Algérie - Mohammed Ech-Cherif Et-Tlemcèny

Biographie de Mohammed Ech-Cherif Et-Tlemcèny



MOHAMMED Ben AHMED BEN ALI BEN MOHAMMED BEN ALI BEN MOHAMMED BEN EL-QACIM BEN HAMMAD BEN ALI BEN ABDAL¬LAH BEN MEIMOUN BEN OMAR BEN IDRIS BEN IDRIS BEN ALI BEN ABOU TALIB (1).
Telle est sa généalogie que j'ai trouvée écrite de la main de son fils. C'est le cheikh communément appelé Ech-Cherif Et-Tlemcèny (Le Chérif hassanide de Tlemcen). Il a été l'imam et le savant non seulement de Tlemcen, mais de tout le Maghrib. Voici ce que dit de lui l'imam Ihn Merzouq El-Hafid : « C'est le professeur de nos professeurs, le plus docte, sans contredit, de tous ses contemporains. »
Ibn Khaldoun s'exprime ainsi en parlant de notre Chérif : « C'est notre ami, l'imam sans égal, le chevalier des sciences rationnelles et traditionnelles, celui qui tonnait à fond le droit et ses principes fondamentaux, Abou Abdallah le Chérif, plus connu sous le nom ethnique d'El-Alaouy qui lui vient d'un village situé dans le district de Tlemcen et appelé El-Alaouïyin. Les gens de sa famille ne se vantent point de leur noblesse, parce qu'il y a des gens fort peu scrupuleux qui, n'ayant aucune connaissance sur les généalogies, ne craignent pas de mentir sur leur extrac¬tion, ce qui fait qu'on considère la noblesse comme une chose sans importance et qu'on n'en fait aucun cas. Abou Abdallah le Chérif fut élevé à Tlemcen et apprit les premiers éléments de la science auprès des cheikhs de cette ville. Il suivit en particulier l'enseignement des deux fils de l'Imam et étudia sous leur direc¬tion la jurisprudence, les fondements de la religion et la théologie scolastique. Il s'attacha ensuite à notre professeur, le cheikh El-Aboly, et après avoir meublé son intelligence d'une foule de connaissances mises à sa portée par ce savant, il put faire jaillir du riche fond de son esprit des torrents de sciences et de lumières. Puis il se rendit à Tunis dans le courant de l'année 740 (inc. 9 juillet 1339). C'est dans cette cité .qu'ayant rencontré notre savant professeur Abou Abdallah ben Abd-es-Salam, il suivit les conférences de celui-ci, dont il retira le plus grand profit, et où il puisa une profonde connaissance de la jurisprudence. Ibn Abd-es-Salam aimait à l'entendre parler, recherchait sa société et se plaisait à reconnaître son mérite. L'on a même prétendu qu'il le recevait en particulier dans sa maison pour lui expliquer le chapitre qui traite du soufisme dans le Traité de la guérison, par Ibn Sina (Avicenne), ainsi que les Résumés du livre d'Aris¬tote par Ibn Rochd (Averroès) ; qu'il lui donna successivement des leçons d'arithmétique, de géométrie, d'astronomie et de par¬tage des successions qui mirent le comble à tout ce qu'il savait déjà en 'fait de droit, de grammaire et d'autres sciences relatives à la loi divine. Quant aux matières de controverse, le Chérif avait, comme l'on dit, le bras long et le haut pas. Ibn Abd-es-Salam reconnaissait chez son disciple toute l'étendue de son savoir et rendait justice à son mérite.
Le Chérif, étant revenu à Tlemcen, se fit un devoir d'enseigner et de propager la science; ses succès furent tels que le Maghrib regorgea d'étudiants et devint un foyer de lumières. Cela dura jusqu'au jour où des troubles éclatèrent dans ce pays à la suite du désastre de Kairouan (10 avril 1348) (2). Après la mort du sultan mérinide Abou'l-Hacèn, son fils Abou Inan, s'étant mis en marche contre Tlemcen et s'étant emparé de cette ville en 753 (inc. 18 février 1352), attacha Abou Abdallah à sa personne, le choisit avec d'autres cheikhs pour faire partie de son conseil scientifique et l'emmena à Fez. Le Chérif finit par s'ennuyer de son séjour forcé dans un pays étranger, et ses plaintes souvent répétées irritèrent le sultan. Sur ces entrefaites, Abou Inan ayant appris que le sultan de Tlemcen, Othman (Abou Saïd) (3), fils d'Abderrahman, avait, avant de mourir, choisi le Chérif comme tuteur de son fils ; qu'il avait déposé pour celui-ci une certaine somme d'argent chez l'un des notables de la ville de Tlemcen et que le Chérif était au courant de celte affaire, Abou Inan, disons-nous, se fit remettre le dépôt et dans sa colère il traita durement le Chérif et le jeta en prison. Après un mois de détention et dans les premiers jours de l'année 756 (inc. 16 janv. 1355), le Chérif fut retiré de prison et envoyé en exil. Après la conquête de la ville de Constantine (758=1357) (4), le sultan lui rendit sa faveur et l'admit de nouveau dans son conseil scientifique, honneur dont le Chérif jouit jusqu'à la mort tragique du sultan, laquelle arriva vers la fin de l'année 759 (30 nov. 1358). Abou Hammou (5), fils de Youçof (Abou Yakoub) et petit-fils d'Abderrahman (Abou Zeïd), s'étant alors emparé de Tlemcen (janvier 1359) (6) en arrachant cette ville au joug des mérinides, invita le Chérif, qui résidait à Fez, à se rendre à sa cour, ce que celui-ci obtint avec l'agrément du vizir Ibn Omar (El Hacén) ibn Abdallah, régent, à cette époque, de l'empire mérinide. Le Chérif se mit en route pour se rendre à Tlemcen où Abou Hammou lui fit l'accueil le plus empressé. Comme le roi lui fit comprendre qu'il était dési-reux d'épouser sa fille, le Chérif la lui donna en mariage. C'est pour lui que le sultan fit bâtir un collège (la Medersa Yaqoubiya), où le Chérif fut installé comme professeur et où il enseigna jusqu'à sa mort, c'est-à-dire jusqu'à l'année 771 (inc. 5 aoùt 1369 (7).
« Quant à la date de sa naissance, il m'a appris lui-même qu'il était venu au monde en l'année 7l0 (inc. 31 mai I310). »
Tels sont les renseignements biographiques fournis par Ibn Khaldoun (Abderrahman) sur le Chérif. .
Abou'I-Abbés El-Ouenchericy dit : « il est vrai que le Chérif naquit en l’an 710. Quant à sa mort, elle arriva la nuit du samedi au dimanche 4 Dhou'l-hidjja, à la fin de l'an 771 (nuit du 28 au 29 juin 1370). Notre cheikh, ajoute le même écrivain, était un doc¬teur, un imam d'un savoir profond, un connaisseur accompli. On lui doit un commentaire sur le Sommaire d'El-Khounedjy (8), et un autre ouvrage intitulé : La clef des fondements du droit. »
Le Chérif Abou Abdallah eut pour disciples des docteurs éminents, parmi lesquels il faut compter son fils Abou Mohammed, l'imam EchChatiby, Ibn'Zemrok, Ibrahim Et-Thagry, Ibn Khaldoun, le cheikh Ibn Att.ab, Ibn Es-Sekkak, le jurisconsulte Mohammed ben Ali El-Mediouny, le saint et prédicateur Ibrahim El-Masmoudy et autres savants. Je trouve chez l'un de ses con¬temporains, le cid Ibn Merzouq el-Khatib, un éloge pompeux à l'adresse de notre Chérif ; il dit entre autres choses qu'Abou Abdallah était parvenu à un si haut degré de science qu'il pou¬vait, dans l'interprétation de la loi, s'affranchir de l'autorité des chefs de la secte malékite et décider selon son propre sentiment.
Note. — Voici ce que plus d'un écrivain raconte au sujet de celui qui fait l'objet de cette notice : « lorsque le Chérif Abou Abdallah se fut rendu dans la ville de Tunis, il s'empressa d’aller assister à une des leçons d'Ibn Abd-es Salam, mais n'ayant pas trouvé de place dans la salle, il alla s'asseoir à l'ex¬trémité de cette salle, au dernier rang des auditeurs. Le cheikh expliquant ce verset du Coran : « Souvenez-vous de Dieu d'un souvenir fréquent (Sour. XXXIII, 41), dit : « Que faut-il entendre par ce souvenir ? S'agit-il d'un souvenir exprimé par la langue ou d'un souvenir rappelé intérieurement par le cœur. Et il se prononça en faveur de ce dernier, par la raison que le souvenir a pour contraire l'oubli conformément à ce que Dieu a dit : « il n'y a que Satan qui ait pu me le faire oublier ainsi pour que je ne me le rappelasse pas (sour. XVIII, v. 62) ». C’est qu’effectivement, ajouta-t il, l'oubli a pour siège le coeur et il en est de même du souvenir, attendu que ces deux choses, étant opposées, doivent procéder de la même source. » Le Chérif lui répondit : « Cet argu¬ment peut étre retourné, car aussi bien pourriez-vous affirmer que l'opposé du souvenir c'est le silence, que le silence a son siège dans la langue, et que, par conséquent, il doit en être de même de son contraire (le souvenir). » II y en a qui disent que c'est le Chérif qui ouvrit la discussion, et que la réponse fut faite pat' Ibn Abd-es-Salam. Nous trouvons cette discussion mentionnée pat' Ibn El-Araby dans son kitab-el-maçalik (Livre des voies), ut par Nacir-ed-Din ben El-Mouneiyr (9)
Ou raconte qu'Ibn Abd-es-Salam lui dit : « Seriez-vous par hasard le Chérif ?» et que, sur la réponse affirmative de celui-ci, il le pria de quitter sa place et le fit asseoir à sort côté. Après cela, il le reçut eu particulier dans sa maison tout le temps que dura son séjour à Tunis, et lui expliqua le traité Icharat (Théo¬rèmes) d’Ibn Sina (Avicenne). A cette époque, le Chérif était encore fort jeune, puisque, selon l'opinion commune, il était né en 710 de l’hégire. La vérité sur ce point de chronologie est ce qui a été dit par Ibn Khaldoun, dont nous avons cité plus haut l'opinion, opinion adoptée, d'ailleurs, par El-Ouenchericy.
J'avais déjà écrit tout ce qui précède, dit Ahmed Baba, quand il me tomba sous la main un opuscule dû à la plume d'un.Tlem¬cénien qui a retracé la vie du Chérif et celle de ses deux fils. 'J'ai résumé cet opuscule et ai donné à mon travail le titre sui¬vant : Le dire supérieur touchant la biogaphie de l'imam Abou Abdallah Ech Cherif: Qu'il me soit pertuis d'en transcrire ici une partie. Voici donc ce que dit l'auteur de cet opuscule : « Le Chérif Abou Abdallah clôt la série des doctes imams qui pou¬vaient, dans l'interprétation de la loi, s’affranchir de l'autorité dos chefs de sectes et décider d'après leur propre sentiment. Il vint au monde l'an 710. Elevé dans l'amour de la chasteté et de la pudeur, il consacra le temps de son adolescence à l'étude de la science et parvint plus tard à pouvoir écarter le voile qui en cache les secrets. II était doué des plus charmantes qualités, très instruit et très modeste ; nul ne pouvait lui être comparé. Il a été, sous tous les rapports, le phénix de son siècle et le coryphée des malékites dans le Maghrib, De I'Orient comme de l'Occident, des caravanes d'étudiants se dirigeaient vers lui. Il fut le plus érudit des savants de sa secte et le porte-enseigne des malé¬kites. C'est lui qui fit revivre l'orthodoxie et disparaître l'hérésie. Sa noble famille m'a jamais cessé de faire briller ses lumières ; c'est dans son sein que s'est toujours maintenu allumé le flam¬beau de la gloire. Le premier de cette noble race qui pénétra dans ces régions occidentales, ce fut Idris (10), fils d'Abdallah, fils de Hacèn (fils du calife Ali), dont tout le monde connaît l'his¬toire. En se perpétuant au milieu de nous, cette famille a fini par faire briller sur nous l'éclat de cette lune (le Chérif) et par répandre tant de science que les esprits en sont stupéfaits.
