Algérie - Divers Métiers d'Artisanat

À ATH YAHIA MOUSSA (Tizi Ouzou) - LE MÉTIER DE TAILLEUR DE PIERRE RENAÎT DE SES CENDRES: Artisans mais forçats



À ATH YAHIA MOUSSA (Tizi Ouzou) - LE MÉTIER DE TAILLEUR DE PIERRE RENAÎT DE SES CENDRES: Artisans mais forçats


Oublié pendant des années, ignoré par les nouvelles générations en raison de sa difficulté, ce métier a fini par retrouver des artisans, contraints pour la majorité d’entre eux par le chômage... Des jeunes ont introduit de nouvelles techniques de taille avec des moyens modernes pour répondre à la demande.

Abandonnées depuis le début des années 90, en raison de leur produit qui ne rapportait plus grand-chose, les carrières de Tafoughalt et de Chérifi, sur les hauteurs d’Aït Yahia Moussa, dans la région de Draâ El-Mizan, à Tizi Ouzou, reprennent vie peu à peu ces dernières années. Poussés par un chômage endémique, de plus en plus de jeunes empruntent, chaque matin, les vieux sentiers tracés par les anciens “casseurs de pierres”, comme on les appelait dans la région, pour s’adonner à la taille de la pierre. Tout en faisant de ces anciennes carrières leur gagne-pain, ces jeunes ressuscitent un métier vieux de plusieurs générations. Un métier qu’ils tentent, toutefois, de moderniser et de rendre moins pénible grâce aux moyens de l’heure.

“Les anciens de notre village faisaient la pierre et la vendaient à l’état brut. Aujourd’hui, avec d'autres moyens, telle la meule électrique, nous lui donnons des formes diverses. On la façonne comme on veut et selon la demande du client. Elle ne sert plus aux constructions comme il y a de cela longtemps mais surtout à la décoration des façades”, explique un jeune homme de Chérifi, qui a lancé un chantier de transformation de la pierre blanche étincelante en petits carrés, à confondre facilement avec la faïence.

Une pierre difficile à façonner, dit-il, mais qui est inévitable pour s'adapter à la demande.

“Je suis satisfait de mon travail tant que ma clientèle me fait des compliments à ce sujet. C'est pourquoi je dois avoir beaucoup de patience”, dit-il, affirmant que le nombre de jeunes dans ces carrières augmente d’année en année.

Par ces temps où le chômage atteint des pics insoutenables dans cette région où n'existe aucune entreprise aussi petite soit-elle, certains jeunes du village, parfois diplômés, se sont mis, dit-il, à faire renaître ce métier qui a été longtemps abandonné.

“À la fin des années 80, les quelques vieux qui exerçaient encore ce métier ont fini, sous le poids de l’âge, par ranger leurs burins et massues et depuis les années 90, les choses ont commencé à changer: les carrières ne faisaient plus vivre comme avant en raison des commandes qui ont baissé, et les jeunes accédaient à des emplois plus stables et moins pénibles dans d’autres secteurs, mais avec le chômage actuel, nous essayons de reprendre ce métier”, explique un autre jeune tailleur de pierres rencontré dans la carrière de Tafoughalt.

Ce dernier avoue toutefois que le travail de la pierre demeure toujours pénible.

“Ce n'est pas facile parce que les techniques nous manquent. Nous encourons beaucoup de risques. Si nos aînés ont su comment s'en sortir indemnes, nous craignons les accidents qui pourraient survenir. D’ailleurs, beaucoup ne font que casser les rocs abandonnés par une entreprise alors que d'autres ramassent les pierres charriées par l’oued. En tout cas, nous nous débrouillons tant bien que mal. Ce n'est pas un métier d'avenir. Mais il faut bien faire face à cette dure période”, dit-il.

Les jeunes exerçant dans la carrière de Bouhadj, à Chérifi, expliquent que même si la carrière s’étend sur plus d'une vingtaine d'hectares, il ne reste tout de même que quelques rochers appartenant à des privés qui peuvent être exploités tant une grande partie de cette carrière est traversée par la pénétrante vers l'autoroute Est-Ouest où est prévu un échangeur.

“Tout l’autre versant a été loué par un entrepreneur privé depuis le milieu des années 90. Il a installé son concasseur et a presque exploité une bonne partie de la pierre qu’il transforme en poudre extra-blanche servant à la fabrication du marbre et de la faïence”, explique un autre, précisant que ce sont des terres privées que les propriétaires ont louées à cette entreprise qui n’a, malheureusement, pu créer que quelques emplois.

