Algérie - Concepts et leçons


A propos du soufisme
1. La mystique musulmane : le soufisme : tasaouf.

Avant de devenir une mystique, le courant soufi fût d’abord une forte spiritualité.

Les premiers musulmans qui constituaient l’entourage immédiat du Prophôte ont été très marqués par la Révélation. Le contact direct avec le message divin qui « descendait » sur leur illustre compagnon et qui leur était restitué pour leur transmettre les directives indispensables à la construction et à la gestion de la nouvelle société, leur donnait la certitude absolue de l’Existence d’un Créateur omnipotent, omniprésent, omniscient. Cette situation les mettait dans un état d’exaltation quasi-permanent et faisait que leur soucis premier était de s’engager par tous les moyens dans la voie qui les rapprocherait le mieux de Lui :quand ce n’était pas le combat et « l’istichhâd » à Son service. Ils se tournaient vers la prière, la récitation du Coran, la psalmodie de formules d’invocation et de louange « dhikr ».

Le Prophôte lui-même, les compagnons « sahaba » , les Califes orthodoxes qui consacraient leur temps libre à ces pratiques étaient des soufis avant la lettre .

On rapporte que dès cette époque, l’exaltation aidant, beaucoup d’entre eux se sont trouvés confrontés au phénomène de la perception extra-sensorielle « kachf », mais qu’ils n’y faisaient pas attention, s’en détournaient, le considéraient comme une épreuve « mihna », de caractère satanique. Ils en parlaient très peu et empêchaient toute discussion à son propos.

On rapporte également que le Prophôte se rendant compte que l’aspect contemplatif de la spiritualité l’emportait parfois sur les responsabilités sociales contrairement aux dispositions du dogme, intervenait pour empêcher les croyants de se retirer des affaires du monde terrestre.

Il en fût ainsi pour un groupe d’une trentaine de « sahabi »,dont ; Bilal, Salman el Farisi, Abdallah ibn Messaoud, Zayd ibn Khattab, Abou-Dharr Ghifari, Abdallah ibn Omar-qui, à un certain moment, passaient le plus clair de leur temps dans la mosquée du Prophôte à psalmodier le Coran et à pratiquer le « dhikr » . On les appela « ahl suffa »les gens du banc et certains commentateurs ont même prétendu que le verset 52 de la Sourate VI a été révélé pour statuer sur leur cas. (1)

D’après certains auteurs c’est ce terme « d’ahl suffa »qui aurait été à l’origine de l’appellation de « tasawwuf ». Alors que d’autres le rattachent à « saûf »(laine) par allusion à la bure de laine qui servait de vêtement spécifique aux soufis, ou à « saff el awal » pour souligner qu’ils étaient au premier rang des orants, ou bien encore à « safa » (pureté) par allusion à leur détachement des vicissitudes de ce bas monde.

Toujours est-il que très tôt, se constituèrent des cercles et une tradition soufis. Les adeptes qui se recrutaient souvent parmi les collecteurs de « hadith » se regroupaient autour d’un « cheikh » en se réclamant pour la plupart, dans cette première phase ,de Abou-dharr ghifari, l’un des principaux membres de « ahl suffa ».

La vitalité du mouvement était telle qu’il s’étendit à toutes les contrées où l’expansion de l’Islam devint durable. Si le soufisme n’a jamais aspiré à instituer une école de pratique religieuse , un « madhab », il s’est cependant imposé sous forme de courant de pensée important et a fait partie sans interruption de la vie culturelle et religieuse des musulmans depuis l’avènement de l’Islam. Ses doctrinaires, y compris les soufis modernes, notamment ceux d’origine européenne, parlent à son sujet de science religieuse. Une science qui traite de la connaissance des réalités cachées, de la réalité ultime ,de l’introspection, de la maîtrise des comportements du corps physique par le mental. Une science qui a ses maître, ses cursus, ses règles et méthodes , ses analyses des états de conscience.

L’acquisition et l’assimilation de cette science conduit à des comportements bien définis afin de réaliser les objectif du soufisme. Il s’agit en substance :
 

· d’annihiler les pulsions négatives du corps attaché à certains penchants de l’animalité.

· de dompter l’âme incitatrice au mal par nature (2).

· de veiller à être en permanence en adéquation totale avec les termes de la Révélation, ainsi qu’avec les principes et les valeurs qui en découlent.
 