« Le Chérif Abou Abdallah apprit le Coran sous la direction du cheikh Abou Zeïd (11) ben Yaqoub; dès les premiers pas de son éducation, on vit éclater chez lui les signes de son illustre extraction. Il avait un oncle maternel, du nom d'Abd-el-Kérim, qui jouissait de la plus grande considération à cause de ses vertus et do son zèle pour la science. Ayant remarqué chez le fils de sa soeur les indices des dispositions les plus favorables, il lui voua toute son affection, et il se plaisait à le mener, tout jeune qu'il était, aux cours publics d'enseignement. Les réponses de l'enfant émerveillaient tout le monde. Son oncle le mena un jour au cours professé par le savant Abou Zeïd, fils de l'Imam, qui, en expliquant le Coran, vint à parler du Paradis et de ses délices. Le jeune Abou Abdallah se permit de lui dire : « maître, est-ce que dans le Paradis on pourra étudier la science ? » — Parfaitement, lui répondit le professeur : l'on y trouvera tout ce qui peut faire les délices des âmes et des yeux. » — Si vous m'aviez dit, répli¬qua l'enfant, qu'il n'y a rien à apprendre au Ciel, je vous aurais répondu qu'il n'y aurait point non plus de plaisir à s'y trouver.
Cette réponse plut infiniment au professeur, qui, plein d'admira¬tion pour l'enfant, ne cessa d'appeler sur lui les bénédictions du Ciel. Dieu exauça les prières du cheikh et accorda ses faveurs au jeune Chérif. L'une des grâces signalées dont le Très-Haut le favorisa, ce fut de lui donner pour maître le cheikh El.Aboly qui lui communiqua son immense savoir et ses facultés extraordi¬naires, et lui donna l'instruction la plus solide. Le jeune homme retira de cet enseignement les plus grands avantages et il se reposa toujours sur l'autorité d'un tel maître. Dans sa vieillesse comme dans ses jeunes ans, il ne cessa de s'appliquer à l'étude et il persévéra dans cette habitude jusqu'à ses derniers moments. Sa soif d'apprendre allait toujours croissant. II étudiait avec tant d'ardeur et de passion que l'un de ses disciples a raconté que, pendant quatre mois qu'il avait demeuré avec lui, il ne l'avait jamais vu quitter, ses habits ni son turban; que sans cesse il s'ap¬pliquait à la lecture ou se livrait à des recherches scientifiques; que, lorsque le sommeil le gagnait, Il faisait un léger somme, soit assis, soit couché, et que, lorsqu'il s'éveillait,il ne reprenait plus son sommeil, mais qu'il disait: La nature est satisfaite; qu'ensuite il faisait ses ablutions qui étaient pour lui la chose du monde la plus aisée à faire, et qu'après cela il se remettait à l'étude.
« Il commença à donner des leçons à l'âge de douze ans; les élèves, munis de leurs tablettes, se rendaient chez lui où ils atten¬daient sa sortie de l'école, et il leur expliquait alors la leçon qu'il venait lui-même d'entendre. Il fut le disciple des deux cheiks et imams: Abou Zeid et Abou Mouça, fils de l'Imam, personnages des plus savants, l'élite des temps passés, qui ont surpassé en mérite tous leurs contemporains, qui ont acquis le plus grand renom et ont joui auprès des rois et des princes de l'influence la plus haute et la plus efficace. Notre Chérif profita à merveille de l'enseignement de ces deux illustres professeurs; il s'enrichit auprès d'eux d'une ample moisson de savoir et de connaissances, si bien que l'un gravait dans sa mémoire les opinions qu'il avait émises et que l'on aimait même à répéter les expressions dont il avait l'habitude de se servir, Outre les deux fils de l'Imam, il eut plusieurs autres maîtres, notamment ceux qui enseignaient dans sa ville natale, savoir : le jurisconsulte et imam Abou Mohammed El-Madjacy , le cadi Abou Abdallah Mohammed Ibn Amr Et-Temimy , Abou Abdallah Mohammed ben Mohammed El-Barouny, Abou Mouça Amran El-Mecheddaly, le cadi Abou Abdallah ben Abd-en-Nour, le cheikh et cadi Abou'l-Abbès Ahmed ben Lahcén, le cadi Abou'l-Hacèn ben Ali ben Ed-Dhebbah (variante : El-Meddah), Abou Abdallah Mohammed ben En-Nedjjar, l'astronome, et autres savants professeurs qui tous se plaisaient à l'honorer, à l'estimer, à le combler d'éloges et à rendre témoignage à la grandeur de son intelligence, à la viva¬cité et la pénétration de son esprit.
« Les connaissances qu'il avait acquises augmentèrent son prestige, adoucirent son naturel et élevèrent son rang.
« II enseigna les sciences du vivant même de ses professeurs et attira à ses doctes leçons une foule d'étudiants qui trouvaient en lui un professeur doué d'un jugement sain, un savant versé dans la connaissance des journées de Dieu (l'histoire sainte de l'Islam), marchant sur les traces des anciens, adonné à l'étude et à la discussion, un philosophe connaissant les principes des sciences, un théologien dogmatique possédant la plupart des sciences rationnelles, tant anciennes que modernes.
S'étant rendu dans la ville de Tunis, il y fit la connaissance de l'imam Ibn Abd-es-Salam, qu'on venait entendre, à cette époque, de toutes les parties du monde; il suivit son enseignement avec beaucoup d'assiduité et en retira le plus grand profit. C'est à ce propos que son fils Abou Mohammed Abdallah raconte ceci
Lorsque more père se présenta à l'école d'Ibn Abd-es Salam, il s'assit au dernier rang des auditeurs. Le cheikh se mit alors à discuter le sens qu'il convenait de donner au mot souvenir (dhikr). Il se demanda s'il ne fallait pas entendre par ce mot le souvenir oral ou exprimé par la langue humaine. « Maître, lui dit Abou Abdallah, le souvenir est l'opposé de l'oubli; or, l'oubli a son siège dans le coeur et nullement dans la langue, car il est établi que deux choses opposées l'une à l'autre doivent nécessai¬rement avoir le même siège. » Le professeur lui objecta que le souvenir ayant pour opposé le silence, et le silence ayant pour siège ou organe la langue, il s'ensuivait que la langue était le siège de son opposé, le souvenir; et que c'était là le sens littéral du passage en question. Après cette réplique, Abou Abdallah prit le parti de se taire, ne voulant pas répondre par modestie et par déférence envers le cheikh. Or, vous savez que l'opposé du silence est la parole et non le souvenir.
« Le lendemain, Abou Abdallah, s'étant rendu de nouveau à la conférence, s'assit au dernier rang des auditeurs, quand l'étu¬diant qui faisait office de lecteur vint le trouver et lui dit : « Sidi, levez-vous, car le cheikh vous invite à venir vous asseoir à côté de lui. S'étant donc levé de sa place, il alla se mettre à côté du professeur. La séance terminée, Ibn Abd-es-Salam lui dit : « De quel pays êtes-vous? — De Tlemcen, lui répondit Abou Abdal¬lah. — Seriez-vous, ajouta le cheikh, le Chérif Ahou Abdallah? — Oui, «maître, répliqua le Chérif. » A partir de ce moment, le cheikh combla son disciple de témoignages d'honneur et voulut que pendant les leçons il restât assis à son côté ; il lui donna cette marque d'estime et de distinction jusqu'à l'époque où il quitta la ville de Tunis.
« Abou Abdallah recevait des leçons particulières dans la maison du cheikh, et, dans les conférences données par ce pro¬fesseur, il fit la connaissance des plus hauts personnages de la ville, qui admiraient son esprit et chez qui croissaient de jour en jour le respect et la vénération qu'ils professaient pour sa personne. De retour dans sa patrie, l'esprit enrichi de vastes connaissances et orné de sagesse, il se livra à l'enseignement et fit revivre l'étude des lois.
C'était l'un des plus beaux hommes quant au visage, et l'un de ceux qui avaient le teint très blanc. Il devait cette particula¬rité physique à sa noblesse qui brillait dans tous les traits de sa figure. Sa vue inspirait le plus grand respect. II était doué d'une âme noble, d'un esprit grand et élevé. Il portait des habits riches, mais sans recherche ni affectation. Il était magnanime sans orgueil, doux et modéré eu toutes choses. Intelligence puissante, il savait faire entrer les esprits dans le fond de sa pensée. Homme de confiance, juste et ferme, les grands se soumettaient à son jugement sans la moindre contestation. Il était d'une gaîté très franche sans cependant se départir de sa dignité; il se montrait compatissant et miséricordieux envers ses semblables, et c'est avec douceur qu'il les dirigeait dans le droit chemin ; il faisait tous ses efforts pour leur venir en aide, les traitait avec bonté, les accueillait avec bienveillance et les consolait. Il aimait à conseiller les gens du peuple. Généreux, ayant le bras long et la train prodigue, il se plaisait à faire présent d'habits riches et délicats et faisait de nombreuses aumônes. L'on était sûr de trouver toujours en lui un homme d'un commerce doux et facile, ayant le visage rayonnant de gaîté, le coeur sincère et pur.
« Un ,jour, il vit entrer chez lui un homme que l’on désignait sous le nom d'el-Mohtadj : c'était un étudiant éloquent et il arri¬vait de voyage. le Chérif lui donna un habillement et unne somme considérable d'argent. Une autre fois, c'était à Fez, le même individu vint le trouver. Le cheikh lui ayant demandé de ses nouvelles, l'étudiant lui exposa qu'il avait commencé à faire la lec¬ture du Coran dans la mosquée des Kairouaniens (12), mais que ses auditeurs, ignorant sa détresse, ne,lui donnaient absolument rien, et que, de son côté, il n'osait pas mendier dans ce pays. Le cheikh fut touché de compassion, lui envoya le lendemain quatre de ses élèves portant chacun un rouleau de pièces d'argent : « Allez, leur dit-il, assister à la leçon de ce professeur, et, quand il se mettra à lire, jetez devant lui ces rouleaux. » C'est ce qu'ils firent, et FI-Mohtadi ayant ramassé cet argent, les combla de bons souhaits et de bénédictions. Quand les gens surent, qu'il acceptait les présents, les rouleaux d'argent, affluèrent chez lui en si grande quantité qu'il finit par jouir d'une grande aisance.
« Un jour, le sultan demanda au Chérif l'explication d'une question traitée par Ibn El-Hadjb dans son ouvrage sur les fondements du droit. « Il n'y a, répondit Abou Abdallah, que le taleb un tel qui comprenne bien cette question.» Il faut. que l'on sache, à ce propos, que ce taleb se trouvait dans le plus grand besoin. Comme le sultan demanda à le voir, on lui dit qu'il se trouvait à la Medersa (yaqoubiya). Il envoya dire alors, à l'administrateur de cette medersa, de donner une mule, un habillement et de l'argent au taleb et de faire venir celui-ci en sa présence. Le taleb, étant bientôt arrivé, élucida le point de droit en question en présence du sultan. On dit: «De qui tenez-vous cette explication? — Je la tiens, répondit-il, de la bouche du Chérif Abou Abdallah. »
A l'époque où vivait le Chérif, les étudiants étaient les plus honorés des hommes; ils étaient très nombreux, fort riches, et retiraient les plus grands avantages de leur profession. De son temps, l'instruction se développa et se répandit. On se rendait en foule auprès de lui pour entendre ses doctes leçons, sa douce éloquence et sa facile exposition. Il ne fallait pas longtemps à un étudiant pour se plaire avec un maître aussi affable et aussi compatissant ; lui, de son côté, ne montrait de préférence que pour ses élèves, qui seuls, du reste, jouissaient de ses faveurs. Il les portait à la recherche de la vérité, les exci¬tait à aimer la sincérité, leur inculquait la connaissance des vérités surnaturelles et les détachait de tout ce qui est créé.
u Il avait soin de préparer chez lui ce qu'il avait à dire et il débitait ses discours devant ses auditeurs de la manière la plus agréable. Il lui arrivait souvent de fixer sur le papier les matières de son enseignement et de les faire paraître sous une forme élégante et châtiée, afin de les rendre plus attrayantes. Il laissait chacun se porter vers la science qui l'attirait, pensant que tous nos penchants naturels tendent à notre bonheur ; aussi disait-il : « Que celui qui se sent des dispositions pour telle ou telle science s'y adonne. » On s'attachait à lui non seulement à cause de la générosité de son caractère, mais aussi pour ses hautes qualités.
