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Algérie - Mohamed Hennad. Politologue «La Constitution n’est pas un code civil ou pénal qui nécessiterait d’aller dans les détails»


Algérie - Mohamed Hennad. Politologue «La Constitution n’est pas un code civil ou pénal qui nécessiterait d’aller dans les détails»


Dans cet entretien, le politologue Mohamed Hennad analyse l’avant-projet de révision de la Constitution. Très critique sur le timing, sur son contenu dans le fond et la forme, le politologue estime qu’on n’est pas dans une situation où l’on doit débattre de ce genre de problématiques. Il pense que tant qu’on n’aura pas résolu la nature d’un système basé sur le clientélisme et la politique du fait accompli, nous continuerons à marquer le pas. Il qualifie de très intéressant le chapitre sur les libertés, mais il se demande comment peut-on être sûr que celle-ci va vraiment être mise en œuvre?

– Le projet de révision de la Constitution vient d’être soumis à débat et enrichissement par la présidence de la République. Ce texte répond-il, selon vous, aux exigences et revendications des citoyens exprimées depuis l’avènement du hirak?

Une telle initiative est, me semble-t-il, malvenue pour trois raisons. D’abord la façon dont elle a été prise. Ensuite le contexte dans lequel elle est survenue. Enfin, la forme que le texte du projet a revêtue.

Pour ce qui est du premier aspect, il faut se rendre à l’évidence que l’initiative en question a pris la forme de l’«octroi». C’est-à-dire qu’elle est imposée d’une manière quasi sultanesque après que le pouvoir se soit arrogé le droit de désigner un «comité d’experts» pour l’élaboration du projet et procédé à des rencontres avec les forces politiques et les associations de la société civile, mais sans de véritables pourparlers qu’une crise politique aussi profonde aurait exigés.

Comme à l’accoutumée, il ne s’agit nullement d’un texte négocié, mais d’une simple concession que le Pouvoir a daigné accorder à la population pour en débattre à travers des procédés qui nous rappellent bien les bureaux des chikayates.

Je parle du Panel que l’ancien chef de l’Etat par intérim avait désigné pour le dialogue en tenant à exclure des «exigences irréalistes… de nature à entraîner le pays dans une situation de vide constitutionnel»! Pour ce qui est du contexte, il est clair que ce n’est pas du tout le moment de procéder à un tel exercice dès lors que le pays fait face à quatre crises majeures!

Une crise politique avec un hirak en instance. Une crise sanitaire résultant de la pandémie de la Covid-19, une crise financière due à la dégringolade inédite des prix des hydrocarbures sur le marché international. Enfin, une crise socioculturelle qui couve et dont personne ne parle pour le moment. Enfin, pour ce qui est de la forme, est-il raisonnable d’avoir un texte de pas moins de 240 articles!

La Constitution n’est pas un code civil ou pénal qui nécessiterait d’aller dans les détails. Quant au préambule, censé être la «constitution de la Constitution», il est si long – plus de cinq pages au lieu de quelques paragraphes – et si dithyrambique que l’on se croirait devant un exercice de rédaction auquel j’aurais, en tant qu’enseignant, apposé la mention: «hors sujet»! Vous n’avez qu’à voir l’incongruité de la première phrase (reprise verbatim) pour s’en convaincre: «Le peuple algérien est un peuple libre, décidé à le demeurer…» Franchement, quel peuple ne voudrait pas l’être?

Et puis, depuis quand le peuple algérien est libre? Ajouté à cela deux paragraphes faisant l’éloge de l’armée à laquelle est attribué le «succès» même du hirak! Parler de l’armée dans le «préambule» indique, clairement, qu’elle reste le pilier du système au nom d’une prétendue filiation novembriste éternelle!

– Justement, beaucoup ont critiqué le timing, mais les services de la Présidence ont décidé de lancer le débat. Un débat contradictoire autour de ce projet est-il faisable en ce moment?

Non, en cette période de confinement – aux sens propre et figuré – comment pourrait-il y avoir un vrai débat national? Pourquoi le Pouvoir, après avoir sursis au projet à cause de la pandémie, décide-t-il subitement de le réactiver? Est-ce par cynisme consistant à exploiter le contexte actuel où tout le monde est préoccupé par le souci sanitaire?

S’agit-il d’un simple leurre pour «distraire» la population pendant que le Pouvoir s’emploie à consolider ses assises, à la lumière de son expérience avec le hirak. Aussi, le projet de révision de la Constitution, dans les conditions actuelles, ne saurait constituer une priorité. S’y entêter nous cause beaucoup d’inquiétude au sujet des libertés politiques et de la bonne gouvernance dans notre pays.

Nous avons toutes les raisons du monde de nous inquiéter de l’avènement d’un autre clan, plus aguerri que le précédent, pour nous faire subir le pire. D’autant que c’est la même génération politique qui gouverne, laquelle se distingue par une culture politique autant autoritaire que roublarde.

– Quelle est, selon vous, la nature du régime qu’on veut instaurer à travers cet avant-projet de révision de la Constitution?

D’abord, il ne faut pas perdre de vue que le problème est principalement politique et accessoirement juridique. Il est aussi celui de l’application des dispositions constitutionnelles.

Force est d’admettre que ce n’est pas le fait d’avoir une Constitution, aussi respectable soit-elle, qui va nous garantir l’instauration d’un Etat de droit et de justice.