La science religieuse du soufi est une arme au service du combat spirituel le « djihad el akbar »-la « moudjahada ». Ce combat passe par des états spirituels transitoires « ahwal » où l’on découvre la clé qui permet l’accès au « maqam » où sont dévoilées également une ou plusieurs vérités sur la réalité des choses. De « maqam » en « maqam » en transitant par les « ahwal », l’ascension spirituelle conduit les plus vertueux à la découverte du sens de la création « el haqiqa el haqqya » vers la proximité de Dieu ou à la fusion en Lui, selon les doctrines.

Quelques définitions du soufi et du soufisme pourront peut-être autoriser à mieux appréhender la signification de ces termes après ces brèves généralités. Elles nous sont proposées par des grands maîtres du soufisme, et des auteurs qui se sont penchés sur le mouvement. Elles ne sont en fin de compte que des approches sous des angles différents puisqu’il y a, nous dit-on, « autant de voies que de pèlerins » et que l’âme ne perçoit que ce qu’elle est capable de saisir.(3)
 
« Soufi est un nom que l’on donne et qui a été donné jadis aux saints « awliya » et aux adeptes spirituels .L’un des maître a dit :celui qui est purifié par l’amour est pur ,et celui qui est absorbé dans le Bien-Aimé et a renoncé à tout le reste est un soufi ».
« Le but suprême du soufi est de parvenir au « fana » (annihilation en Dieu) c’est-à-dire au véritable « baqa » (persistance en Dieu ) :Ali ibn Othman al Jullabi al Hujwiri (m. en 469H-1076G)

« Le soufi est celui qui ne voit dans les deux mondes rien d’autre que Dieu » Shibli.

« Le soufisme est le renoncement à tous les plaisirs égoïstes :renoncement formel si on renonce à un plaisir et que l’on trouve du plaisir à ce renoncement. Renoncement essentiel si le plaisir renonce à lui-même et qu’il est annihilé ». Abou Hassan Noûrî .

« Le soufisme est l’une des sciences de la Loi religieuse. A l’origine le soufisme est considéré comme voie « tariqa » de la vérité et bonne direction « houda ». Ibn Khaldoun.

« Le « tasawwuf »est une gymnastique mentale qui vise à effacer de la conscience toutes les influences extérieures :celles de la nature, de la société, de l’âme, pour aboutir à la représentation totale et absolue de la liberté ». Abdallah Laroui.

« Le soufisme est la fructification du message spirituel du Prophète, l’effort pour en revivre personnellement les modalités par une introspection du contenu de la Révélation coranique ».Henri Corbin.
 

La doctrine soufie :
 
Il n’entre pas dans la prétention de cet exposé d’expliciter le contenu extraordinairement

complexe souvent ésotérique de la doctrine soufie. Les quelques indications sur le sujet visent à éveiller l’intérêt en mettant en lumière quelques conceptions essentielles.

La plupart des auteurs soulignent la présence de deux constantes majeures dans la doctrine soufie.

a)L’unité doctrinale profonde à travers le temps et l’espace :

Que l’expression soit (arabe-persane-turque-javanaise-pashtoun-ourdou-oualof-peule-serbo’croate) les langues peuvent différer, mais le langage, le contenu ,varie peu et jamais sur l’essentiel.

Le point nodal, le fondement de la mystique musulmane pour tout soufi est la certitude absolue qu’en ce monde et dans l’au-delà, il n’y a rien d’autre que Dieu. Tout le reste est illusion, pur néant...... Les Prophôtes, les awliya ont pour mission de faire prendre conscience de cette réalité, et les confréries (tourouq soufia ) doivent conduire le « mourid » (l’aspirant) à rejoindre cette réalité en lui enseignant la maîtrise de ses pulsions « animales », le dépassement de sa subjectivité, qui constituent autant de voiles à faire tomber. Et le plus épais des voiles est l’égo « nafs » qui incite au mal.(4)

- Le Prophète, nous dit- on, avait approuvé les vers d’un certain Labîd selon lequel :

« tout ce qui n’est pas Dieu est vanité »

Ibn Khaldoun écrit à ce sujet :(5)

« Tout ce qui n’est pas l’essence de l’Eternel est le néant...tout est Un « all kull wâhid », tout revient à l’Unité une et simple, c’est notre façon de voir qui la divise ».

Dans « Fusus el hikam Ibn Arabi écrit :

« Ce qu’il y a en réalité, c’est le Créateur-créature. Créateur sous une dimension, créature sous une autre, mais le tout concret est un seul tout ».