Ami avant tout de la justice, on ne le voyait jamais en proie à la colère, et si parfois ce sentiment venait à naître dans son coeur, aussitôt il se trouvait réprimé. Quelquefois même, après un accès de colère, il se levait et allait faire ses ablutions (considérant ce sentiment comme une souillure). Sa société était agréable. Juste et équitable, il rendait service à son prochain sans hauteur ni fierté; indulgent envers les autres, il était scrupuleux et d'une conscience délicate pour lui-même. Dans toute sa conduite, il avait pour règle de suivre les exemples et les traditions des ancêtres. A l'égard des membres de sa famille, il usait de lar-gesses, fournissant à leurs dépenses et contribuant à leur bien-être; il leur donnait des marques de la plus tendre affection; il ne leur épargnait pas, au besoin, les consolations; il leur assi¬gnait des pensions sur ses propres revenus, et se montrait large dans les dons qu'il leur faisait. Il traitait ses hôtes avec la plus grande libéralité; il leur offrait tout. ce qu'il avait. Souvent il lui arriva de procurer à ses écoliers les aliments les plus exquis et d'un prix hors de proportion avec leur fortune. Sa maison était le rendez-vous des savants et des hommes ver¬tueux. Les cheikhs eux-mêmes l'honoraient et lui témoignaient la plus grande vénération. En parlant du Chérif, l'imam 1bn Abd-es-Salam ne craignait pas de dire : u Je ne crois pas que dans tout le Maghrib, il soit possible de rencontrer un savant d'un mérite aussi éminent. » On attribuait au cheikh El-Aboly cet autre propos au sujet du Chérif : De tous les élèves qui ont été dans le cas de suivre mon enseignement, je puis dire que le Chérif a été le plus distingué, le plus intelligent et le plus instruit. Le même cheikh disait encore : u J'ai eu un grand nombre de disciples, tant eu Orient qu'en Occident ; je n'en ai guère vu que quatre d'une incontestable supériorité; or, Abou Abdallah le Chérif les surpasse tous par la hauteur de sou intelligence et par l'étendue de son savoir. » Quand les étudiants qui prenaient leurs leçons auprès du cheikh El-Aboly trouvaient une question obscure et qu'à ce sujet il s'élevait entre eux une discussion délicate, le cheikh leur disait : « Attendez, pour discuter cette question, qu'Abou Abdallah le Chérif soit présent. »
« Le cheikh Ibn Arafa lui dit un jour : « Jamais personne ne pourra atteindre le haut. degré de votre savoir. » Et quand il apprit la nouvelle de la mort du Chérif : « Que Dieu lui fasse miséricorde I s'écria-t-il ; avec lui viennent de s'éteindre les sciences rationnelles. »
« A l'époque où, jeune encore, il se rendit dans la ville de Fez pour faire ses études, il assista à une leçon du pieux cheikh Abd EI-Moumen El-Djanaty (13); une dispute s'étant alors élevée dans l'école, il déploya un riche talent et une grande érudition. Le cheikh Abd-el-Moumen, étonné, jeta les yeux sur lui en lui disant : u Mon ami, est-ce de ton fond que tu as tiré tout ce que tu viens d'exposer, ou bien l'as-tu puisé dans quelque livre ? — Non, lui répondit le jeune homme, je ne l'ai tiré d'aucun livre. » Comme le cheikh, après l'avoir questionné sur son pays et sur sa parenté, lui demanda aussi pour quel motif il était venu à Fez, le Chérif lui répondit qu'il était venu pour étudier sous la direction du cheikh El-Aboly. A ces mots, le professeur ne put s'empêcher de s'écrier : u Louange à Dieu qui t'a accordé son assistance pour te faire obtenir ce qui est agréable à ses yeux. » Après cela, il pria Dieu pour lui et le bénit.
« Une autre fois, le jeune étudiant soutint une discussion avec son maitre Abou Zeïd, fils de l'Imam, au sujet de la tradition qui dit : « Un mort ayant plus de trois épouses ne devra être pleuré que par une seule. » ( ?) Ils disputèrent longuement sur la portée de cette tradition, soit en répondant, soit en faisant des objections ; finalement, la vérité s'étant déclarée en faveur du Chérif Abou Abdallah, le cheikh, vaincu, lui répéta ces paroles du poète : u Chaque jour, je lui enseignais l'art de lancer les traits, et quand ses bras se furent affermis, il dirigea ses traits contre moi. »
« On tient de la bouche du cheikh Abou Yahia El-Mataghry le trait suivant : Un jour que les savants se trouvaient réunis à la Cour du sultan Abou lnan, ce monarque ordonna au juriscon¬sulte, le docte hafidh et cadi Abou Abdallah El-Maqqary de lui expliquer le Coran, honneur que celui-ci ne voulut point accep¬ter, en disant que le Chérif Abou Abdallah était plus digne que lui de remplir cette tâche. « Je sais, lui répondit le sultan, que tu connais parfaitement les sciences coraniques et que tu es capable d'expliquer le Livre sacré ; par conséquent, je veux que tu nous le lises. — Abou Abdallah, lui répliqua El-Maqqary, est plus savant que moi sur cette matière ; je ne saurais, sans témérité, me risquer à lire en sa présence. » Après ce refus qui donna une haute idée de son équité, force fut à Abou Abdallah le Chérif de faire l'explication demandée, en présence de tous les savants du Maghrib. Cette séance eut lieu dans le palais royal. Le sultan descendit de son trône et s'assit avec les doc-teurs sur les tapis. Le Chérif fit alors jaillir de son esprit des sources de sagesse si abondantes que l'auditoire s'en trouva comme stupéfié ; il apporta tant de trésors de science que nul ne pouvait les embrasser. Lorsqu'il eut achevé de parler, le sultan, plein d'admiration, s'écria : « Je vois la science sourdre de la racine de ses cheveux. » Au sortir de la séance, le cadi EI-Fech¬taly vint le prier de mettre par écrit toutes les belles choses qu'il avait dites ce jour-là. « Je n'ai fait, dit-il, que répéter tout ce que vous pouvez lire dans tel et tel livre », et il lui nomma des ouvrages connus d'eux tous. Le cadi apprit ainsi que la mé¬moire est la meilleure des choses et qu'elle est un don naturel qui ne s'acquiert pas par l'étude.
« Mon père m'a rapporté ce que disait le prédicateur (El¬ Khatib) Ibn Merzouq à propos du voyage que fit à Tunis Abou Abdallah : j'ai beaucoup regretté son départ et notre séparation; mais j'ai à remercier Dieu de ce qu'il a bien voulu permettre aux habitants de 1'Ifrigiya de voir et connaître un savant du Maghrib aussi distingué que lui. Et il ajoutait que le cheikh, l'illustre et vertueux jurisconsulte Mouça El-Abdoucy, le doyen des juris¬consultes de Fez, recherchait les notes écrites et les décisions juridiques d'Abou Abdallah et qu'il avait soin de les enregistrer dans ses cahiers; or, il était plus figé qu'Abou Abdallah. Mon père m'a aussi raconté qu'il avait entendu dire au jurisconsulte et traditionniste, le cadi Abou Ali Mansour ben Hadiya Et-Qoré-chy (14) : « Tous les jurisconsultes qui, de notre temps, se sont livrés à l'étude, ont appris ce qu'ils ont pu en fait de science, puis se sont arrêtés ; Abou Abdallah fait seul exception : son zèle pour l'étude croit toujours et Dieu sait à quelle hauteur de savoir ce savant parviendra. »
« D'un autre côté, j'ai aussi ouï dire au jurisconsulte Abou Yahia El-Mataghry ce qui suit : « J'ai assisté bien des fois aux réunions des savants les plus éminents ; jamais je n'en ai vu d'aussi distingués qu'Abou Abdallah et ses deux fils après lui. »
« Pour ce qui est de la variété de son savoir, c'est un fait connu de tout le monde ; on peut dire que, sous ce rapport, il ne laissait rien à désirer. A la connaissance de la loi divine posi¬tive, il joignait celle du mysticisme ou du sens caché qu'elle renferme. Parmi les différentes voies qui conduisent à la Vérité, celle qu'il suivait était la meilleure. Quand il parlait de la con-naissance de Dieu, personne ne pouvait lutter de savoir avec lui, car en cette matière il était sans rival. Le rôle des autres savants, dans ces sortes de conférences, consistait à l'admirer et à lui prêter une oreille attentive. Il introduisit alors ses auditeurs dans les jardins de son paradis et les abreuvait des eaux céles¬tes de son mysticisme, car il possédait parfaitement les sciences relatives au Livre divin. Pendant vingt-cinq ans qu'il mit à expli¬quer le Coran, il le lit de la manière la plus admirable, et cela devant un auditoire des plus nombreux, en présence des plus grands monarques, des princes de la science, de l'élite des hom¬mes vertueux et des étudiants les plus remarquables. pas un des docteurs de son époque ne manqua l'occasion d'aller l'entendre. Il était parfaitement au courant de tout ce qui concerne le Livre sacré : son orthographe, son analyse grammaticale, ses leçons, ses variantes, sa rhétorique, sa force persuasive, ses maximes, le sens caché de ses expressions, ses défenses, ses commande¬ments, ses versets qui abrogent et ceux qui sont abrogés, les dates et autres détails, rien ne lui échappait, et il avait soin d'appliquer à chacune de ces observations toute la portée de son intelligence. Le dernier jour qu'il parla sur ce sujet, chacun fut étonné de la connaissance qu'il avait des choses de Dieu. Il excellait dans la science des traditions : il les comprenait bien, connaissait celles qui jouissent de peu de valeur, celles qui sont obscures, celles qui sont controversées et celles qui sont tout à fait authentiques ; il en nommait les auteurs et en donnait les textes et les variantes. C'était aussi un guide dans la science des fondements de la religion. Il savait administrer les arguments et les preuves et voyait juste. I1 se montrait plein d'égards envers ceux qui suivent la tradition et prenait la défense du droit. Il résolvait les questions les plus difficiles et se chargeait d'exercer l'étudiant à élucider celles qui étaient obscures. Du reste, il suivait exactement la pratique des hommes vertueux des temps passés quand il s'agissait de cacher certains cas qui réclamaient le secret, de garder ceux qui étaient trop intimes. Il composa des ouvrages d’une grande érudition, entre autres un livre sur la prédestination et les arrêts immuables de Dieu, ouvrage excellent où la vérité trouve sa juste valeur, où les notions si peu claires de ce dogme sont exposées avec la plus grande lucidité.
