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Na Messaouda, doyenne de l'humanité



Na Messaouda, doyenne de l'humanité
Son visage ressemble à un vieux parchemin, mais ses mains sont d'une extrême douceur. Parce que ses yeux ne voient plus, c'est à travers ses mains qu'elle établit le contact avec les humains. Allongée sur un canapé sommaire, recouverte d'un simple drap, elle reçoit dans la très modeste demeure de sa fille qui l'a recueillie depuis des lustres.Pour ceux qui la connaissent ou qui lui rendent encore visite pour profiter de sa baraka, elle s'appelle Na Messaouda. Pour l'état civil, elle est Tarfa Messaouda, épouse Karfouf Hamou, née le 15 juillet 1898. Non, il ne s'agit pas d'une faute de frappe. Oui, elle est bien née en 1898. Ayant vu le jour dans le petit hameau de Berroudha, à Ighzer Boulghem, à Ath Leqsar, dans la wilaya de Bouira, cette vénérable dame est donc aujourd'hui âgée de 116 ans. Son extrait de naissance faisant foi. Na Messaouda a traversé le XXe siècle les pieds nus, vêtue de cette robe kabyle qu'elle porte encore aujourd'hui, la tête enserrée dans un beau foulard aux couleurs chatoyantes. Elle s'est mariée jeune, probablement à 13 ans. A l'époque, on mariait les filles dès qu'elles devenaient pubères. De son union avec Karfouf Hamou, un paysan du bled, sont nés trois garçons et deux filles. Son mari est mort du typhus en 1945. Cela fait donc près de 70 ans qu'elle est veuve et vit seule, au milieu de ses 285 descendants. Le dernier de ses arrière-petits-enfants, Abdenour, est né il y a deux jours. Sa propre s?ur a vécu jusqu'à l'âge de 104 ans.Sa fille Kheira, 78 ans, bon pied bon ?il, et son petit fils, Achour, 65 ans, nous reçoivent dans la très modeste demeure ou vit encore Na Messaouda. Si elle a perdu la vue depuis 2001, Na Mesaouda n'a pas moins toute sa tête. Elle reconnaît encore toute sa maisonnée, se nourrit seule et se déplace encore à l'occasion quand on lui donne le bras. A l'exception du rhume ou d'un coup de froid, elle n'a jamais été malade de sa vie.Comme ses ancêtres, elle s'est toujours sustentée d'une nourriture saine et spartiate. Sa fille Kheira raconte : «A l'époque, on se nourrissait de plantes comme jihvodh (le coquelicot) ou ouahrir (le cresson), taghediwth (le cardon sauvage), izoumbiyen (pignons de pins d'Alep), de fèves sèches et de galette ou de couscous à base de blé dur ou d'orge. On avait des chèvres et des vaches, on avait donc du lait. On avait également nos jardins potagers et nos vergers où l'on se fournissait en fruits et légumes. Tout était naturel.» A 78 ans, Kheira, que sa maman appelle Henna, jardine encore. «On consommait aussi taghwawth, un mélange de blé et de pin d'Alep grillé et salé», se rappelle-t-elle.Quand Na Messaouda a consommé un yaourt industriel il y a deux ans, elle croyait avoir pris adghess, spécialité laitière traditionnelle qui se fait à base de colostrum de chèvre ou de vache et d'?ufs. Achour se rappelle de l'époque où le pain du boulanger était encore inconnu. «Le jour du marché, quand il nous arrivait de ramener un de ces gros pains de boulanger à la maison, c'était un événement, observe-t-il. Il était découpé en fines tranches et chacun recevait sa part.» Pour ces paysans habitués à la galette d'orge rugueuse, le pain blanc était un merveilleux gâteau.La vie de Na Messaouda était faite de privations et de labeur. Veuve, elle devait se débrouiller pour nourrir ses enfants. Elle filait la laine, tissait des burnous et des tapis ou rendait de menus services aux autres. «Elle sortait très tôt de la maison et faisait tourner la meule de pierre chez quelqu'un», se rappelle Kheira. Au bout d'une journée de besogne, elle recevait parfois une galette qu'elle cachait dans son corsage. Arrivée à la maison, elle partageait celle-ci soigneusement entre ses enfants, nourris comme des oisillons attendant au nid le retour de leur mère.Jadis, on partait également moissonner dans le Hodna, «gher ouaâraven» (chez les Arabes). Les paysans, hommes, femmes et enfants, suivaient les machines et ramassaient les épis tombés. A la fin de la journée, ils recevaient leur part de blé ou d'orge qu'ils s'empressaient de ramener à la maison pour nourrir le reste de la famille. Aujourd'hui, Na Messaouda perçoit de l'Etat 3000 malheureux dinars comme pension d'invalide. «Ce n'est même pas suffisant pour payer ses couches», dit sa fille. Mais qu'à cela ne tienne, elle n'a jamais quémandé quoi que ce soit.La région s'appelle Ath Leqsar en berbère, même si les panneaux indicateurs et l'administration persistent à la désigner sous le nom d'Ahl Leqsar. Elle s'étend aux pieds des monts Mlaoua, connus sous le nom de Tachwin Mlaoua. D'une altitude de 845 mètres pour l'un et de 898 mètres, pour l'autre, ces monts jumeaux se dressent comme des mamelons. Selon la légende locale, que nous rapporte Semache Ferhat enseignant de langue française, ils doivent leur nom à une femme, Mlaoua, réputée pour sa beauté. Venant de Béjaïa, la famille de Mlaoua s'était réfugiée dans la région pour fuir les avances d'un caïd turc. Les Ath Leqsar étaient à l'origine trois frères. Leur descendance forme trois grandes branches : les Ath Rached Ouali, les Ath Ali Ouamar et les Ath Avella Ouali.Pourvue de vastes forêts de pins, la région est également connue pour ses récoltes de pignons de pin d'Alep. «Chez nous, c'était l'équivalent du blé», dit Achour. Une véritable industrie s'était développée autour de ces précieuses graines aux mille vertus, connues depuis l'Antiquité pour la richesse de leur huile. On partait dans la forêt ramasser les cônes de pins d'Alep qu'on ramenait à dos d'homme, d'âne ou de mulet. On les faisait ensuite chauffer dans des fours spécialement creusés et conçus à cet effet (tazedafth). Quand le cône est suffisamment chauffé, il éclate et laisse tomber ses graines. On les ramassait et stockait dans des silos en terre ou en alfa pour les conserver longtemps. Des colporteurs vendaient ce blé noir très nourricier au litre dans les villes et les villages ou l'échangeaient contre de l'huile d'olive ou de la semoule. C'est peut-être dans le c?ur de ces graines de pins d'Alep qu'il faut chercher le secret d'une telle longévité dans le cas de Na Messaouda et de sa s?ur, ou simplement dans une vie active et une nourriture saine. Quoi qu'il en soit, même s'il est très étonnant que les autorités ne lui aient rendu aucun hommage officiel, les habitants d'Ath Leqsar qui l'aiment et l'apprécient, souhaitent tous longue vie et bonne santé à Na Messaouada, doyenne de l'humanité.





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