Dans « Mishkat el anouar » Abou Hamid el Ghazali rapporte que :

le premier Calif Abou Bakr disait : « je ne vois aucune chose sans voir Dieu avant elle : »

le deuxième Calife Omar disait : « je ne vois aucune chose sans voir Dieu avec elle »

le troisième Calife Othman disait : « je ne vois aucune chose sans voir Dieu après elle.

Quant à Omar el Khayam, il déclamait :

« Toi en dehors de qui tout le reste n’est rien » .

Telles sont les diverses explicitations de ce point nodal qu’est le « tawhid ».

b)Le respect intégral des prescriptions scripturaires ...est la seconde constante de la doctrine.

Tous les grands maîtres prennent soin de préciser qu’il n’y a de soufi véritable que celui qui se conforme à l’esprit et à la lettre du message divin.

Les règles de parcours que le « cheikh » recommande au disciple dans le cheminement vers l’ascension spirituelle « adab es suluk » donnent une grande importance aux pratiques cultuelles surérogatoires « nafila », à la récitation du Coran et à la pratique du chapelet « dhikr » enfin à l’invocation de Dieu « wird ». Ces contraintes ont pour but de polir le miroir du cœur et de se doter d’une piété scrupuleuse.

« L’homme parfait est celui chez qui la lumière de la connaissance n’éteint pas la lumière de la piété scrupuleuse « el wara’ » écrit El Ghazali.(6).
 
Cependant insensiblement apparaissent deux nuances doctrinales en matière de « tawhid » qui ont donné lieu à des débats plus ésotériques que théologiques accompagnés dans certains cas des dérives conduisant à l’anathème.

La première acception est celle de « l’ittihad »,l’identification, le devenir-un. Il s’agit pour le « salik » d’avoir pour intention et pour volonté, de parvenir à s’identifier par amour à Dieu. Ce type d’identification n’est pas censé aboutir à la fusion en Dieu. Il suppose le maintien d’une dualité de substance dans l’union à Dieu.

On l’a parfois appelé « wahdat shuhûd ». On le retrouve dans les milieux soufis du 3°siècle Hidjri (10s ap J.C ) avec la confrérie « shadhilia » et l’affaire Halladj.

La deuxième acception du « tawhid » est celle de « wahdat el wûdjûd » l’unicité de l’Útre. Il s’agit dans ce cas de prétendre à l’annihilation de l’égo mystique, où le Le divin volatilise l’être contingent et où le dernier « maqam » mène au recouvrement d’une seule substance et au dévoilement d’une seule et unique Réalité.

Tel fût en l’occurrence l’aspect doctrinal d’Ibn Arabi et de ses disciples, dont l’Emir Abdelkader, du soufisme iranien et indien, et de nombreuses confréries.

Hudjwiri (m.469.H-1076 ap J.C) a tenté de se démarquer de la conception métaphysique grecque en expliquant ce en quoi la mystique monothéiste de « wahdat el wûjûd » est différente du panthéisme. Cependant que son traducteur , notre contemporain Mortazavi, parle de panthéisme spirituel.
 

Pratique et comportement :

a) Vœux de pauvreté :
 
Tous les soufis ne sont pas tous d’accord sur le rapport entre les conditions matérielles de l’existence et la spiritualité. Certains comme Hudjwiri estiment que la pauvreté a un rang élevé dans la voie de la spiritualité. Ils invoquent maints versés coraniques montrant la sollicitude divine envers les pauvres. Ils rapportent également des « hadith » à l’appui de leur thèse :« O Dieu fais moi vivre humblement et mourir humblement et ressusciter des morts parmi les humbles ».

« Le jour de la résurrection Dieu dira : « amenez-moi Mes bien-aimés ».Alors les anges diront : « qui sont tes bien-aimés ? ». Et Dieu leur répondra : « les pauvres et les miséreux ».

Ils distinguent entre la pauvreté subie de celle qui découle de l’indigence matérielle et de la misère. La pauvreté voulue : celle qu’on impose à sa conscience par un libre choix. Ils soutiennent que  : « plus on est dans le besoin , plus heureux est l’état spirituel »,ou que : « la richesse de ce monde écarte du contentement mystique (ridha). Le « maqam »de la pauvreté est celui où s’acquière la pureté.