« Les savants du Maghrib avaient recours à ses lumières quand ils avaient à résoudre une question difficile ; c'est ainsi que le savant jurisconsulte, le docteur accompli Er-Rahouny, lui envoya de Touzer plusieurs questions à résoudre, questions dont notre Chérif n'eut point de peine à éclaircir les difficultés, ni à trouver le noeud et la solution. Il était, en effet, l'un des princes de la secte malékite et l'un des docteurs qui, dans l'in¬terprétation des doctrines de cette secte, pouvaient décider d'après leur propre sentiment sans venir compte de l'autorité des chefs. Très intelligent, il étudiait constamment les fonde¬ments du droit et la jurisprudence, les apprenait par coeur et les approfondissait. Il était très versé en droit et savait en découvrir les règles. Motivant fortement ses opinions, ayant un jugement prompt, d'une conscience scrupuleuse et délicate quand il s'agissait de donner une consultation juridique, cherchant dans ce dernier cas à se rapprocher le plus qu'il pouvait de-1a véritable solution, il jouissait de la confiance des gens de religion et craignant Dieu. On lui demandait de toutes parts la solution de questions juridiques. Il s'occupait avec soin des affaires relatives au divorce qui lui étaient confiées: mais il les évitait autant que possible. Il passa une grande partie de sa vie et la plupart de son temps à enseigner le droit, et ne cessa jusqu'à ses derniers jours de faire suivre la conférence, qu'il consa¬crait à l'explication du Livre sacré, d'une leçon sur la Moda¬wana. Les étudiants retirèrent de son enseignement des avan¬tages tels qu'ils n'en avaient pu retirer d'aussi fructueux, de son temps, dans aucune autre grande ville. Or, il arriva que certains jurisconsultes de Fez osèrent desservir le Chérif auprès du sultan Abou Inan, en l'accusant de ne pas être très versé dans la science du droit. Incontinent, le sultan manda à la Cour tous les jurisconsultes, et, quand ils furent arrivés, il ordonna au Chérif de lui expliquer le hadith qui porte : Quand un chien a lapé dans le vase de quelqu'un de vous, etc., pour le mettre à l'épreuve et connaître ce qu'il savait en fait de jurisprudence. Sur ce, le Chérif se mit à parler aussitôt et sans préparation. La première chose qu'il dit fut ceci: Au sujet du hadith en question, il n'y a pas moins de vingt-cinq explications différentes. La première est celle-ci ; voici la deuxième, et il les cita toutes l'une après l'autre. Ensuite, il parla sur la dernière et donna les raisons pour lesquelles il fallait la préférer aux autres, eu s'ex-primant primant là-dessus comme s'il lisait dans un livre ce qu'il disait. Alors le sultan, émerveillé, s'avança vers les détracteurs et leur dit : « Voici l'homme que l'on m'a signalé comme peu versé en droit. »
« Il avait la parole douce, claire et charmante ; la science se manifestait dans ses discours dans toute sa force ; les lumières qui en jaillissaient étaient des plus éclatantes; aussi ses discours étaient-ils compris sans difficulté par tout le aronde, car ils étaient aussi clairs que l'astre du jour. Versé comme il l'était dans les principes du droit, il composa sur celte matière un grand ouvrage qu'il intitula : La clef qui permet d'arriver à fonder les branches sur les racines, ouvrage où il fit accorder les questions de droit avec les principes fondamentaux de cette science. C'était l'un des hommes les plus versés en langue arabe, l'un des plus érudits dans cette science. Pour ce qui est des Belles-Lettres, il en avait acquis une grande connaissance; il était à la fois un lexicographe, un grammairien, un prodige en rhétorique et dans l'art d'orner le style, en sorte que, le jour de sa mort, les étudiants disaient en parlant de lui : « Le médecin est mort », faisant allusion à la connaissance qu'il avait des secrets de toutes les sciences. Il savait, la lexicographie, la grammaire, l'art poétique, les anciens proverbes, l'histoire des peuples, leurs moeurs, les journées célèbres des Arabes, leurs guerres et leurs moeurs; il pouvait raconter l'histoire des hommes pieux et leur manière de vivre, faire connaître la secte des Soufis, leurs coutumes et leurs règles. Il était agréable dans ses conférences et racontait de nombreuses anecdotes. Sa présence était réjouis¬sante. Il était doux dans la conversation, éloquent, très impartial dans les disputes et les discussions, toujours gai et jamais emporté ni maussade. Il connaissait à merveille tout. ce qui concerne l'âme, la manière de la purifier, les belles qualités qui en font l'ornement. Il savait aplanir toutes les difficultés. Quant aux sciences rationnelles, aucune ne lui était étrangère; il possé¬dait la logique, le calcul, l'astronomie, la géométrie, la musique, la médecine, l'anatomie, l'agriculture, ainsi que la plupart des sciences anciennes et modernes. Il composa sur le Djomal d'El-Khounedjy un commentaire qui est l'un des meilleurs ouvrages qui aient vu le jour. Les savants en retirèrent le plus grand profit et s'appliquèrent à l'étudier; ils en multiplièrent les copies à tel point que le livre se répandit et fut dans les mains de tout le monde. II composa aussi un livre sur les donations (15). Il n'a pas produit un grand nombre d'ouvrages parce que sa principale occupation consistait à enseigner. Il sortit de son école une foule innombrable de savants éminents, de personnages distingués, d'hommes pieux et même de grands saints.
« Tout le monde lui témoignait une profonde vénération et avait pour lui beaucoup d'amour. Dieu lui-même avait inspiré cet amour à tous les coeurs; quiconque le voyait ne pouvait s'em-pêcher de lui vouer son affection, même sans le connaître. Les rois lui donnaient des marques d'honneur et de respect ; ils lui assignaient une place distinguée dans leurs conseils; ils le crai-gnaient et écoutaient ses avis. Il lui arrivait quelquefois de se montrer à leur endroit plein de courtoisie et de complaisance, ce qui ne l'empêchait pas de prendre devant eux la défense du droit, de venir au secours des opprimés et de s'occuper des affaires qu'on lui avait recommandées. Voici ce qu'il dit un jour à un souverain, après avoir plaidé en sa présence la cause d'un juris¬consulte auquel il s'intéressait, et qui, malgré cela, avait été condamné à la bastonnade: « Si cet homme est chétif à vos yeux, il n'est est pas moins grand aux yeux du monde; au surplus, il est de ceux qui cultivent la science. » Gràce à ces paroles bien-veillantes, le jurisconsulte échappa au châtiment en question et fut renvoyé avec honneur.
« Une autre fois, un marabout se présenta devant le sultan Abou Hammou qui venait à peine de monter sur le trône. Au lieu de lui baiser la main et de lui rendre hommage, il se contenta de le saluer et se retira. Le sultan, courroucé, s'écria : « pourquoi ne me rend-il pas hommage"! et aussitôt l'idée lui vint de châtier le saint homme. — Sire, lui dit Abou Abdallah, ne vous offensez pas: ce marabout a toujours agi ainsi envers vos prédécesseurs; c'est un homme de Dieu.» Cette explication apaisa la colère du roi, qui depuis rendit ses bonnes garces au marabout et lui accorda même le gouvernement de toute une tribu.
« Le Chérif avait l'habitude de ne pas engager de dispute avec les savants, quand il assistait en leur compagnie aux conseils des rois; loin de là, il respectait la dignité de la science. Il ne mettait aucun empressement à réfuter les opinions de qui que ce fût, ni à relever les erreurs de ceux qui expliquaient le Coran. Il ne rebu¬tait pas les gens du peuple et ne les poussait pas à se révolter contre l'autorité établie. Ses conférences et ses leçons étaient non seulement agréables et attrayantes, mais instructives et solides; quand il traitait une question, il l'élucidait complètement.
Toute sa journée se passait à donner des leçons, à étudier ou à lire le Coran. Il se servait du sablier pour régler le temps qu'il consacrait aux étudiants. Il consacrait un tiers de la nuit au sommeil, un autre tiers à l'étude et le dernier à la prière. Chaque nuit, il récitait, pendant la prière, huit sections (8/60) du Coran, autant au commencement de la journée et six autres entre chaque prière. Dans chacune de ses leçons, il lisait toujours une section entière du Livre sacré et expliquait chaque jour environ un quart de hizb (section). Il aimait à discuter avec ses élèves, pensant que cet exercice leur était utile, et, quand la discussion était terminée, il leur ordonnait de faire une dissertation sur la question agitée qu'il se réservait de trancher ensuite. Il avait l'habitude de parcourir un grand nombre de livres avant de taire sa leçon. Il m'a été raconté, par un de ses disciples, qu'étant entré un jour dans sa bibliothèque, il trouva étalés et ouverts devant lui envi¬ron soixante-dix volumes. Il avait une foi vive et solide, une âme exempte du vice de la cupidité et de l'ambition. Les néces¬sités de la vie ne lui faisaient négliger ni la culture de la science, ni les actes de dévotion. Il s'exerça à l'étude et en fit l'objet de sa constante préoccupation jusqu'au moment où l'habitude la lui rendit facile et peu pénible; c'est à elle qu'il doit d'avoir obtenu les biens spirituels et temporels. Il siégeait dans les suprêmes conseils des rois qui écoutaient ses avis; il soutenait devant eux la justice et la vérité avec le prestige de son immense renommée et l'autorité du haut rang qu'il occupait, ne sacrifiant au désir de leur plaire aucun des devoirs de sa religion et de sa conscience, ne leur demandant jamais rien pour lui-même, ne leur donnant, quand il leur parlait, que les titres que la loi leur redonnait, ins¬pirant à leur coeur le respect des honnêtes gens et ne les encou¬rageant jamais à outrager ces derniers. Du reste, il ne se vengeait jamais de ses ennemis et il supportait avec patience la malveillance de ses envieux qu'il parvenait à éloigner de sa personne de la manière la plus polie et la plus honnête. Il aimait la société des gens de mérite ainsi que celle des personnes estimables et jouissant de la considération publique, se souciant fort peu du reste.
« Les savants d'Espagne étaient de ceux qui savaient le mieux apprécier son mérite et qui avaient la plus grande considération pour sa personne: le célèbre Liçan-ed-Din Ibn El-Khatib, l'auteur de récits admirables et de livres magnifiques, quand il donnait le jour à quelque ouvrage, ne manquait jamais de le lui envoyer et de le lui soumettre en le priant d'y tracer quelques lignes de son écriture. Le cheikh, l'imam et muphti Abou Sadd ben Lobb (16), le professeur des savants d'Espagne et l'une des dernières illus¬trations de ce pays, toutes les fois qu'il rencontrait une question difficile, n'hésitait point de lui écrire pour la lui soumettre et lui en demander la solution, reconnaissant ainsi la supériorité de son savoir.
« Quant à ce qui est de son détachement des choses du monde, de sa bienfaisance et de sa piété, il avait une âme uniquement préoccupée de Dieu et la conscience tranquille. Il distribuait d'abondantes sommes d'argent aux membres de sa famille et aux étrangers et tenait peu aux biens qu'il possédait; la conser¬vation de sa fortune était le moindre de ses soucis. II ne regar¬dait point de trop près quand il s'agissait pour lui de donner: son unique pensée, son seul désir était de s'instruire et d'acqué¬rir la sagesse.
« II m'a été raconté par son fils, notre cheikh Abdallah, que dans un temps le Chérif passa six mois entiers à travailler sans voir même ses enfants, se levant le matin quand ils étaient encore endormis, et venant la nuit quand ils dormaient. J'ai aussi ouï dire à mon père que le Chérif ne reçut aucune des pensions affectées à la Médersa ni ailleurs, pendant tout le temps que durèrent ses études; que son père lui donnait de l'argent pour fournir à ses dépenses et que cela lui suffisait. Plus d'une fois, soit dans le mois de ramadhan, soit dans tout autre mois de l'année, il lui arriva, quand on lui avait servi pour son repas du soir ce qu'il y avait de meilleur en fait de nourriture, de le laisser là pour se livrer à l'étude jusqu'au moment où on lui apportait le repas de l'aurore et de ne point toucher encore à ce dernier repas, en sorte que, surpris par le jour, il ne discontinuait ni le jeûne, ni l'étude.
« Il jouissait d'une excellente réputation et était à l'abri de tout soupçon : aussi, amis ou ennemis, tous convenaient de sa pureté d'aine et de sa parfaite sincérité. Les bons comme les méchants l'aimaient également. On voyait en lui un homme tou¬jours pensif et réfléchi, soumis à Dieu et à ses lois, observant rigoureusement les commandements et les défenses. A ses yeux, ce bas monde n'avait aucune valeur. Il fuyait les rois qui, de leur côté, étaient pleins d'égards envers lui, qui tous cherchaient à le rapprocher d'eux et à l'honorer; il ne voulut jamais accepter de leur part aucune charge touchant les affaires de ce monde, ne s'occupant que de ses études et de la diffusion de la science partout et autant que cela lui était permis. Le sultan Abou Saïd professait pour lui la plus grande affection : il ne lui adressait jamais la parole sans l'honorer du titre de monseigneur, Lorsque les liens qui affermissaient son empire vinrent à se rompre, il proposa au Chérif de lui garder en dépôt une certaine somme d'argent dont celui-ci ne voulut en aucune façon se charger. Le sultan confia alors le dépôt à une autre personne et prit le Chérif comme témoin de cet acte. Abou Inan étant monté sur le trône, la chose lui fut rapportée par le dépositaire lui-même, et, ayant mandé le Chérif, il lui reprocha durement de ne pas lui avoir parlé de l'existence du dépôt; mais, loin de le punir, il ordonna de l'admettre au nombre de ses courtisans et d'élever son rang au-dessus de celui des autres savants. Le Chérif lui répondit en ces termes: «.je ne suis qu'un simple témoin; mon devoir dans cette affaire était non d'apporter mon témoignage, mais bien de le tenir caché et de le garder pour moi. Quant à l'honneur que vous me faites de m'admettre au nombre de vos courtisans, je le considère comme une faveur bien plus nuisible qu'avantageuse pour moi, car elle me ferait perdre ma religion et ma science. » Il accompagna ces paroles d'autres expressions dures contre le sultan, lequel, dans sa colère, commanda qu'on le jetât en prison.Quelque temps après, un cheikh étranger au pays et venu de l'Ifriqiya, le nommé Yaqoub ben Ali, se présenta à la Cour du sultan, qui lui demanda ce qu'on pensait de lui en Ifriqiya. « L'on ne dit que du bien de vous, lui répondit le cheikh ; seulement, on y a appris que vous avez fait jeter en prison un chérif, un savant du plus grand mérite, ce qui n'est approuvé ni des petits, ni des grands. » Le sultan fil alors relâcher le prisonnier et se mit à lui faire du bien, sans que celui-ci eût fait aucune démarche pour cela, sans même qu'il connût la main de son bienfaiteur. C'est là une des plus grandes épreuves que le Chérif ait eu à supporter dans le cours de sa vie. Le sultan Abou Inan ne cessa de lui en faire des excuses et de lui en témoigner des regrets jusqu'à sa mort. Le Chérif était, en effet, un homme sûr, gardien fidèle des secrets qu'on lui avait confiés, toujours maître de lui-même et ne s'occupant que de ce qui le regardait. Les personnes pieuses aussi bien que les gens du monde avaient recours à ses lumières; les proches et les étrangers avaient en lui la plus grande confiance.
