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Une journée avec les méharistes de l'ANP à Tarat (Illizi)



Une journée avec les méharistes de l'ANP à Tarat (Illizi)
L'allure élancée, vêtu d'un treillis militaire, le visage recouvert d'un chèche vert, la kalachnikov accrochée en bandoulière, bien assis sur le dos d'un chameau blanc, Ahmed fait partie de l'unité de méharistes de l'armée, se trouvant à Tarat, à 170 km au sud de la wilaya d'Illizi, elle même située au sud-est du pays, à 1850 km de la capitale.Ahmed n'a pas eu la chance de faire des études. Normal. Dans son village, la scolarisation relève du luxe. Isolée du monde, la seule route qui relie Tarat au chef-lieu de la commune est difficilement praticable en raison du manque d'entretien. La plus proche agglomération est Ghat, une ville du sud libyen située à moins de 60 km seulement. Ahmed se rappelle bien des bons moments de son enfance, lorsque sa tribu rejoignait facilement d'autres fractions vivant à Tazouni, Inehrou, à Bordj El Haouas ou à Djanet. Elle pouvait traverser tout le sud libyen en faisant une halte à Ghat, où le troc était très rentable au point d'attirer de nombreux jeunes des régions limitrophes, qui ont trouvé dans le trabendo une source de richesse durant les périodes de crise des années 1980 et 1990. Depuis, les événements en Libye ont bouleversé la région. L'autre côté de la frontière s'est transformé en un immense marché d'armement lourd où kalachnikov, lance-missiles ou char sont moins chers que les produits alimentaires... Septuagénaire, Abdelillah Chenkiti, le chef de la tribu, est conscient de «la lourde menace» qui guette le pays, dit-il. Le patriarche a d'ailleurs décidé de sédentariser les siens non loin du campement de la compagnie de reconnaissance et de guerre électronique de l'ANP dont dépend l'unité de méharistes. Celle-ci est composée principalement de jeunes du village, tous de parfaits chameliers et pisteurs avérés, dont l'armée a besoin pour franchir ces immenses dunes et ces terrains rocheux non carrossables, souvent utilisés aussi bien par les terroristes que par les contrebandiers et les trafiquants de drogue. Ils savent reconnaître les pas des femmes, des jeunes, de moins jeunes, faire la différence entre les chaussures qu'ils portent et connaître l'heure à laquelle ils sont passés.Ils font des rondes régulières pour collecter des informations sur tout mouvement suspect sur la bande frontalière. Même s'ils sont rémunérés, leur travail reste éreintant. Mais cela ne les empêche pas d'assumer ce qu'ils considèrent comme un «devoir» à l'égard d'une patrie qui ne les a pas gâtés.En effet, la vie dans ce village est extrêmement difficile. Grace à des forages de l'armée, l'eau nécessaire à l'agriculture coule depuis peu. Cela permet aux familles de se nourrir. D'une humilité extrême, Abdelillah refuse de parler des conditions de vie de son village. Devant notre insistance, il nous demande d'aller discuter avec les femmes, regroupées pour la circonstance de notre visite sous deux tentes, à quelques dizaines de mètres.«Nos filles ne vont pas à l'école et nos malades sont privés de soins»Habillées de leurs belles étoffes aux couleurs chaudes, elles nous accueillent au son des tambours et de chants. De nombreux enfants, pieds nus, courent devant nous, d'autres nous prennent la main comme pour nous souhaiter la bienvenue. «Cela fait longtemps que nous n'avons pas vu les gens du Nord. Pourtant, nous avons plein de choses à vous dire. Nos filles ne vont pas à l'école faute de collège, les femmes qui accouchent meurent souvent avant leurs nouveaux-nés. Les moyens de transport n'existent pas et pour se soigner, il faut quémander les médicaments de chez les militaires», lance Fatma, la cinquantaine, mère de huit enfants.Elle nous prend la main et nous implore de faire quelque chose pour la centaine de familles qui vivent à proximité du campement de Tarat. «Toutes ces jeunes filles qui vous entourent n'ont pas la chance de poursuivre leurs études, après le cycle primaire, parce que les parents ne les laissent