D’autres grandes figures du soufisme comme Al-Razi ou El Mouhasibi réfutent cette thèse en argumentant comme suit : « richesse( ghina) appartient à Dieu . Le nom (ghani) est même un attribut de Dieu, et Il le confère à qui Il veut..... Si richesse et pauvreté sont également des attributs humains, un attribut qui appartient à Dieu et à l’homme est forcément supérieur à un attribut qui n’appartient qu’à l’homme. »

Un troisième courant plus modéré, estime avec Abu Qâsim el Qushayrî que le soufi doit accepter l’état quel qu’il soit que Dieu a choisi pour nous . En état de richesse il faut veiller à ne pas oublier les bienfaits de Dieu. Et en état de pauvreté, il n’y a pas lieu d’être révolté ou envieux.

b)L’apparence extérieure.

Les premiers soufis ont cherché à donner à leur tenue vestimentaire la plus humble et la plus dépouillée des apparences. La « muraqa’â » ou la « khirqa » (froc rapiécé) était souvent le signe des aspirants au soufisme.

Ils s’inspiraient en cela de ce que l’on rapportait sur le Prophôte qui aurait chevauché un âne, vêtu d’une « khirqa »en demandant qu’on la rapièce autant de fois que de besoins, sur Omar Ibn Khatab qui portait dit-on la « muraqa’â » avec 30 pièces rapportées, en affirmant que le « meilleur vêtement est celui qui cause le moins de soucis ».

Leur attitude en la matière était également fondée sur le verset coranique (7) où il est question de la supériorité du vêtement de la piété (taqwa) sur tout autre.

A partir du 11° siècle, ces préoccupations d’ ordre vestimentaire commençaient à disparaître pour ne plus être à terme que celles d’anachorètes.
 

c) « Ahwal et maqamat »

Hal : est un terme technique de la mystique soufie. Il est attribué à Dhu-Nun el Misri (859 ap JC). C’est un genre de perception particulière qui se développe à partir de certains états spirituels. Il est considéré comme une grâce précaire et périlleuse pouvant déstabiliser la conscience en cas de défaut de maîtrise.

Ces états sont alimentés par des sensations internes contradictoires telles que : joie-chagrin ; anxiété-détente ;colère-patience ; union-séparation ; proximité-éloignement... Le soufi se met en quête du « hal » sur conseils et recommandations de son maître. Il est astreint à certains comportements dont les plus courants sont :
 

· l’ascèse qui conduit au renoncement aux vanités du monde, aux plaisirs, aux jouissances, aux richesses et aux honneurs .

· les pratiques cultuelles telles que les retraites consacrées à la prière. Le « dhikr » répétition inlassable d’une brève prière, d’un nom divin, de la première partie de la « shahada ».

· l’introspection au cours de laquelle l’aspirant soufi, sous la conduite du maître, s’initie à scruter les replis les plus secrets du cœur pour déceler les imperfections de l’âme, stabiliser l’état de « hal », s’y enraciner et en faire un « maqam ».
 
L’accès au « maqam »s’accompagne alors de levée de voile sur la réalité des choses qui ont préoccupé le soufi dans son approche en état de « hal ».
 

d) Organisation sociale .

La principale forme d’ organisation du mouvement soufi est la confrérie (tariqa).

Les confréries occupent l’espace par le truchement des « zouii » disséminées dans toute la « oumma » islamique sous forme de centres d’études, d’initiation (ou de vie communautaire). Elles furent instituées comme telles au 11ème siècle. La première en date serait la confrérie « qâdariyya » du nom de son fondateur Abdelkader Djillani (m.en 1166 ap JC). Un des grands « pôles » du soufisme , de rite « hambalite » et « patron » de la ville de Baghdad.

Les confréries ont exercé une influence profonde sur la piété populaire. Cette influence leur a permis de remplir le rôle de gardien du dogme et de la tradition quand des peuples musulmans ont eu à subir l’agression et l’occupation étrangère.

Certaines ont même assumé des rôles politiques de premier plan.

Les « Mourabitoun » (11°-12°S) les « Mouahidoun (12°-13°S) ont exercé le pouvoir au Maghreb arabe sous couvert de réformisme religieux.

Au 19 ème siècle l’Emir Abdelkader de la « Qâdiriyya », la « Senoussia » en Lybie ont organisé et dirigé la lutte contre la colonisation.

On dénombre entre deux à trois cents confréries d’importance dont les plus connues sont : Qâdiriyya, Shadiliyya, Riffâiyya, Naqshbandiyya et Tidjaniyya.....