« Un homme digne de foi a raconté le trait suivant : «Le cadi de Constantine, Hacén ben Radis (17), avait donné en dépôt à notre Chérif un rouleau renfermant une certaine somme d'argent, et, après l'avoir reçu, le Chérif l'avait déposé dans sa maison. Quelque temps après, sur la demande du propriétaire, ayant tiré le rouleau de l'endroit où il l'avait déposé, il trouva écrit dessus : Cent pièces d'or; puis ayant ouvert le rouleau et compté l'argent, il n'en trouva effectivement que soixante-quinze. Pensant qu'il devait y en avoir cent, il en ajouta vingt-cinq autres et dit au propriétaire : « Quand j'ai reçu de vous cet argent, je l'ai fait sans compter, puis ayant jeté les yeux sur l'étiquette, j'ai voulu vérifier la somme et ne l'ayant pas trouvée exacte ni conforme à l'indication, je l'ai complétée, croyant que ce qui manquait avait été égaré chez moi. » — Sidi, lui répondit le pro¬priétaire, je ne vous ai confié que la somme de soixante-quinze pièces d'or. » Il lui rendit donc ce qu'il avait ajouté en le remer-ciant et en rendant grâces à Dieu de ce qu'il avait rencontré un homme d'une conscience aussi délicate.
«Comme règle de conduite dans toutes ses affaires, il s'en tenait à la Sonna ou tradition, eu s'appuyant sur l'autorité de ses partisans; il ne s'écartait point du sentiment unanime des grands docteurs et se conformait à leurs décisions. Il s'élevait avec fermeté contre les novateurs avec lesquels il ne discutait jamais.
« Quand il s'agissait de prendre la défense du droit ou de la vérité, il déployait la plus grande énergie. Personne autour de lui n'osait émettre une opinion hétérodoxe, ni attaquer l'honneur du prochain. Il avait soin de ne jamais communiquer les secrets de la loi à ceux qui n'en étaient pas dignes; il évitait de faire de la peine à qui que ce fût, mais il réprimandait ceux qui, en sa pré¬sence, voulaient s'élever au-dessus de leur propre mérite ; il ne s'occupait, du reste, que de ce qui le regardait.

« Un jour, un étudiant en droit, à Fez, s'avisa de l'interroger et
de lui demander ce qu'il fallait penser de la prééminence d'Abou Bekr sur Omar. Le Chérif le mit dehors. Le chef des vizirs de l'empire, qui assistait aux conférences de notre Chérif pour y développer son instruction, se mit un jour à dire du mal de l’un des imams (califes). Le professeur jeta sur lui un regard cour¬roucé et lui adressa des paroles dures et sévères. Le vizir se tut et continua à fréquenter les cours du Chérif.
« Parmi ses élèves, il y en avait un qui étudiait, sous sa direction, certains livres d'El Ghazaly, afin de pouvoir se vanter de les avoir lus. Le cheikh, ayant eu un songe où il lui semblait qu'il plaçait ses livres dans un endroit sale et malpropre, négligea cet élève et né voulut plus lui donner des leçons.
« Il préparait avec soin l'explication des versets du Livre sacré, et consultait un grand nombre d'auteurs pour y choisir les citations qui devaient lui servir d'exemples. Il étudiait aussi les choses du monde invisible, les méditait et y appliquait toute son attention. On lui attribue un grand nombre de miracles dont voici quelques-uns :
« Pendant que le sultan Abou Inan occupait Constantine (758 1357), il régna dans cette ville une si grande cherté de vivres, que le prix de huit fèves s'éleva jusqu'à un dirhem. La misère s'y faisait sentir d'une manière effrayante. Le Chérif reçut alors plusieurs lettres portant sur l'adresse : A Sidi Abou Abdallah. Les ayant ouvertes, il les trouva blanches, c'est-à dire sans aucune écriture, mais renfermant un certain nombre de pièces d'or. Il ne savait d'où cet argent lui venait, mais il s'en aida pour ses besoins jusqu'au moment où Dieu daigna le délivrer.
« Autre miracle. — Un jour qu'il faisait route avec l'armée, on arriva sur les bords d'une rivière tellement grossie par les pluies, qu'elle ne pouvait être traversée que par les hommes à cheval. Quant à lui, il avait une ânesse sur laquelle il avait chargé ses bagages, et qui, en compagnie des cavaliers, passa saine et sauve le torrent impétueux. Le campement ayant été installé dans le voisinage de la rivière, le cheikh alla planter sa tente dans un endroit élevé qui se trouvait là. Or, vers le milieu de la nuit, les eaux, sortant de leur lit, envahirent le campement qu'elles inondèrent totalement ; elles s'élevèrent même jusqu'à une certaine hauteur dans l'intérieur des tentes et le pavillon du sultan s'écroula, en sorte que l'on passa la nuit dans le plus piteux état pendant que le cheikh, que le torrent n'avait pu atteindre, respirait tranquillement sur l'éminence qu'il avait choisie pour sort gîte. Dans cette nicheuse circonstance, le sultan, levant les yeux vers le Chérif, disait: «Comment se fait-il qu'il ait su ce qui devait arriver cette nuit et qu'il ne m'en ait rien dit?»
« L'année qui lut témoin de sa mort, il en était arrivé dans ses explications du Coran à ces paroles du Très-Haut: Ils se réjouissent à cause des bienfaits de Dieu et de sa générosité (sourate III, 165). Après une maladie qui avait duré environ dix-huit jours, il rendit le dernier soupir, dans la nuit du samedi au dimanche, le quatrième jour du mois de Dhou'l-hiddja, l'an 771 (29 juin 1370). Il fut assisté dans son agonie et jusqu'à ses derniers moments par une foule de savants, de jurisconsultes et de lecteurs du livre de Dieu. Il a été raconté par le prédicateur, le savant et vertueux Ali ben Maziya El Qoréchy (18), par le jurisconsulte Rachid et par d'autres, que dans ces tristes moments ils lui virent faire des signes de la main, comme s'il invitait à s'asseoir certaines personnes qui seraient venues pour assister à sa mort. Ces savants étaient convaincus que c'était des anges.
«Son fils Abou Yahia a rapporté que dans sa dernière maladie, le Chérif, après avoir baisé le livre sacré, se le passa sur la figure en disant: «Grand Dieu ! c'est au nom de ce saint livre que vous m'avez honoré dans ce monde; daignez aussi, en vertu de son mérite, m’honorer dans l'autre. » Après sa mort, il apparut en songe à un saint homme qui lui adressa cette question : « Où êtes-vous? —Je me trouve, lui répondit le bienheureux, dans un excellent lieu de repos, auprès d'un puissant souverain. » Son éloge funèbre fut célébré dans un long poème par l'éminent juris¬consulte, le muphti, le professeur Abou Ali Hacên ben Ibrahim ben Seba.
« Le sultan fut très affligé de la perte du Chérif; il fit venir auprès de lui le fils du défunt, le jurisconsulte Abdallah, le reçut avec honneur et lui dit : « Il n'est point mort celui qui vous a laissé sur la terre; votre père n'est mort que pour moi, car je lui devais de pouvoir lutter de gloire avec les autres souverains. » Après cela, le sultan lui confia l'enseignement de la Médersa (Yaqoubiya), l'y installa et lui assigna tous les revenus qui en dépendaient.
« Citons maintenant une de ses réponses, pour montrer le haut degré de savoir auquel il était parvenu : On lui demanda, de Grenade, ce qu'il pensait d’une opinion que l'instaurateur d'un rite a d'abord émise sur un point de droit et sur laquelle il est ensuite revenu. « Il arrive, lui disait-on, que les jurisconsultes de notre rite citent, de Malik, deux, trois et même quatre solu-tions différentes d’une seule question de droit; ils disent : on lit dans la Modawana, telle chose, dans la Meouaziya (19) telle chose, et dans la Medjmouâ (20) telle autre chose; puis ils transcrivent dans leurs livres toutes ces diverses solutions, leur attribuent indifféremment la même autorité, et décident d'après elles, sans connaître celle qui est intervenue la dernière. Or, on sait qu'il faut s'en tenir à celle-ci, et abandonner les précédentes quand on n'est qu'un servile imitateur de l'auteur de ces solu¬tions. Quant à l'homme capable d'interpréter la loi, il peut choisir parmi elles, en raison même de sa capacité, malgré que, d'après ce que j'ai vu, les auteurs qui ont écrit sur les principes fondamentaux du droit soient unanimes à déclarer « que lorsqu'on se trouve en présence de deux dires contradictoires d'un savant et qu'on ne sait lequel des deux est antérieur à l'autre, on ne doit suivre ni l'un ni l'autre de ces deux dires, parce qu'il pourrait se rencontrer que celui qu'on aurait choisi fût précisément celui sur lequel l'auteur est revenu; que ces deux dires sont comme deux preuves dont l'une a annulé l'autre ; et qu'en pareil cas, il ne faut se conformer à aucun de ces deux dires. »
« Après avoir, dit le consultant, examiné et discuté cette question plusieurs jours, chez nous, à Grenade, nous nous sommes arrêtés à la conclusion suivante : c'est la nécessité qui force à agir ainsi, car si on agissait autrement, la majeure partie de la juris¬prudence de Malik serait anéantie. Voici d'ailleurs les raisons qui nous ont paru motiver cette conclusion : 1° Malik n'a pu donner son premier et son deuxième avis sur une question qu'en les appuyant, l'un et l'autre, sur des preuves solides qui nous obligent à les suivre tous les deux; 2° ses disciples ne s'étant pas fait faute de se servir de la plupart de ses avis contradictoires, nous devons, de notre côté, suivre ces avis puisqu'ils ont été l'objet de leur interprétation; 3° ne pas suivre les avis contra-dictoires de Malik serait admettre que tous les auteurs qui les transcrivent, qui décident d'après eux pour faciliter la solution des cas qui leur sont soumis, et qui ne font aucune objection à ces difficultés, sont unanimes à approuver l'erreur. Vous n'ignorez pas, du reste, qu'El-Qarafy a, dans son commentaire sur le Tenqih , répondu sur ce dernier point. »
« Voici la réponse que le Chérif fit à cette demande : « Vous savez, dit-il, qu'il y a deux catégories d'interprètes de la loi: l'interprète indépendant et l'interprète d'un rite spécial.
Le premier est celui qui possède tous les fondements de la loi, qui en embrasse toutes les données et couvait toutes les manières de l'envisager. Lorsqu'une affaire lui est soumise ou lorsqu'il est interrogé sur un point de droit, il fait des recher¬ches pour savoir dans quel sens cette affaire ou ce point de droit doivent être tranchés. Il examine ensuite toutes les auto¬rités sur lesquelles il pourra appuyer sa décision, ainsi que la manière suivant laquelle il administrera les preuves fournies par ces autorités pour trancher la question posée. Puis il recherche parmi ces appuis ceux qui s'écartent, par quelque côté, de cette question, groupe les autres, particularise ce qui est général, restreint ce qui est absolu, interprète le sens littéral des textes, accorde sa préférence à certaines autorités, à certains textes et à certaines preuves, en faisant accorder le tout avec les principes fondamentaux de la loi. Après cela, il agit d'après l'avis qui lui semble prépondérant et d'après le dernier émis, si toutefois il réussit à découvrir celui ci; quant aux autres dires, il n'en tient absolument aucun compte et ne leur accorde jamais sa préférence, attendu qu'il doit les considérer comme nuls et non avenus. Telle est la manière de procéder de l'interprète indépendant.