Le comité des experts lui-même n’avoue-t-il pas dans l’exposé des motifs (qui s’étend sur 12 pages entières !) que «la lettre de mission de Monsieur le Président de la République a tracé au comité de manière précise les contours des sept axes devant faire l’objet de révision… [De ce fait,] le comité ne s’est pas senti investi d’une mission constituante (sic !) qui l’autoriserait à se prononcer sur les dispositions relatives à l’ordre constitutionnel ou sur les énoncés de principe inscrits dans le texte par sédiments successifs depuis l’indépendance (resic !)…» Ceci étant, je dirais que le «projet» manque de symbolique que nécessiterait l’ambition d’une prétendue «nouvelle République».

Si, le moment venu, on me demandait mon avis sur la question, je ferais quatre propositions. 1)- un texte s’en tenant à l’essentiel: des articles trop nombreux risquent d’être redondants ou de se télescoper. 2)- La suppression des articles relatifs à la question linguistique et à la religion pour éviter au texte tout ethnicisme, conformément aux standards internationaux. 3)- La suppression du serment pour la simple raison qu’il ne garantit rien.

Il serait plus indiqué de le remplacer par des dispositions qui obligent le président de la République et les membres du gouvernement à rendre des comptes à la population en cas de forfaiture.

Pour rappel, ledit serment, que l’ancien président à récité à quatre reprises, n’a pas empêché l’arbitraire et la corruption de s’ériger comme mode de gouvernance. 4)- Mettre fin à cette confusion entre le nom, en arabe, du pays et celui de sa capitale (El Djazaïr) et le remplacer par Numidia (avec «a») pour désigner le pays. Ainsi, on aura fait d’une pierre deux coups : gagner en clarté et exprimé sa fierté par rapport à son histoire millénaire.

– Les prérogatives du président sont-elles renforcées dans ce projet, ce qui implique que son pouvoir n’est assujetti à aucune obligation de rendre des comptes?

Renforcés ou pas, les pouvoirs apparents du président de la République resteront toujours forts dans un système comme le nôtre qui demeure rétif à tout changement significatif. Un système qui se maintient grâce à l’armée dont beaucoup de chefs ne pardonneront jamais au mouvement populaire d’avoir osé scander des slogans qui les visaient directement, notamment «Madania machi ‘askaria!»

N’attendons, donc, aucun changement de ce côté-là au-delà de quelques retouches par-ci par-là afin de donner l’impression d’un Etat moderne où les responsabilités sont bien définies et réparties, à travers notamment une plus grande visibilité du Premier ministre.

Ce qui semble intéresser le Pouvoir, ce n’est pas ce genre de problématiques mais plutôt comment préserver un système profondément ébranlé par le mouvement populaire né le 22 février.

Observons, pour s’en convaincre, comment la position du Pouvoir a évolué par rapport au hirak: au début, et jusqu’à la démission du président déchu, celui-ci était considéré comme un «don du ciel». Ensuite il est devenu plus ou moins tolérable avec à chaque fois plus de restrictions et d’arrestations jusqu’aux élections du 12 décembre. Après cette date, le hirak est carrément considéré comme étant le fait de forces occultes, aidé par des parties étrangères.

– Mais, selon vous, est-ce que cet avant-projet peut réaliser un équilibre des pouvoirs, comme réclamé par l’ensemble de la classe politique?

Je ne pense pas que nous soyons dans une situation où l’on doit débattre de ce genre de problématiques. Tant qu’on n’aura pas résolu la nature d’un système basé sur le clientélisme et la politique du fait accompli, nous continuerons à marquer le pas!

– Le chapitre relatif aux libertés est très riche notamment en ce qui concerne l’adoption du régime déclaratif pour la création de journaux, d’associations… Est-ce que ces mesures suffisent-elles pour consacrer le respect des droits de l’homme et des libertés?

C’est du déjà-vu, n’est-pas pas? Bien sûr que c’est une très bonne idée, mais comment peut-on être sûr que celle-ci va être vraiment mise en œuvre? Les restrictions, parfois invraisemblables, qui continuent à être imposées aux médias d’une manière plus virulente en disent long sur les vraies intentions du Pouvoir.

Celui-ci pourrait bien vous autoriser à créer un journal, mais avec des conditions implicites évidemment, ne serait-ce que pour avoir accès à la publicité de l’ANEP.

Cette manne constitue, aujourd’hui, un levier redoutable vis-à-vis des médias. Pour faire court, je dirais que le Pouvoir actuel veut se donner les moyens qu’il faut pour, ni plus ni moins, une remise en ordre globale tout en procédant à des concessions de pure forme.

– D’aucuns estiment que le problème en Algérie n’est pas dans les principes de la Constitution, mais dans les lois qui permettent ou pas leur application. Qu’en pensez-vous et comment y remédier?

En fait, tout le problème est là! Pour la boutade, je dirais que si on pouvait me garantir son application, je ferais avec la Constitution de 1963 un pays bien gouverné, moyennant l’amendement de quelques articles trop collés à leur époque. Si nos différentes Constitutions ont toutes été utilisées comme de simples Constitutions-alibi, pourquoi ne devrait-on pas s’attendre à ce que la nouvelle Constitution connaisse le même sort?



Entretien par Nabila Amir


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