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A quoi sert le SILA '




Deux éléments-clés pour envisager une réflexion indispensable aujourd'hui sur la plus grande manifestation culturelle du pays.Depuis 23 éditions bientôt, le Salon international du livre d'Alger (SILA) assure son rythme annuel, revenant à chaque rentrée avec l'évidence d'une saison et même mieux en raison des chamboulements climatiques. Cette manifestation est donc là, bien présente dans le calendrier des Algériens et est devenue même, au-delà de son objet, la seule tradition sociale moderne créée.
Le SILA a traversé plus de deux décennies, accompagnant la société dans ses évolutions ainsi que ses épreuves, ses drames et ses espérances. Aussi, se demander à quoi il peut servir peut sembler incongru, sinon déplacé. C'est pourtant la seule et unique question qui mérite d'être posée aujourd'hui, car toutes celles qui se posent habituellement en dépendent pour beaucoup.
Or, jamais à ce jour, une véritable réflexion n'a été engagée sur cette manifestation. A notre connaissance, aucune université, pas même la faculté des arts et des lettres de Mostaganem ou une institution aussi habilitée que le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) n'a produit de thèse ou engagé une recherche de fond sur le SILA.
On peut en dire autant du Centre national du livre, dépendant du ministère de la Culture, qui, en près de dix ans d'existence, n'a pas publié une seule monographie sur la question, sauf à être tenue secrète. Jamais un sondage n'a été effectué auprès des visiteurs du Salon ou des professionnels algériens et étrangers qui y participent.
Mis à part les contributions précieuses et plus ou moins visibles du sociologue culturel, le professeur Hadj Miliani, qui s'est intéressé notamment à la lecture en Algérie, nous n'avons rien vu qui puisse nous éclairer de manière convaincante, c'est-à-dire scientifique, sur la nature de cette manifestation, ses tendances et ses perspectives.
Visibilité
Il est quand même étonnant (si cela est encore possible) que le plus grand événement culturel du pays et même le plus grand événement populaire, tous secteurs confondus, par la fréquentation (1,5 million de visiteurs en moyenne annoncés ces dernières années) n'ait pas suscité plus d'intérêt, cela sans compter sa place dans le secteur du livre, ses impacts dans la vie sociale et ses incidences sur l'image interne et externe de l'Algérie.
Il fallait assurément créer le SILA et on ne peut que célébrer cette naissance qui fut même salutaire en son temps. Puis, il a fallu le maintenir et le faire grandir, ce qui, indéniablement, a été accompli. Mais cela toujours sans visibilité à moyen et long termes.
Chaque édition suscite un flot énorme d'articles et d'émissions et, plus encore, de discussions de café et de propos sur les réseaux sociaux. Ce qui prouve d'ailleurs encore la popularité du SILA. Mais à l'approche de la 23e édition*, il est temps peut-être de dépasser les rivages de l'anecdotique et d'envisager une réflexion aussi profonde et large que possible sur cette manifestation.
Le premier élément à considérer réside sans doute dans la nature même du SILA. Dans le monde entier, il existe deux modèles principaux de salons du livre. Pas trois ni quatre. En rapport avec ces deux références, chacun définit son organisation et sa personnalité événementielle. On peut parler de salons professionnels d'un côté et de salons populaires de l'autre.
Il existe aussi des salons qui tentent de combiner les deux vocations, mais en définissant précisément leurs objectifs d'un côté comme de l'autre, et en s'organisant, du point de vue du temps et de l'espace, pour mêler le plus harmonieusement les deux.
L'exemple suprême du salon professionnel est la Foire de Francfort qui existe depuis cinq siècles, au moment où Gutenberg lançait son imprimerie ! Elle accueille en moyenne 7000 exposants venus d'une centaine de pays, un millier d'auteurs, autant d'agents littéraires et près de 10 000 journalistes.
Mais elle ne compte que 300 000 visiteurs, soit 5 fois moins que le SILA, ce qui est conforme à ses objectifs en tant que plaque-tournante du marché mondial de l'édition. Le seul chiffre attendu à son issue mesure les centaines de millions d'euros de contrats conclus en acquisitions de droits d'auteur, traductions, coéditions, distributions, adaptations, etc.
Ailleurs
La Foire de Francfort dure cinq jours et n'est ouverte au public que les deux derniers jours (entrées fixées à 52 euros pour les professionnels et 18 pour les visiteurs). Nouveau venu dans le club des grands salons professionnels, celui de Pékin qui grandit vite. Même principe qu'à Francfort : trois jours réservés aux professionnels puis deux au public (près de 300 000 visiteurs). Environ 2500 exposants venus d'une centaine de pays et, en 2016 déjà, plus de 5000 contrats signés.
Le Salon de Paris, le renommé Livre-Paris, a été créé en 1981 par le Syndicat des éditeurs qui le gère. Avec 1200 exposants et 30 000 professionnels, il favorise leurs échanges mais sans signature in situ de droits et avec une orientation culturelle marquée : 3900 auteurs cette année, plus de 800 événements et animations, dont à peine une trentaine des organisateurs. Enfin, il n'atteint pas le nombre de 200 000 visiteurs.