« Le second est celui qui emploie toutes les facultés de son esprit à interpréter les doctrines d'un rite spécial et déterminé. Il possède tous les fondements de la doctrine de son chef, embrasse tous les principes et toutes les autorités sur lesquels celui-ci s'appuie, s'appuie lui-même sur ces principes et ces autorités, courait toutes les manières d'envisager la doctrine de son chef ; en en mot, il est, par rapport au rite particulier qu'il interprète, ce qu'est l'interprète indépendant par rapport aux principes fondamentaux de la loi. On peut ranger dans cette catégorie Ibn El-Qacim et Achheb pour le rite de Malik, El-Mozany (21) et Ibn Soreïdj (22) pour celui d'Ech-Chafi'y et Abou Youçof (23) pour celui d'Abou Hanifa. Voici, d'ailleurs, ce qui pourra rendre plus clair à vos yeux la différence qui existe entre ces deux classes d'interprètes. Ech-Chafi'y, Ibn El-Qacim et Achheb comptent parmi les disciples de Malik et ont retiré le plus grand profit de ses leçons. Or, Ech-Chali'y est le seul des trois qui se soit élevé au rang d'interprète indépendant. Lorsque, en effet, on l'interrogeait sur une question, il l'examinait en toute indépendance et décidait d'après son propre sentiment. Quant à Ibn El-Qacim, quand on lui adressait une question sur un point de droit, il répondait : J'ai entendu Malik dire telle et telle chose sur ce sujet » ; s'il ne lui avait rien entendu dire, il disait : « Je ne lui ai, personnellement, rien entendu dire, mais j'ai appris par d'autres qu'il a dit telle chose » ; et si, enfin, rien ne lui avait été rapporté de Malik, il disait: «Personne ne m'a fait connaître le sentiment de Malik sur cette question, mais dans telle autre, Malik m'a dit ceci ; or, la vôtre ressemble à cette dernière. » Voilà le rang de l'interprète ritualiste ou spécial à un rite.
« A propos de ce passage du chapitre de L'usurpation de la Modawana : « L'usurpateur ou le ravisseur d'une monture dont ils se seront servis n'auront à payer au propriétaire ni le prix, de louage de l'animal, ni la valeur estimative de la chose usurpée ou de la monture, quand ils restitueront celle ci intacte au proprié¬taire, contrairement au loueur ou à l'emprunteur d'une monture qui lui aurait fait parcourir un trajet plus long que celui convenu »

(24), Ibn El-Qacim dit : « Si Malik n'avait pas dit cela, j'aurais imposé au ravisseur le prix de louage de la monture et je l'aurais rendu garant de la valeur estimative de cette monture lorsque, par suite de vol, il aurait empêché l'animal d'être exposé et vendu dans les marchés par son propriétaire ; j'adopte cependant le sentiment de Malik. »
« Cet exemple vous montre combien Ibn EI-Qacirn est attaché à la doctrine de Malik qu'il imite servilement (25).
« Voici maintenant quelques questions sur lesquelles Ibn El¬Qacim est en désaccord avec Malik :
« La Modawana porte, relativement à l'impôt sur le bétail (zakat) : A 121 chameaux, le prélèvement est de deux chamelles de trois ans, ou bien de trois chamelles de deux ans (26); ce prélèvement est au choix du collecteur d'après Malik, tandis qu'Ibn El-Qacirn, suivant en cela l'opinion d'Ibn Chihab (27), dit que le collecteur prendra dans le troupeau ce qu'il y aura des unes ou des autres, mais n'aura pas le droit d’obliger le propriétaire à aller chercher ailleurs ce qui manquera pour pouvoir faire un choix.
« D'après Malik, l'esclave à qui son maître dit : « Tu es à l'instant même entièrement libre, à condition de me payer cent dinars à l'expiration de tel délai », devient libre à l'instant même, et reste débiteur de la somme de cent dinars en paiement de laquelle il peut être poursuivi judiciairement (28). Ibn El-Qacim, adoptant l'opinion d'Ibn El-Moceiyeb , prétend que l'esclave mis en liberté dans ces conditions ne peut pas être poursuivi en paiement des cent pièces d'or.
« Malik dit au sujet de celui qui, recevant en dépôt de quelqu'un, un dinar, mélange, de manière à être confondu, ce dinar avec cent autres lui appartenant, et perd ensuite une de ces cent une pièces: « Le propriétaire des cent dinars aura les 100/101 des cent dinars restants, et le propriétaire du dinar le 1/101 de ces dinars (29). » Ibn El-Qacim, se conformant à l'avis d'Ibn Selma (30), prétend que le propriétaire des cent dinars prendra 99 dinars et que le dinar restant sera partagé par moitié entre lui et le propriétaire du dinar unique.
« D'après Malik, quand des créanciers du decujus prétendront n'avoir pas été désintéressés et que l'exécuteur testamentaire prétendra le contraire, celui-ci sera admis à prêter le serment décisoire, si la dette est de minime importance ; pour le cas où cette dette serait considérable, Malik ne s'est pas prononcé. Ibn El-Qacim, adoptant l'opinion d'Ibn Hormouz, dit que l'exécuteur testamentaire jurera dans les deux cas.
Or, dans toutes ces questions, il faut admettre de deux choses l'une : ou bien qu'Ibn El-Qacim, pensant que son propre avis était conforme aux règles fondamentales de la doctrine de Malik, l'a préféré pour celte raison, sans pour cela s'écarter, en réalité, de cette doctrine ; ou bien, si on se base sur l'opinion d'après laquelle l'interprète d'un rite particulier participe de l'interprète indépendant et réciproquement, l'interprète indépen¬dant participe de l'interprète ritualiste, qu'Ibn El-Qacim a inter¬prété ces questions en toute indépendance sans tenir compte de l'avis de Malik.
« Quant à Asbagh, lorsqu'il vit qu'Ibn El- Qacim était en désac¬cord avec Malik sur ces quatre points, il ne craignit pas de dire : « Ibn El-Qacim s'est trompé dans ces questions », parce qu'à ses yeux celui.ci s'était écarté des principes et des indications expresses de Malik. D'après les bons auteurs, Achheb ne s'est jamais élevé au rang d'interprète indépendant. Interrogé cepen-dant sur cette question : Que faut il décider quand quelqu'un a juré qu'il affranchira son esclave femme s'il ne fait pas telle chose, et qu’après ce serment et avant qu'il se soit parjuré, celle esclave met au monde un enfant (fruit de ses œuvres)? il répon¬dit : « On ne peut affranchir cette esclave dans ces conditions (31). » Et comme on lui objectait que Malik autorisait l'affran¬chissement dans ce cas, il répliqua : « Bien que Malik se soit prononcé pour l'affranchissement, nous ne le suivrons pas en cela. »
« Ibn Rochd (grand-père d'Averroès) fait à ce propos la remarque suivante : « Cette conduite montre qu'il n'était pas un servile imitateur de Malik » ; mais je répète que le sentiment de la majorité des docteurs de la loi est qu'Achheb ne s'est jamais élevé au rang d'interprète indépendant.
Ceci étant bien établi, sachez que lorsque le chef d'un rite a émis deux avis sur une même question et qu'on ne sait lequel est le dernier, il est permis à l'interprète de ce rite de rechercher lequel des deux est le plus conforme aux règles fondamentales de la doctrine de ce chef. Cet interprète devra alors accorder sa préférence à celui en faveur duquel témoignent les principes de ce rite ; il agira et décidera ensuite conformément à cet avis. Mais s'il connaît celui qui a été émis le dernier, il ne doit pas croire que sa décision en cela ressemble à celle de l'interprète indépendant se prononçant sur les dires du Législateur, ni croire non plus qu'il a, par son interprétation, abrogé le premier avis du chef de rite ; non, il ne doit absolument pas le croire, et la raison de cela, c'est que le Législateur seul décrète et abroge en toute souveraineté pour ceux qui suivent sa loi : quand Il abroge son premier décret, il en annule la valeur d'une manière absolue. Quant à l'instaurateur d'un rite, il ne décrète ni n'abroge ; loin de là, tous ses efforts tendent à rechercher les décisions de la loi et à suivre tout ce qui, dans ces décisions, peut lui servir de guide pour se former une opinion.
Or, quand on se trouve en présence de deux avis contradictoires émis par un chef de rite (sur une même question), il est permis de supposer, à moins que celui-ci n'ait fait connaître d'une manière expresse et décisive celui des deux qu'il a annulé, que l'un ou l'autre est erroné. En adoptant sans discernement l'un ou l'autre de ses deux avis, ses disciples s'exposent à tomber dans l'erreur où il est lui-même tombé. Il est donc du devoir du disciple de ce chef de choisir le premier avis, s'il pense que celui-ci est plus conforme aux règles fondamentales de la doc¬trine de ce chef ; il demeure bien entendu que ce disciple ne se prononcera que s'il est capable d'interpréter cette doctrine ; dans le cas contraire, c'est-à-dire s'il est un simple sectateur, il devra se conformer au dernier avis parce qu'il y a présomption en sa faveur. Tel est le secret de la différence qui existe entre les deux catégories d'interprètes. Enfin, pour trancher la question et con¬clure, j'ajouterai que les dires du Législateur sont des données positives, et que ceux des interprètes de la loi sont des déduc¬tions de ces données. Cela explique l'erreur des auteurs qui ont écrit sur les principes du droit, quand ils prétendent que le second avis de l'instaurateur d'un rite, sur une question, a la même valeur que le dire par lequel le Législateur abroge un autre de ses dires.
Ce qui précède vous montrera aussi la justesse de ces paroles d'Ibn Abou Djemra, qu'on peut lire dans son livre intitulé : La clef de l'imitation (32) : « Lorsqu'un interprète de la loi, dit-il, se sera prononcé une première fois sur une question, puis, l'exa¬minant à nouveau, il reviendra sur son premier avis ou doutera de la justesse de celui-ci, sa rétractation ou son doute n'infirme-ront point son premier avis tant qu'il n'aura pas dit d'une ma¬nière expresse et décisive qu'il le rétracte. Malik abandonnait souvent un avis pour un autre, sans dire expressément celui qu'il rétractait. C'est ainsi que ses disciples, recherchant l'avis prépondérant parmi ses avis contradictoires, se sont prononcés différemment, et que certains d'entre eux ont préféré le premier. Il y a dans la Modawana plusieurs questions de ce genre. »
« Telles sont les paroles d'Ibn Abou Djemra. Les personnes qui lui objectent que ceux des disciples de Malik qui se sont basés sur les avis que celui-ci avait rétractés, ne l'ont fait que parce que ces avis leur ont paru avoir quand même une très grande valeur, ne raisonnent pas juste, car ses disciples ne se sont prononcés sur les avis de Malik qu'en tant que disciples ou sectateurs de son rite (et non en interprètes indépendants). Ceci se rapproche de l'un des points de la question que vous m'avez posée. Ces per sonnes ne raisonnent pas juste, je le répète, parce que la compé¬tence des disciples de Malik qui ont adopté son premier avis n'est pas absolue comme celle des interprètes indépendants ; elle est, au contraire, restreinte aux bases de la doctrine de Malik; c'est pourquoi les disciples de celui-ci, n'étant que des sectateurs de son rite et n'ayant pas qualité pour substituer leur manière de voir à la sienne, auraient dû s'en tenir exclusivement aux principes et aux fondements de sa doctrine et se conformer stric-tement à son opinion.
« Pour ce qui est de la divergence de leurs opinions malgré l'avis exprès de Malik, voici ce que rapporte I'otbiya (institutes d'Otby) (33), d'après Iça (34), qui le tenait d'Ibn El-Qacin : « Lorsqu'un homme dit à sa femme : « Tu es répudiée si tu me parles avant de m'avoir dit : Je t'aime, et que celle-ci, s'adressant à son mari, répond : « Dieu te pardonne ! je t'aime », cet homme, disait Ibn El-Qacini, est parjure s'il ne répudie pas sa femme, attendu qu'elle a dit : Dieu te pardonne! avant de dire : Je t'aime.
« Nous discutions, dit Ibn El-Qacim, Ibn Kinana (35) et moi devant Malik sur cette question ; Que faut-il décider quand un homme dit à sa femme : Si je te parle avant que tu aies fait telle chose, tu es répudiée, et qu'il ajoute ensuite, sans interrompre son discours : Maintenant, va-t-en ! Comme pour dire : Tu es libre de faire ou de ne pas faire cette chose. Et comme j'affirmais, contrairement à Ibn Kinana, que le mari serait parjure s'il ne répudiait pas sa femme, Malik me donna raison contre mon adversaire en me disant : « Tes arguments sont plus probants que les siens », tandis qu'Asbagh approuva l'opinion d'Ibn Kinana.
