Sbibita

La réunion des souliers a démarré dans le square des habitués. Les souliers vernis noirs ne sont pas heureux, la pluie les a salis. Ils vont en entendre parler, une fois rentrés à la maison. Le proprio va les lustrer en pestant tout le temps. Des ploucs ses copains. A cause d'eux, il est obligé de se rendre dans ce square mal agencé et terreux. Ce n'est pas grave, eux ils portent des chaussures tout-terrain. Ça risque rien, ils n'ont pas les mêmes valeurs. Le dialogue entre les souliers s'installe comme chaque jour. La coalition des chaussures contre les parterres mal choisis par leurs chaussants sont toujours au centre de leurs préoccupations. Quels ânes ils font ! Heureusement qu'on reste discrets. Nous. Les chaussures méprisées, à qui on ne demande pas d'avis. Ils suivent les pas des autres, ils sont bien obligés. La paire en cuir marron demande à la paire en cuir noir si son propriétaire la traite bien car elle a l'air mal en point et de plus en plus. La paire de cuir noir répond que celui-ci l'entraîne toujours dans les chemins difficiles à entreprendre car jonchés de pierres et pas du tout plats. Parfois, pour montrer son impatience, il sautille et écrase régulièrement les talons qui finissent par s'user de manière inégale. Tu devrais le faire déraper et le précipiter à terre, pour l'éduquer et lui apprendre à respecter ses pieds. La paire marron lui rétorque que dans son malheur il a encore un peu de chance. Hormis le fait que son propriétaire colle un coup de pied aux fesses de son fils chaque jour. La paire de marron déteste ce moment très humiliant pour le fessé et pour elle, elle préfère ne pas en parler. La paire de basket les calme immédiatement en disant que pour elle, c'est bien plus dur. En fait, son propriétaire l'entraîne dans des endroits pas très recommandables. Elle n'a pas le droit de résister. Le pire c'est qu'elle entend tout, qu'elle voit tout. Qu'elle ne peut rien dire. Ah, si cette paire de basket pouvait parler… heureusement que nos souliers ne répètent rien.