Algérie - Parutions de livres d'histoire

Récits de Kabylie. Campagne de 1857 d'Emile Carrey, Éditions Michel Lévy, Paris, 2004



La conquête de la Kabylie

C’est avec beaucoup de talent qu’Emile Carrey a servi l’œuvre colonisatrice de son pays tant il a dénigré nos montagnards et dit beaucoup de bien des siens.

Récits de Kabylie, c’est l’histoire de cette région d’Algérie vue du côté français, nous mesurons par là tout l’impact de la subjectivité de l’auteur sur les lecteurs de son temps et de tous les temps. Même s’il traite à sa manière d’une longue histoire qui a laissé jusqu’à nos jours d’importants vestiges, ce livre nous intéresse à plus d’un titre. C’est le regard de l’autre qui nous donne à nous voir sous un prisme déformant, ne laissant filtrer que ce qui peut valoriser le camp de l’auteur, c’est-à-dire pour nous la partie adverse.
Cela nous fait penser à des discours opposés où chacun des belligérants tente de faire prévaloir ses idées. Ce que fait Emile Carrey moyennant une plume aussi acérée que talentueuse, pendant la deuxième et la troisième décennie de la colonisation, et à l’ère où ni la voiture à moteur, ni la caméra n’existaient.
Le rôle de l’écrivain était particulièrement important : rendre compte à la métropole de ce qu’était l’Algérie nouvellement conquise comme terre trouvée en friche selon la version coloniale, inciter les métropolitains à venir gouverner en Algérie ou participer à sa mise en valeur. «Va, en Algérie, là bas au moins tu seras administrateur», a dit un clochard du début du XX e siècle, à un autre clochard allongé sur le trottoir. Il y a cependant un côté positif non négligeable dans le livre de Carrey, c’est d’avoir été bien écrit, de comporter des détails intéressants sur la vie de nos aïeux qui ont eu à lutter courageusement avec un armement produit manuellement sur le terrain, d’être un document historique qui donnera envie d’en lire d’autres pour connaître la vérité.

Conquérir la Kabylie pour mieux asseoir la colonisation

On dit que l’histoire est un éternel recommencement, les guerres d’occupation dans leur ensemble en ont donné la preuve, comme la conquête de la Kabylie pour laquelle la France a dû mobiliser tout un corps expéditionnaire beaucoup plus important que celui consacré à toute l’Algérie après le débarquement à Sidi Ferruch.
A la tête, il y avait le maréchal Randon soutenu par plus de dix généraux et un nombre impressionnant de colonels. Toute cette armada au nombre impressionnant de soldats, plus de 35 000 qui devaient se livrer à l’assaut de cette région montagneuse en l’attaquant par tous ses côtés : Draâ El Mizan, Beni Mansour, Tazmalt.
L’auteur du livre semble avoir été de la partie tant il prend position en faveur de son camp, présentant les autochtones agressés pour des ennemis à écraser. Parlant du mouvement des troupes arrivant à la lisière des lieux appelés à devenir théâtre d’opérations : «Du côté ennemi, dit-il, les terres s’élèvent progressivement par mamelons ou plateaux, dont les pentes douces vont en tous sens, sans ordre. Des blés, des orges encore verts, des foins…» Et ce qui nous étonne le plus, c’est l’étonnement de l’occupant étranger, actuellement défenseur des droits de l’honneur, devant les stratégies guerrières des autochtones décidés à défendre leur territoire contre une armée venue de loin pour le conquérir sous divers prétextes fallacieux.
Parlant des Kabyles, voilà ce que l’auteur affirme cyniquement : «Leurs contingents d’hommes armés ont pris part à tous les combats qui se sont donnés contre nous dans les montagnes ; leurs intrigues réitérées ont fait relever en 1855 les Beni Ouaguenoun ; en 1856, les guechtoula. Par des sacrifices d’argent incessants, ils soutiennent dans chaque tribu le parti de la lutte contre le Roumi, l’étranger, la France.»
Lorsque les conquérants ont débarqué à Sidi Ferruch, ils étaient prêts à tenter le tout pour le tout. Exactions individuelles, bombardements, incendies de villages, déportations étaient inscrits dans leur carnet de voyage pour s’assurer de la victoire : «La campagne de 1857 les retrouve debout, et les plus implacables de tous. Le 24 mai, ils ont formé le contingent principal et le plus acharné de tous les contingents kabyles accourus au secours des Beni-Raten.
Pour arriver à leurs fins en Kabylie, il leur fallait priver les populations des aliments dont elles n’«ont jamais pu se passer, au XIXe siècle : céréales, huile d’olive, figues. Pour les affamer et les obliger à se soumettre, il lui suffisait donc de leur couper les oliviers et les figuiers, leur brûler les champs de blé et d’orge. Ce qui fut fait d’ailleurs sans vergogne, cela s’étant passé à quelque deux mois avant les récoltes : «Afin d’effrayer les Beni-Yenni et de les forcer à la soumission, le maréchal ordonne la destruction et l’incendie des villages.
Le maréchal leur fait savoir, en outre, que s’ils ne viennent pas se soumettre dès le lendemain, il fera couper tous les arbres jusqu’au dernier.» Il s’agit naturellement des figuiers et des oliviers que le chef de l’expédition coloniale menace de faire disparaître pour obtenir les résultats escomptés.
Les envahisseurs ont recouru à toutes sortes de moyens que toutes les organisations humanistes condamneraient aujourd’hui, mais l’auteur en parle avec fierté, comme d’ailleurs tous les écrivains du XIXe siècle, Pierre Loti, Eugène Fromentin, Théophile Gautier et d’autres qui ont fermé les yeux sur les graves dommages que les Algériens ont dû subir pour voir installer la colonisation. Emile Carrey relate, sans gêne, cette œuvre d’assujettissement des plus abjectes : «Leurs femmes, leurs enfants et leurs meubles sont cachés loin d’eux, depuis deux jours leur territoire est foulé par un ennemi sans nombre, qui dévaste leurs villages, et va, s’ils ne se rendent, brûler leurs frênes, leurs figuiers et leurs oliviers. Leurs vraies richesses. Ils ont entre eux et leurs alliés près de 700 hommes hors de combat, dont 400 morts, sur 6 à 7 000 qu’ils étaient. Leurs marabouts, qui leur promettaient la dispersion des Roumis…»