À Tafoughalt, tout comme à Chérifi, même si la pierre ne fait plus vivre les familles comme dans les années 70, son histoire semble avoir profondément marqué les habitants qui se souviennent pour la plupart avoir eu au moins un membre de la famille qui était “casseur de pierres”.

“Notre pierre a sorti notre village de l'anonymat. Les clients venaient de partout. La route reliant le village à la RN25 vers Draâ El-Mizan ou Aït Yahia Moussa était une piste ouverte par l'armée coloniale qui avait installé dans notre village un camp militaire et une SAS. Donc, les casseurs de pierres devaient faire rouler les pierres jusqu’à l’oued avant d’être chargées dans des bennes tractées par des tracteurs. C'était vraiment pénible et risqué. Fort heureusement, à ma connaissance, il n'y avait pas eu des victimes à part quelques blessés légers”, se souvient un septuagénaire, embauché par l'un des vétérans de ce métier au milieu des années 70.

“Pour chaque mètre cube vendu, le propriétaire du terrain prenait dans le temps jusqu’à 5 DA, alors qu’une benne revenait seulement à environ 150 DA”, poursuit-il.

Beaucoup de villageois gardent en mémoire les noms de ceux qui avaient fait de ce métier leur gagne-pain durant la période post-indépendance.

Ces deux carrières ont servi durant des décennies aux jeunes des villages environnants d'endroits pour subvenir aux besoins de leurs familles.

Au lendemain de l'indépendance, les habitants qui étaient grandement affectés par la pauvreté et l'indigence ont pensé à l'exploitation de ces carrières en se lançant dans le métier de “casseur de pierres”.

Dans ces villages, l’on se souvient même des pionniers de ce métier généralement qu'on comparaît aux bagnards et aux forçats. Ils s’appelaient Dda Ali, Dda Achour, Dda Slimane et bien d’autres dont la plupart ne sont plus de ce monde. Munis de leurs burins, massues, pioches et pelles, racontent-on, ces “anciens”, ne comptant que sur la force de leurs bras et leurs muscles, ont “démoli” des montagnes de rocs entières. Sur les lieux, il est, en effet, aisé de se faire une idée de l’œuvre qu'ils avaient accomplie durant des années en transformant des falaises abruptes presque en terrains plats. Ils y ont laissé leur empreinte mais aussi leur santé. Ils avaient déterré ce “don naturel” enfoui à des dizaines de mètres de profondeur pour le vendre aux plus nantis qu'eux pour construire leurs villas.

“Les premiers casseurs de pierres de nos villages ont su comment gagner leur pain à la sueur de leur front. Ils n'avaient pas de moyens. Mais grâce à leur dextérité et à la maniabilité de leurs outils, ils surent comment écarter un rocher en plusieurs parties avant de le découper en petites pierres. Un travail d’expert”, raconte avec fierté le fils de l’un de ces forçats de la pierre.

Parmi tous les manœuvres ayant exercé ce métier, certains souffrent de maladies respiratoires, surtout qu'à l'époque ils n’avaient aucun moyen de protection.

“C'est avec l’âge qu’on ressent tout. Actuellement, je souffre de plusieurs maladies dont une cardiopathie”, déplore Mohamed qui avait fait partie de l'équipe de Dda Achour.

Lui, comme tous les autres, avait travaillé sans assurance sociale.

“Fort heureusement, au début des années 80, j'avais trouvé un emploi dans une entreprise publique. Aujourd’hui, j’ai une petite retraite et ma carte Chifa. Sinon, je crèverais de faim”, se désole-t-il.

De nombreux autres n’ont pas eu cette chance.

“Beaucoup des anciens n’avaient même plus de quoi se soigner”, se souvient un de nos interlocuteurs.

En tout cas, si ces carrières ont bien aidé des pères de famille à nourrir leurs enfants au moment où les postes d'emploi dans le secteur public se faisaient rares, beaucoup pensent qu’aujourd’hui ce métier ne pourra enrôler que les plus téméraires pour une période déterminée, parce que la pierre manque et parce qu'aussi, sans doute, ce ne sera pas un métier qui fera vivre ni encore moins un métier d'avenir. Ce n’est qu’un passage obligé pour certains apprentis.



Par O. Ghilès



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