Parmi les salons populaires, citons le Kolkota Book Fair, à Calcutta. Avec près de 3 millions de visiteurs, c'est la première référence de ce genre de manifestation bien que, ces dernières années, il ait ménagé des espaces professionnels grandissants.
Dans cette catégorie, figurent aussi les salons du Caire, de Hong Kong ou encore la Feria del Libro de Buenos-Aires, ces deux derniers cependant assumant leur popularité mais accordant aussi plus d'intérêt aux échanges professionnels. Dans cette typologie, le SILA se place d'emblée dans la catégorie des salons populaires et même en bonne position à l'échelle de ses aires géoculturelles (monde arabe, Afrique, Méditerranée).
Mais en dehors de la grande fréquentation, de son exposition et de son programme culturel, il se distingue par l'absence de dimension professionnelle. Il n'existe pas d'espace ou de moments de rencontre dédié aux exposants et, en dehors de quelques tentatives sous forme de conférences ouvertes au public sur divers thèmes professionnels, le SILA peut se réclamer d'une place mais non d'un rôle dans le développement du secteur.
Cela ne peut lui être imputé dans la mesure où, comme nous le disions, il n'a pas été étudié et analysé, tandis que les pouvoirs publics n'ont visiblement pas pris conscience de l'envergure qu'il a prise au fil des ans, se contentant des vagues missions sans objectif précis qui lui avaient été attribuées à ses débuts, soit au siècle dernier.
Le peu de moyens dont il dispose, avec un budget en diminution assorti de la gratuite de l'entrée, est révélateur de cette situation. Il détient un record puisqu'il doit être le seul événement au monde qui attire 1,5 million de visiteurs avec une structure ad hoc consistant en un commissaire et un comité de quelques contractuels, quand il devrait être géré toute l'année par une structure permanente dédiée.
Souffre-douleur
Le deuxième élément à considérer est très lié au premier. Car d'où vient la formidable popularité du SILA ' En se basant sur les chiffres de fréquentation ramenés à la population du pays, c'est environ un Algérien sur 27 qui visite le SILA. Il s'agit d'un calcul théorique qui ne tient pas compte par exemple de visiteurs en balade ou des entrées multiples d'une seule personne, mais il est révélateur d'une demande au moins considérable.
Les immatriculations dans les parkings du SILA sont un indice de son audience nationale. On s'extasie ?cas réel ? qu'un père de famille de Ouargla, parcourt 800 km avec les siens, dans un humble véhicule et accepte de payer une ou deux nuits d'hôtel pour faire le plein de livres pour l'année.
Mais comment accepter que cet admirable exemple d'amour de la lecture nous fasse oublier que la capitale des champs pétroliers ne dispose pas d'une librairie digne de ce nom ' Le SILA est devenu la vitrine du livre dans notre pays, mais aussi son souffre-douleur. Tous les manquements en matière de production, de promotion et de distribution de ce secteur viennent s'y déverser.
L'absence ou le manque de librairies, les insuffisances de la lecture publique (bien qu'on ait construit beaucoup de bibliothèques) reportent une demande énorme sur le SILA, pendant seulement dix jours de l'année, en un seul point du territoire. Si cela n'est pas anormal, c'est que la terre est plate ! Et c'est cette anormalité que nous devons considérer si nous voulons avancer en la matière et donner au SILA les missions et les rôles qui devraient être les siens.
Il ne peut demeurer le bouc émissaire d'un secteur du livre qui souffre de nombreux maux dont il peut être le secouriste, mais pas le médecin. Pour cette prochaine édition, le SILA va dépasser pour la première fois de son histoire le millier d'exposants : 1015 dont 276 Algériens, soit 27% du total.
Cette performance est due aussi à l'exceptionnelle participation de la Chine en invitée d'honneur. Mais les 41 éditeurs chinois ne viennent que renforcer une tendance continue ces dernières années puisque depuis 2011, le nombre d'exposants a doublé au SILA. Qu'est-ce qui attire autant d'exposants ' Peut-être l'amour des échanges culturels chez certains, mais certainement la possibilité de vendre beaucoup.
Si ces éditeurs croyaient à l'affirmation selon laquelle les Algériens et les Algériennes ne lisent pas, ils ne viendraient pas. Il existe une demande potentielle qui n'est apparente qu'au SILA, faute de structures permanentes et décentralisées. Selon l'ancien directeur du CNL s'exprimant lors de la 20e édition, l'importation de livres avait atteint 65 millions d'euros en 2013, dont 36 millions de livres universitaires.
Rapporté aux revenus et à la population du pays, ce n'est pas extraordinaire (1,6 euro par personne) mais suffisant pour battre en brèche l'idée d'un no man's land de lecture et permettre d'envisager des programmes réalistes et innovants de promotion du livre. Si le SILA sert à quelque chose, c'est déjà à poser ces questions. Il reste à faire bouger les lignes.
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