« D'un autre côté, Asbagh affirme avoir entendu dire à Ibn El-Qacim, au sujet de deux frères dont l'un aurait juré de ne parler au second que lorsque celui-ci lui aurait adressé la parole, et dont le second aurait dit ensuite à l'autre : « Je jure de ne jamais te parler avant que tu m'aies adressé la parole », que les serments ainsi prononcés demeuraient tout entiers à la charge des deux frères ; que celui des deux qui parlerait le premier à l'autre serait parjuré ; et qu'enfin l'expression du serment du second ne devrait pas être considérée cousine des paroles adressées au pre¬mier et déliant celui-ci de son serment, parce que telle n'avait pas été l'intention du second en prononçant son serment. Ibn Kinana, ajoute Asbagh, partageait l'avis d'Ibn EI-Qacim sur cette question.
w Dans son livre intitulé : El-Beïan (Claire exposition), le cadi Ibn Rochd (grand-père d'Averroès) déclare, d'après Ibn Khalid qui appuyait son opinion sur celle de Nafi' (36), que lorsqu'un homme aura dit à un autre : « Que ma femme soit répudiée si je te parle avant que tu m'aies toi-même adressé la parole », et que celui-ci aura répondu : « Par Dieu ! je me soucie peu de cela », Ibn Rochd déclare, dis-je, que les paroles du second ne devront pas être considérées comme étant adressées au premier.
« Or, cette question et toute autre qui s'en rapproche ressem¬blent à celle approuvée par Asbagh ; quant à celle qu'Asbagh prétend avoir entendu citer par Ibn El-Qacim et dans laquelle celui-ci est en contradiction avec l'opinion qu'il a émise sur la question qu'il a débattue avec Ibn Kinana devant Malik, il faut en admettre la justesse, attendu que les deux questions ne diffèrent pas entre elles. Du reste, il est fort probable que, selon les principes de la doctrine de Malik, les paroles ajoutées immédia¬tement après le serment n'entrainent nullement le parjure si, toutefois, on ne considère que le sens des mots et non les mots eux-mêmes. A mon avis, les juristes qui ne tiennent compte que des mots et non de leur sens sont seuls à se prononcer pour le parjure.
« Ibn Rochd dit encore : « On trouve dans le rite malékite des questions qui ne s'accordent pas avec les principes de ce rite, et qui ont plus de conformité avec la doctrine professée par les gens de l'Iraq (le rite hanéfite). »
« Vous voyez donc qu'Ibn Rochd, Ibn Kinana et Asbagh, se conformant aux principes et aux règles fondamentales de la doctrine de Malik, ont préféré l'avis contraire à celui d'Ibn El-Qacim, et qu'ils ne se sont nullement soucié de ce que Malik se fut prononcé en faveur de celui-ci, parce qu'ils ont pensé, avec raison, qu'Ibn El-Qacim s'était écarté des principes de la doc¬trine de Malik. Vous voyez aussi qu'Ibn Rochd a dit qu'il y a dans le rite malékite des questions qui ne s'accordent pas avec les principes de ce rite.
« Ceci posé, pensez-vous qu'il faille considérer comme s'étant séparés de Malik ceux qui, dans ces questions, n'ont pas suivi son avis, mais ont préféré se conformer aux règles fondamentales de sa doctrine et tirer des déductions des données qui ser¬vent de base à celle-ci ? Que non point ; leur conduite est au contraire plus conforme à celle que doit tenir le sectateur d'un rite, capable d'interprétation.
Vous dites que les auteurs qui ont écrit sur les principes du droit sont unanimes à déclarer que lorsqu'on se trouvera en pré¬sence de deux avis contradictoires d'un savant et qu'on ne saura lequel est antérieur à l'autre, on ne devra se conformer à aucun d'eux. C'est là une des choses qu'ils ont écrites et que, de mon côté, je n'approuve qu'autant qu'elle s'applique au simple secta¬teur. Ils tirent cette déduction de la croyance où ils sont que l'un des deux avis a été rétracté et disent : « S'il en est ainsi, on ne doit se conformer à aucun jusqu'à ce qu'on ait découvert le dernier émis. »
« J'ai dit, en parlant de l'interprète ritualiste ou spécial à un rite, qu'il peut se prononcer pour celui des deux avis qui lui parait prépondérant et agir d'après cet avis s'il le juge conforme aux principes du rite, tout comme l'interprète indépendant agit et décide d'après l'avis du Législateur, après l'avoir pesé et jugé conforme aux principes fondamentaux de la loi.
« J'ai dit précédemment qu'il ne faut pas que l'interprète ritualiste croie que les deux avis du chef de rite sont, l'un par rapport à l'autre, comme seraient deux dires dont l'un abrogerait l'autre. J'ai enfin fait connaître d'une manière on ne peut plus satisfaisante le secret de la différence qui existe entre les deux catégories d'interprètes de la loi.
« Quant à ce que vous dites dans votre demande : que la néces¬sité force souvent à se conformer à l'un quelconque des dires (le Malik sous peine de ne pouvoir utiliser la majeure partie de sa jurisprudence, je réponds : Et que pèse cette nécessité en com¬paraison de celle qui contraint à rester indécis en présence de deux dires contradictoires du Législateur, quand on ignore quel est celui des deux qui a abrogé l'autre ! En ce qui me concerne, je ne permets de se conformer ni au premier, ni à un quelconque des avis contradictoires de Malik, tant qu'on ne sait pas quel est celui qui est antérieur à l'autre.
« A ce que vous dites : que la raison que l'on donne pour, en cas d'absolue nécessité, se conformer à l'un quelconque des deux avis contradictoires de Malik, c'est que celui-ci n'a pu émettre son premier avis qu'en s'appuyant sur une preuve solide, je réponds en me servant de cet argument : « Comment cette raison pourrait elle valablement servir à ceux qui prétendent que les deux avis sont comme deux preuves qui s'annulent mutuellement et dont on ignore laquelle annule l'autre ? Et quel cas vou¬lez-vous qu'on fasse d'une preuve annulée? J'ajoute, pour mieux appuyer ma démonstration, que le seul argument qu'on puisse opposer victorieusement à cette raison est ce que j'ai dit : que le Législateur seul abroge ou décrète, et que le chef de rite se base dans ses décisions sur les indications que lui fournit le Législa¬teur, et suit celui-ci.
« A votre assertion qui est ainsi conçue : « Les disciples de Malik, ayant suivi la plupart de ses avis contradictoires, nous devons, de notre côté, suivre ces avis puisqu'ils ont été l'objet de leur interprétation », je réponds : Combien cette allégation est éloignée de ce que vous avez énoncé en premier lieu dans votre demande, en disant que les disciples de l'auteur de ces avis contradictoires ne doivent pas se servir de ces avis ! Votre argument serait confirmé plutôt par ce que j'ai dit: que les disciples de Malik ne se sont servi de ses premiers avis que parce qu'ils les ont crus conformes aux fondements et aux prin¬cipes de sa doctrine, et qu'en agissant ainsi ils n'ont pas cessé d'être des sectateurs de son rite, s'ils se sont toutefois prononcés en interprètes de ce rite. Si l'on pensait, au contraire, qu'ils se sont servi desdits avis en agissant en interprètes indépendants, il en résulterait que le rite n'aurait plus de chef unique et qu'il faudrait par suite abandonner la doctrine de Malik.
« Enfin, à ce que vous dites: qu'il faudrait conclure de ce qu'il y a des auteurs qui transcrivent ces différents avis et décident, d'après eux, sans s'arrêter aux difficultés que cette manière de procéder fait surgir; que ces auteurs sont unanimes à approuver l'erreur, je réponds : Ceci est une réfutation en bloc et il n'est nullement prouvé que le dicton qui dit : La base de l'approbation c'est le silence (qui ne dit rien consent) soit vrai. Telle est notre manière de voir sur ce point. Quant aux arguments fournis par El-Qarafy en réponse à ce même point, ils sont faibles aux yeux des auteurs. Au surplus, Dieu connaît mieux que personne ce qu'il en est. »
Telle est la fetoua du Chérif. Méditez-la ainsi que tout ce qu'elle renferme en fait de profonde érudition. Qu'elle suffise à vous donner une idée de son savoir; le proverbe dit, en effet : Une partie de la chose en fait connaître le tout (37).

Notes

1 Voyez sa biographie clans Complément de l'histoire des Beni-Zeïyan, p. 78 et suiv., et p. 163 et suiv. Cf. Et-Tenessy, histoire des Beni-Zeiyain, traduction de l'abbé Bargès, p. 79 ; Tlemcen, ancienne capitale du royaume de ce nom, par l'abbé Bargès, p. 331 et suiv.; Mémoire épigraphique et historique sur les tombeaux des Emirs Beni-Zeïyan, par Ch. Brosselard, p. 50 et suiv.
2 Voyez Histoire de l'Afrique septentrionale, par Mercier, tomeII, p. 293 et 29t.
3 le sultan zianide Abou Saïd 0thman régna de septembre 1318 à juin 1352.
4 Voyez Histoire de l'Afrique septentrionale, par Mercier, tome II, p. 315.
5 Le sultan zianide Abou Hammou II régna de janvier 1359 à décembre 1387, après avoir été détrôné quatre fois.
6 Voyez Histoire de l'Afrique septentrionale, par Mercier, tome III, p. 90.
7 Le Chérif mourut le 4 Dhou'l-Hiddja 771 (29 juin 1370) et fut inhumé dans l'intérieur du Collège Yaqoubiya qu'il avait illustré par son enseignement. Cf. Et-Tenessy, Histoire des Beni-Zeiyan, traduction de l'abbé Barges, p. 79 et 80, et Ez-Zerkéchy, Chroni¬que des Almohades et des Hafcides, p. 167 de la traduction de M. Fagnan.
8 Ce commentaire existe en manuscrit à la Bibliothèque Musée d'Alger, n'. 1368 du Catalogue
imprimé.
9 Nacir eddin Ahmed ben Mohammed ben El-Monéiyr El-Djodhamy, de la secte de Malik, naquit à Alexandrie en 610 de l'hégire (inc. 23 mai 1213) et mourut dans cette ville en 683 (inc. 20 mars 1281). On lui doit plusieurs ouvrages, entre autres El-Igtifa fi fadhaïl el-Mostafa (Choix parmi les belles qualités du Prophète). Cet ouvrage ést le pendant du Chafa du cadi Ayyadh. Il est divisé en deux parties: la première traite des qualités du Prophète, et la seconde, de sa vie. L'auteur a consacré quatre chapitres au récit de l'Ascension que Mahomet fit au Ciel, monté sur le Buraq. Cf. Hadji Khalfa, tome I, p. 377, n° 1054.
Voyez la biographie de Nacir eddin Ibn El-Monéïyr dans le Dibadj, p. 78, 79.
10 Idris, fils d'Abdallah EI-Kamil, fils d'El-llacèn second, fils d'El-Hacèn es-Sabty, fils de Fathima, fille du Prophète, est le père d'Idris, le fondateur de la ville de Fez. Il fut proclamé sultan de la ville de Oualily, le vendredi 14 Hamadhan 172 de l'hégire (16 février 789), et mourut empoisonné au commencement de Rabi' II 176 (ce mois a commencé le 26 juillet 792) ou 177 (ce mois a commencé le 16 juillet 793). Voyez sa biographie dans Djedhouat el-iqtibas, p. 6 et suiv.; dans le Qartas (édition de Fez), p. 7 et suiv., et dans Kitab el-istigça li-akhbar doual el-aqça, par Ahmed ben Khalid En-Naciry Es-Salaouy, édité au Caire en 1304 de l'hégire, t. I, p. 61 et suiv.
11 Le Neil el-ibtihadj nomme ce personnage : Ibn Yaqoub.
12 La Mosquée des Kairouaniens fut bâtie sous le règne de Yahia ben Mohammed ben Idris, par Fathima Oumm El-Benin, fille de Mohammed ben Abdallah El Fihry, le Kairouanien.On commença à creuser les fondations de cet édifice le samedi, 1 Rama¬dhan 245 de l'hégire (30 novembre 859). Cf. Ibn Khaldoun, His¬toire des Berbères, t. II, p. 565 de la traduction de Slane ; IDjedhouat el-iqtibas, p. 28 et suiv. ; Kitab el-istiqça, p. 76, et El Qartas, p. 32. La biographie de Mohammed ben Abdallah El-Fihry, père d'Oumm El-Benin, se trouve à la page 132 du' IDjedhouat et igtibas.