Après la conquête, l’appropriation des lieux

Lorsqu’on lit avec beaucoup d’attention le livre d’histoire, on se rend compte d’une falsification de la réalité. Les colonisés pour Carrey ont tort de résister aux Français qui avaient mobilisé presque tout le potentiel militaire commandé par un maréchal, unique dans une armée.
A la même page (p.71), nous découvrons des contradictions. Sont-ce là des erreurs involontaires relevant d’une écriture maladroite ou d’une volonté inavouée de rapporter scrupuleusement les discours des chefs militaires ? Parlant du fort et de la route de Souk El Arba, on rapporte ces propos du maréchal : «Mais avant de s’enfoncer plus avant dans les montagnes, le maréchal veut profiter du triomphe du 24 mai, pour assurer définitivement la domination française sur le pays déjà soumis.» Puis, en bas de la page, on relève ce qui suit : «Pour la mère patrie, l’Algérie est une fille grandissante et non point une esclave exploitée. En Afrique, nous poursuivons autre chose que des écus. Placée par la providence à la tête de la civilisation, de son temps, la France a charge à la fois de la défendre et de la propager. C’est pour accomplir cette mission sacrée qu’elle va tantôt détruisant l’esclavage, tantôt foulant la Crimée.»
Il convient de croire que l’écriture d’Emile Carrey est loin d’être une écriture naïve tant les expressions, les mots sont choisis en fonction de leur poids sémantique. Il en est de même des répétitions très significatives. Ainsi, il est revenu plusieurs fois dans ses pages, comme pour nous le rappeler à chaque fois sur les villages brûlés, les Kabyles tués pour avoir eu l’audace de tirer sur les soldats conquérants, la supériorité des forces d’occupation et l’infériorité des troupes d’autodéfense de Kabylie. Le mot «civilisation» employé de manière récurrente cache des intentions. Nous avons relevé au hasard de notre lecture les passages : « … font venir d’Alger tous ces luxes de la vie civilisée, qui abrègent les heures oisives», «Déjà notre civilisation démontrée par l’exemple, racontée par quelques-uns d’entre eux, visiteurs d’Alger», «Placée par la providence à la tête de la civilisation de son temps, la France a charge à la fois de la défendre et de la propager.»
De belles perspectives d’avenir, une fois la guerre de conquête terminée

Ceci s’est vérifié par 132 années de colonisation. A certaines pages, Carrey nous fait sentir dans ses histoires rapportées avec beaucoup de talent que le corps expéditionnaire commence à tirer profit des fruits de son œuvre de conquête. Il nous fait comprendre qu’on est désormais à l’ère de la construction.
On a achevé par des moyens colossaux l’édification d’une ville fortifiée, Fort Napoléon en 1857, pour servir de symbole d’une civilisation venue de l’autre continent. Puis on a ouvert des routes, apparemment pour faciliter la vie des autochtones, mais en réalité pour assurer un meilleur acheminement des troupes, des biens destinés à mieux servir la cause coloniale.
La construction de Fort National s’est faite en cinq mois, et on s’est dépêchés d’installer les infrastructures pour une meilleure gestion des affaires.
Le livre d’Emile Carrey est intéressant à plus d’un titre, même s’il défend la cause coloniale. Il faut le lire à la manière de nos vaillants nationalistes intellectuels, pendant la période coloniale, quand ils lisaient les journaux des colons L’Echo d’Alger, Le Journal, suivre et comprendre l’inverse de ce qui est dit pour la plupart des passages. On comprend mieux l’actualité lorsqu’elle est rapportée par les adversaires politiques. On y trouve aussi, en lisant avec attention des noms à ne pas oublier : des anthroponymes de tous bords et des toponymes. Il y a le nom de Fathma n’Soumeur et des lieux de son combat libérateur. Nous ne sommes pas encore en 1870, mais nous avons en 1857 des signes avant-coureurs de toutes les insurrections qui ont marqué l’histoire.
On ne peut pas terminer sans parler du titre qui ne reflète nullement le contenu de l’ouvrage ou mal (bien) choisir pour ne pas trop heurter les susceptibilités, à une époque où nul ne pouvait discuter les décisions d’expansion coloniale prise par l’empereur et le maréchal, chef suprême des armées, même si cela devait faire beaucoup de victimes dans le pays usurpé. Pourquoi ne l’a-t-on pas intitulé «Conquête de la Kabylie» en parfaite conformité avec le contenu ? «Histoires de Kabylie» nous fait beaucoup plus penser à un recueil de récits légendaires sans marques idéologiques qu’à une guerre de conquête coloniale contre la Kabylie.
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23/03/2012 - 29297

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