pas aller au collège, situé à Illizi. Elles ne peuvent rien faire, même pas une petite formation. Les centres n'existent même pas aux alentours de Tarat. A part ceux qui travaillent avec l'armée, en tant que méharistes, nos jeunes garçons ne font rien. Ils n'ont pas de travail et ne peuvent pas accéder à des métiers. Ils désespèrent de l'oisiveté. L'armée ne peut pas recruter tous les jeunes du village», lance Fatma, avant d'être apostrophée par sa s'ur, Aïcha : «Parle-lui des nombreux enfants qui souffrent de maladies ophtalmiques. Ici nous n'avons qu'un centre de santé dépourvu de tout. Ni seringues ni médicaments. Les soins sont assurés par un infirmier qui a du mal à gérer la structure. Nous n'avons même pas de médecin et à chaque fois nous nous rabattons sur l'infirmerie de l'armée où, Dieu merci, nous sommes pris en charge. La majorité des femmes accouchent sous la tente et si par malheur, il y a une complication, nous n'avons pas d'ambulance pour l'emmener jusqu'à l'hôpital d'Illizi. A chaque fois qu'il y a une urgence, nous sommes obligés de solliciter les moyens des militaires.» Les opérations de l'ANP aux frontières algero-libyennes racontées par notre photographe Lyes Hebbache «L'eau que nous buvons n'est pas traitée. Elle provient directement des puits, ce qui a engendré de nombreuses maladies et intoxications. Nous voulons être considérés comme tous les Algériens du Nord. Nous ne demandons pas le ciel. Nous voulons juste bénéficier des bonnes conditions pour une vie décente», s'emporte Aïcha, la voix pleine coléreuse. Quelques adolescentes nous apostrophent, elles veulent lancer un appel aux autorités locales : «Nous voulons que les autorités nous construisent un collège afin que nous puissions poursuivre nos études et un centre de formation pour apprendre des métiers. Nous ne voulons pas être mariées à 16 ou 17 ans, l'âge où nous commençons à peine à voir la vie. Nous avons droit à une scolarité, alors faites en sorte que notre cri soit entendu?»«Les actions des militaires sont humanitaires, le village manque de tout?»Abdelillah, le chef du village, arrive avec les officiers de l'ANP en poste au campement. Un lieutenant, médecin de carrière, insiste sur l'aide apportée à cette population. «L'unité existe depuis longtemps, mais son effectif a été renforcé en raison des événements en Libye, notamment depuis la fermeture de la frontière. Mais vu la situation difficile des villageois, les actions des militaires sont plus humanitaires. Ce village manque de tout. Nous assurons la prise en charge sanitaire des malades, auxquels nous fournissons des médicaments. Les habitants nous sollicitent quotidiennement pour l'eau, l'électricité, les soins, le transfert à Illizi par ambulance, etc. Nous faisons ce que nous pouvons pour alléger leurs souffrances», nous dit-il.Lui-même méhariste malgré son âge, Abdelillah, prend entre les mains les rênes de son chameau.D'un seul geste, il paralyse l'animal et saute sur son dos, puis redescend rapidement en voyant le photographe pointer son appareil sur lui. «Attendez-moi quelques minutes. Les militaires sont tous en treillis, moi je vais mettre ma tenue d'apparat. Je veux que les Algériens sachent qu'il y a des hommes qui protègent leur pays, sans rechigner sur les conditions dans lesquelles ils assument cette mission. Nous ferons en sorte que nos frontières ne soient jamais franchies par les faiseurs de malheur», précise-t-il.Au loin, quelques chameaux se reposent d'un long voyage dans le désert, en attendant une autre mission de reconnaissance. Grâce à eux, de nombreux terroristes ayant franchi la frontière ont été arrêtés ou abattus et leurs armes récupérées ; autant de contrebandiers et trafiquants de drogue ont subi le même sort. Pour l'ANP, ils constituent une force considérable qui permet d'avoir l'information en temps réel sur tout ce qui bouge au sud-est d'Illizi, tout le long de la frontière avec la Libye. Leur engagement pour la patrie n'a vraiment pas de prix et leur abnégation n'a pas d'égal.


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