition peu ordinaire dans un petit livre qui vient de paraître aux éditions Lattès : Qui n’est pas raciste, ici ? Cette question abrupte fut la première qu’il lança comme un harpon aux élèves dès la minute initiale de leur contact: «On s’interpelle du regard, on se jauge, on soupire d’agacement.

Certains n’ont pas l’air d’avoir compris le sens de la question et se la font répéter par leur voisin.» Le moment est très particulier. Le temps pour l’écrivain de constater l’uniformité des enfants: «Ils sont tous des Français blancs, dignes des films des années 70. ( …) Pas de Noirs, pas de Jaunes, pas d’Arabes, pas même un métis. Tous multicolores.»

Dans le silence, il réitère la question : «Une douzaine d’élèves lèvent la main, certains hésitent encore, puis finissent par se décider. (…) Huit sont restés les bras croisés, buste raide, tête haute, ils me défient du regard. D’une certaine façon, je les trouve courageux d’oser me braver ainsi.»

Puis peu à peu, un certain échange s’instaure. Akli Tadjer ne s’avoue pas vaincu. «Je ne suis pas ici pour remplir du vide. Je suis là pour que nous crevions l’abcès. (…) Et expliquer qu’on ne naît pas raciste, mais qu’on le devient, qu’être raciste, c’est se sentir supérieur à l’autre», écrit-il.

«Je n’ai vu que des jeunes gens réservés, inquiets pour leur avenir»

Le décor est planté et au fur et à mesure que la parole se libère, parfois tendue, parfois plus facile, Akli Tadjer sent que la parole peut porter : «En entrant dans cette classe, je pensais trouver des petits durs, hostiles, butés. Je m’attendais même à des provocations de leur part. Je n’ai vu que des jeunes gens réservés, inquiets pour leur avenir. Comme leurs parents qui ne travaillent pas, ils se sentent déclassés et oubliés.

Le bouc émissaire à leur malheur est alors tout trouvé. Il est le même depuis la nuit des temps : l’étranger.» A un adolescent qui veut garder un souvenir de ce moment, il fait une dédicace sur son livre : «J’écris : ‘Nous avons tous en nous la capacité de haïr l’autre, mais nous avons aussi la capacité de nous ouvrir aux autres. A toi de choisir ton chemin, jeune homme’.»

Ce déplacement risqué, mais au bout du compte maîtrisé, pousse Akli Tadjer à faire un retour sur lui-même, sur son existence mitigée, entre origines kabyles et sa vie en France où il est né.

Il refait sans concession son parcours de Franco-Algérien, fier depuis toujours de ce qu’il est : «Moi, j’aimais les deux. La France, mon pays de tous les jours où j’avais mes repères géographiques et mes attaches affectives, et l’Algérie, comme une chimère baignée de soleil avec des souvenirs à venir.» Avec cette phrase qui clôt le livre en ouvrant une perspective avouable : «Je sais aussi que c’est de l’addition de nos antagonismes que naîtra la beauté.»

«On m’assignait à la beuritude»
n Pendant quinze ans, après son premier livre paru en 1984, Les ANI du Tassili, Akli Tadjer a arrêté d’écrire jusqu’à la parution, en 2000, de Courage et patience (comme tous ses livres chez Lattès et en Pocket).
Pourquoi ? Il le révèle dans son livre. Après la sortie du premier ouvrage, «on voulait mon avis sur l’immigration, la situation politique et économique en Algérie, voire dans le Maghreb – des questions pour lesquelles je n’avais aucune compétence. Parfois, à la fin de l’enregistrement, on me demandait l’adresse d’une bonne couscousserie».
Ce qui dérangeait Tadjer, c’est que «ces autres M. Jourdain qui faisaient du racisme sans en avoir l’air ne se seraient jamais permis d’interviewer un auteur juif, breton ou corse» de cette manière là : «Ils ne me questionnaient jamais sur mes goûts littéraires, musicaux… » «On m’assignait à la beuritude, il fallait que je me démmerde avec ça. J’en étais tellement frustré que j’ai pris mes distances avec le monde des lettres pour y revenir quinze ans plus tard.»
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