13 Abd-El Moumen) (ou Abd-El-Aziz, d'après le Neïl el ibtihadj ben Mohammed ben Mouça Et-Djanaty naquit vers l'an 665 de l'hégire (inc. 2 octobre 1266), Il fut le disciple d'Abou'I-Hacen es-$eghir, auquel il succéda comme professeur. Il mourut à Fez l'an 746 (inc. 4 mai 1345). Voyez sa biographie dans Djedhouat el¬igtibas, p. 273 et 274, et dans _Neil el-ibtihadj, p. 156.
14 C'est le père de Mohammed ben Mansour ben Ali ben Hadiva El Qorèchy, dont la biographie se trouve plus loin. Voyez sa biographie dans l'Ihata, tome I, p. 264.
15 Le Neil el-ibtihadj porte les échanges
16 Abou Saïd Faradj ben Qacim ben Ahmed ben Lobb Et-Tha'leby E1-Andaloucy El-Gharnaty était le plus docte des savants de Grenade. II naquit l'an 701 de l'hégire (inc. 6 septembre 1301) et mourut en Dhou'l-hiddja 782 (ce mois a commencé le 26 février 1381). Ibn Hadjar le fait mourir en 783 (inc. 28 mars 1382). On lui doit un livre où il traite de la lettre B qui commence la formule Bismillahi'r-rahmani'r-rahimi, un commentaire sur le Djamal d'Ez-Zadjadjy, etc. Voyez sa biographie dans le Dibadj, p. 212, et dans Neïl el-ibtihadj, p. 211. Ibn Batouta (tome IV, p. 371) le cite au nombre des savants de Grenade.
17 EI-Hadjj Abou Ali Hacèn ben Khalf-Allah ben Hacèn ben Abou'l-Qacim ben Méïmoun ben Badis EI-Qéïcy EI-Qocentiny, cadi de Constantine, mourut dans cette ville en 781 de l'hégire (inc. 17 mars 1382). Voyez sa biographie dans Neïl et ibtihadj, p 90. Il y a encore à Constantine des descendants de la famille des Ben Badis.
18 Tous les manuscrits du Bostan et même le Nei'l el-ibtihadj, portent : Ali ben Meziya el-Qorêchy. Je crois cependant que cette leçon est fautive, et qu'il faut lire : Abou Abdallah Mohammed ben Mansour ben Ali ben hadiya El-Qoréchy. Ce dernier fut, en 'effet, le contemporain du Chérif. Voyez sa biographie infra.
19 La Mewouaziya est ainsi appelée du nom de l'auteur Ibn El-Mewouaz. Mewouaziya signifie la mewouazienne ou institutes inewouaziennes.
Mohammed ben Ibrahim El-Iskandery, plus connu sous le nom d'Ibis El-Mewouaz, naquit en Redjeb 180 de l'hégire (ce mois a commencé le 9 septembre 796) et mourut l'an 269 (inc. 21 juillet 882) ou 281 (inc. 13 mars 894). Voyez sa biographie dans le Dibadj, p. 221.
20 El-Medjmou'a ou Les propositions rassemblées, est attribué à Abou Abdallah Mohammed ben Ibrahim ben Abdous, jurisconsulte de Kairouan. Ce savant naquit dans cette ville l'an 202 de l'hégire (inc. 20 juillet 817) et y mourut en 260 (inc. 27 octo¬bre 873) ou 261 (inc. 16 octobre 871). Voyez sa biographie dans le Dibadj, p. 224.
21 Abou Ibrahim Ismaïl ben Yahia ben Esmil ben 'Amr ben Ishaq El Mozany fut le disciple d'Ech-Chali'y. Il composa un grand nombre d'ouvrages sur la doctrine chaféïte, entre autres Et-Djami' el-Kebir (Le grand recueil), El-Djami' es-seghir (Le petit recueil) et le Kitab el-ouathaïq (Le livre des pièces authenti¬ques). Il mourut au Caire le 21 Rarnadhan 261 (10 juin 878), à l'àge de 89 ans, et fut inhumé près du tombeau d'Ech-Chafi'y, dans le cimetière El-Qarafa es-soghra (le petit Qarafa) au pied du mont El-Moqattem. Voyez sa biographie dans Ibn Khallikan, tome 1, p. 124.
22 Abou 'I-Abbès Ahrned ben Omar ben Soréïdj était un docteur éminent de la secte chaféïte. On le surnommait : El-Baz et achheb (le faucon blanc) et on le préférait à tous les disciples d'Ech-Chafi'y, même à El-Mozany. Il exerça les fonctions de cadi à Chiraz et composa 400 ouvrages. Il mourut à Bagdad, le 25 Djoumada 1er 306 (3 novembre 918). Voyez sa biographie dans Ibn Khallikan, tome I, p. 29.
23 « Abou Youçof Yacoub ben Ibrahim ben Habib El-Koufy naquit à Koufy, l'an 113 de l'hégire (inc. 15 mars 731) et mourut à Bagdad en 182 (inc. 22 février 798). II fut le compagnon de Djonéid et disciple des fameux docteurs El-A'mech, Yahia ben Saïd El-Ansary et Abou Hanifa. Les khalifes El-Mehdy, El-Hadi et Haroun er-Rachid le firent Grand justicier de Bagdad, et ce fut lui qui porta le premier le titre de Cadhi el-Codhat, c'est-à-dire Juge des Juges, qui est une dignité approchante de celle de Ministre de la Justice chez nous. Ce fut lui aussi qui donna un habit particulier aux docteurs de la loi et qui mit en vogue la doctrine et la secte d'Abou Hanifa. Il amassa de fort grands biens en très peu de temps et il le devait plutôt à son industrie qu'à la fortune, car il était décisif et fertile en expédients.
Ce docteur ayant avoué un jour son ignorance sur une ques¬tion qui lui fut proposée, ou lui reprocha qu'il recevait de fort grosses pensions du Trésor royal et que cependant il ne s'acquittait pas de son devoir, puisqu'il ne décidait pas les points de droit sur lesquels on le consultait ; il répondit agréablement : Je reçois du Trésor à proportion de ce que je sais; mais si je rece vais à proportion de ce que je ne sais pas, toutes les 'richesses du khalifat ne suffiraient pas pour me payer. » (D'Herbelot, Bibliothèque orientale, article Abou Youçof).
Voyez la biographie d'Abou Youçof dans Ibn Khallikan, tome III, p. 334.
24 Voyez Précis de Jurisprudence musulmane, par sidi Khelil, tra¬duction du Dr Perron, tome IV, p. 380, 615, 616 et 617.
25 On lit ce qui suit dans la Revue africaine (année 1880, article : Voyages extraordinaires et nouvelles agréables, par Bou Ras, traduction de M. Arnaud, interprète militaire, p. 139) :
« Dans une réunion présidée par Abou Tachetine, roi de Tlem¬cen, quelqu'un demanda si Ibn El-Qacim était simple imitateur ou bien fondateur de doctrine. Le jurisconsulte Abou Zeïd ben El Imam répondit que ce docteur n'avait fait que suivre l'enseignement de Malek. Sidi Amrane El-Mecheddaly riposta qu'Ibn El-Qacim était réellement un créateur de doctrine, puisque, pour certaines questions, il était d'un avis contraire à l'opinion géné¬ralement admise. Abou Zeïd présenta l'ouvrage de Charef, petit-fils d'Et Tlemcèny, dans lequel cet auteur assimile les déductions dogmatiques tirées par Ibn El-Qacim du rite malékite à celles inférées par El-Mozany du rite chaféïte. « C'est là, objecta Et-Mecheddaly, un jugement par similitude, qui, comme tous les jugements par similitude, peut ne pas être l'expression de la vérité absolue. »
Abou Ras a extrait le passage précédent du Neïl el-ibtihadj, article: «Vie d"Amran El-Mecheddaly », p. 209, lignes 10 et suiv. Voyez aussi Neïl el-ibtihadj, p. 171, lignes 3 et suiv.
26 Voyez Précis de Jurisprudence musulmane, par sidi Khelil, traduction du Dr Perron, tome 1, p. 331 et 334.
27 « Abou Bekr Mohammed ben Moslim El-Kréchy, Ez-Zohry, EI¬Madany, est cité tantôt sous le nom d'Ez-Zohry et tantôt sous celui d'Ibn Chihab. Ce dernier surnom lui vient de son trisaïeul, Chihab.
« Ibn Chihab fut l'un des jurisconsultes traditionistes, et des personnages remarquables parmi les tabi'oun de Médine. Il reçut les traditions de dix Compagnons du Prophète, et les transmit à un grand nombre de savants, parmi lesquels il convient de citer Anes ben Malik et Sofia ben 'Oïeïna. Ces traditions s'élèvent au chiffre d'environ deux mille. On demanda à Mekhoul : — Quel est le plus savant de ceux que tu as vus'? — C'est Ibn Chihab, répon¬dit-il. — Et après lui? — C'est Ibn Chihab. — Mais encore? — C'est Ibn Chihab. Omar ben Abd-el-Aziz écrivit à tous ses gouverneurs : « Veillez sur Ibn Chihab, car vous ne trouverez personne de plus savant que lui dans les traditions
« Ez-Zohry habita la Syrie à la cour des khalifes Abd-el-Malik et Hicham ben Abd-el -Malik. Yezid ben Abd-el-Malik le nomma cadhi. Il était né à Médine l'an 51 de l'hégire (inc. 18 janvier 671) et mourut en Syrie en 124 (inc. 15 novembre 741). On l'inhuma dans une bourgade qui lui appartenait et qu'on appelle Chaghida.»
D’Herbelot, Bibliothèque orientale).
Voyez la biographie d'Ibn Chihab dans Ibn Khallikan, tome I11, p. 223.
28 Voyez Précis de Jurisprudence musulmane, par sidi Khelil, traduction du Dr Perron, tome VI, p. 219 et 228.
29 Voyez Précis de Jurisprudence musulmane, par sidi Khelil, traduction du Dr Perron, toute 1V, p. 311 et 315.
30 Ghilan ben Selma ben Ma'ib fut l'un des Compagnons de Mahomet. Il embrassa l'islamisme après la prise de Taïf. C'était le chef de la tribu de Thaqif. II se rendit à la cour de Chosroè, roi de Perse. Le Kitab el-aghani renferme quelques-unes de ses poésies. Il mourut à la fin du khalifat d'Omar ben El-Khattab, l'an 21 de l'hégire (inc. 10 décembre 641).
31 Parce que l'esclave, étant alors affranchie maternelle, ne peut être affranchie définitivement qu'avec son consentement.
Voyez Précis de Jurisprudence musulmane, par sidi Khelil, traduction du Dr Perron, tome VI, p. 221 et 228.
32 Hadji Khalfa ne fait nulle mention de cet ouvrage.
33 L'`Otbiya, ou les institutes otbiennes, est le livre d'El-'Otby. Mohammed El-'Otby ben Ahmed ben Abd-el-Aziz ben 'Otba ben Abou Sofian naquit à Cordoue. Il fut le disciple de Yahia ben Yahia, de Saïd ben Hassan et de Sahnoun. Il mourut l'an 254 de l'hégire (inc. 1er janvier 868).- .
Voyez sa biographie dans le Dibadj, p. 225.
34 Abou Mohammed'Iça ben Dinar fut un grand docteur malékite. Après avoir étudié la doctrine de Malik auprès d'Ibn El-Qacim, il se rendit en Espagne, où il fut successivement cadi de Tolède et de Cordoue. Il mourut à Tolède l'an 212 (inc, 2 avril 827). Voyez sa biographie dans le Dibabj, p. 181.
35 'Othman ben Kinana, l'un des principaux disciples de Malik, remplaça celui-ci à sa mort. On lui doit un traité de droit intitulé El-Mebsout (L'aplani). Il mourut en 181 de l'hégire (inc. 5 mars 797).
36 Abou Abdallah Nafi', affranchi d'Ibn Omar, fut l'un des principaux tabi'oun. II avait reçu les traditions de son patron Ibn Omar et d'Abou Saïd El-Khedry, et les transmit à Ez-Zohry, à Ayyoub es-Sokhtiany et à Malik. ben Anes. Il mourut l'an 117 de l'hégire (inc. 31 janvier 735).
Voyez sa biographie dans Ibn Khallikan, tome III, p. 50.
37 Cette notice biographique est extraite du Neil elibtihadj, p. 257. Cet ouvrage donne ainsi la généalogie du Chérif :
Mohammed ben Ahmed ben Ali ben Yahia ben Ali ben Mohammed ben El Qacim ben Hammoud ben Méimoun ben Ali ben Ab¬dallah ben Omar ben Idris ben Idris ben Abdallah ben Hacen ben El-IHacen ben Ali ben Abou Talib.



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