Il y a lieu de noter enfin qu’il a existé des confréries militaires comme celles des Mourabitoun ,et qu’il existe de nos jours des confréries féminines, notamment en Egypte.
 

D’une manière générale , le bilan du rôle historique des confréries reste assez mitigée au regard des auteurs non soufis, particulièrement en ce qui concerne l’évolution de la pensée islamique.

Si la plupart d’entre elles ont su garder vivantes les grandes données de la foi et des valeurs spirituelles dans les moments de déclin, très peu, ont pu éviter la sclérose de leur enseignement et de leurs pratiques. Il est en outre , reproché à certaines, de s’être compromises avec le colonialisme.

Les confréries ont été interdites par le pouvoir laïc d’Attaturk en 1924 en Turquie.

Elles ont fait l’objet d’hostilité de la part des réformateurs de la « Nahdha » comme Mohammed Abdou l’égyptien et l’algérien Ben Badis.

Quant aux Etats - Nations progressistes, leurs tentatives de les supprimer n’ont pas abouti sous réserve de ce qui se passe en Irak.

Historique du mouvement soufi :

On peut schématiquement distinguer quatre périodes principales dans l’histoire du mouvement .

a).La première couvre les trois premiers siècles « hidjri » ( 7-&9ème siècle.apJC). On y a observé des efforts de caractérisation pour marquer le particularisme du mouvement par rapport aux autres doctrines telles que la « mu’tazilla » par exemple. Elle a été animée par Des fortes personnalités telles que Hassan el Basri, Halladj, Bistami-le « yogui » mais aussi par l’une des rares sinon la seule « chikha » soufie : Rabi’a al Addawiyya (m.en874). Une courtisane joueuse de flûte, convertie à l’Islam après avoir découvert la mystique du « tasawwuf ». La fin de cette période est marquée par la réaction des « fouqaha » gardiens de l’orthodoxie.

b).La seconde période se situe entre le 9èmeet le 10ème siècle. Ce fût une période de répression contre les grands maîtres . De hautes personnalités religieuses comme Dhu-Nun al Misri, Mouhassibi, Nourî, ont été traînés devant les tribunaux et 950 procès ont été dénombrés au total contre le mouvement .C’est à cette époque là qu’eut lieu la première exécution de soufi qui fît grand bruit dans la « oumma » : celle d’Ibn Mansour al Halladj. Celui qui, victime de traumatisme psychique causé par l’état de « wahdat shuhûd » (l’ivresse spirituelle) clamait à qui voulait l’entendre « :anaâ el haqq » (je suis la Vérité ).

Cette répression a eu pour conséquence une floraison d’exposés théologiques de grande qualité, visant à prouver la parfaite orthodoxie de la doctrine soufie par rapport aux « madhahib » officiels. Les plus classiques sont le manuel de Serrâdj et les traités de Qushayri et de Hudjwirî.

c) La troisième période couvre le 11ème siècle :

C’est l’époque où Abou Hamid elGhazali usant de toute l’autorité attachée à son titre de « Hudjat el Islam », et fort de son expérience d’une dizaine d’années de retraite mystique, a fait obtenir au « tasawwûf » le droit de cité parmi les sciences religieuses sans toutefois venir à bout de toutes les préventions qui continuaient à se manifester.

d) La quatrième période (12ème & 14ème siècle)

On assiste à l’épanouissement de grandes œuvres littéraires qui comptent parmi les héritages les plus prestigieux de la littérature arabe et persane.

Retenons ici :les sublimes poèmes d’Ibn Farid. L’oeuvre colossale du grand maître Ibn Arabi, le « cheikh-el akbar » qui aurait à son actif en tant qu’auteur plus d’un millier d’ouvrages. Un cas unique dans l’histoire de l’humanité : Ibn Arabi disait qu’il était stimulé dans sa quête de Dieu par le « hadith » selon lequel Dieu dit :« J’étais un Trésor caché (kanz makhfi) et Je voulais être connu. C’est pourquoi J’ai créé les créatures pour qu’elles puissent me connaître ».

Djallal Eddin Rûmi et sa Somme poétique persane de plus de 25000 vers. Abdekrim Djili et son remarquable poème gnostique « el insan el kamil ».

La période connaît également l’une de ces campagnes répressives devenues récurrentes, qui a coûté la vie à des personnages aussi célèbres que Ayn Qûdhat Hammani et surtout Sûhrawardi le grand maître de l’illuminisme « ichraq » exécuté à Alep sur ordre de Salah Din el Ayoubi.
 

Critiques faites au soufisme :
 
Certains comportements outranciés affichés par des soufis s’affranchissant des rites musulmans sous prétexte de dépassement de la condition humaine, ou s’adonnant à des spectacles charlatanesques, ou encore certaines conceptions doctrinales difficilement admissibles , ont souvent servi de justifications à l’hostilité envers le tasawwuf.

Les « Mu’atazilla » - rationalistes de l’Islam, furent très critiques à l’égard du subjectivisme soufi.

La doctrine fût combattue entre - autre sur la notion de l’Amour pour Dieu. L’orthodoxie lui opposant le fait qu’un sentiment humain ne pouvait accéder à l’infinité et à la sacralité divine.

Ibn Taymiyya au 14ème siècle a été indigné par la notion de « wahdat al wudjud » et par la célèbre expression d’Ibn Arabi : « Rabb Haqq wal ’abd Haqq. Il a taxé leur auteur d’« incarnationnisme » ( hûlûl ) et de panthéisme.

Pour Mohammed Abdou le réformiste égyptien de la « Nahdha », lui-même très attiré par la voie soufi au début de ses études, a affirmé que le soufisme a « efféminé l’Islam et a nourri la résignation des masses »

Ibn Badis s’est opposé lui aussi à la prétention de l’Amour pour Dieu et a dénoncé les états spirituels (ahwal) qui confinaient selon lui au charlatanisme.

Al Azhar après avoir rejeté et condamné le tasawwuf a fini par lui faire une place dans la pensée islamique au cours du dernier quart du 20ème siècle avec la création d’ un Institut de la Science Religieuse Soufie active en son sein de nos jours.

Le renouveau

De plus en plus de publications de chefs d’œuvres littéraires et philosophiques ont été mis à l’honneur ces dernières décennies et qui sont étudiés dans les universités arabo-islamiques et par des érudits européens.

Ibn Arabi et Suhrawardî « el maqtoul » ont été édités et publiés au Caire en 1969 et 1975 par le « conseil supérieur des arts ,des lettres et des sciences sociales ».
Beaucoup d’auteurs attribuent ce renouveau à l’Emir Abdelkader et aux disciples qu’il a initiés à la mystique akbarienne lors de son long séjour à Damas.
 

Ouvrages consultés :

· Ali Ibn Othman Al Jullabi Al Hujwîrî(m.1076) : "Kachf el mahdjoub li arbab el qulub » :traduction ;Djanished Mortazavi,sous le titre : « Somme spirituelle » :ed :Sindbad

· Abou Hamid El Ghazali : "Michkât el anwâr » :traduction ;Roger Deladrière :ed :Seuil

· Ibn Arabi : « Les Illuminations de la Mecque » :textes choisis sous la direction de Michel Chodkiewicz :ed :Sindbad

. « La profession de foi » :traduction ;R.Deladrière :ed : Sindbad

· Ibn Khaldoun : « Muqaddima »T III :traduction ;Vincent Monteil :ed :Sindbad

· Emir Abdelqader : « kitab el Mawaqif »(recueil) :traduction :M.Chodkiewicz :sous le titre : « Ecrits spirituels » :ed :Seuil

· Mohamed Iqbal : « Reconstruire la pensée religieuse de l’Islam » :ed :du Rocher :U.N.E.S.C.O.

· Abdallah Laroui : « Islam et modernité » :ed :Bouchène Alger

· Roger Garaudy : « L’Islam en Occident » :ed :L’Harmattan

· Cheikh Bouâmrane/Louis Garder : « Panorama de la pensée islamique » :ed :Sindbad

· Eva de Vitray Meyerovitch : "Anthologie du soufisme" :ed :Sindbad
 
1) Al Hujwîrî :traduction de Djanished Mortazavi sous le titre :"Somme spirituelle" : ed :Sindbad page 110

2) Coran :S :XII(Joseph)v:53

3) Eva de Vitray Meyerovitch :"anthologie du soufisme" : ed :Sindbad
4) Ibn Arabi :"les illuminations de la Mecque" : textes choisis s/d de M.Chodkiewicz :ed :Sindbad.
5) Ibn Khaldoun :"Mouqaddima" :traduction ;V.Monteil :ed :Sindbad :T.3 :page 1019.
6) A.H.El Ghazali :"Michkat el anouar" :traduction,R.Deladrière :ed :seuil.
7) Coran :S :VII(El A’raff)v:26
 



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