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Le régime, seul et unique berrani


Le régime, seul et unique berrani
Les violences à Ghardaïa, hier à Bordj Badji Mokhtar, et il n'y a pas si longtemps, en 2005, à Tamanrasset, ainsi que les violences à venir entre Algériens, signent l'échec final du projet national tel que porté par la plus grande révolution du XXe siècle. Cet échec a des apparences dramatiques et meurtrières, mais peut se manifester par des banalités insoupçonnées, comme lorsqu'on distribue à tout-va du berrani (étranger) à celui qui n'est pas de la même ville, voire du même quartier. Cet échec a un nom : l'Etat-nation a été gâché par les pratiques de l'autorité depuis l'indépendance. Les pratiques, car on ne peut même pas parler d'un pouvoir qui requiert, dans sa définition première, un minimum de légitimité, même chimérique.L'idéal révolutionnaire d'une Algérie s'est fourvoyé et s'est improvisé en un tissu d'intérêts clientélistes maintenus solidement à ses extrémités par un aveugle appareil sécuritaire. L'homme qui se venge en attaquant la maison de son voisin, se déplace, par son acte, hors des mécanismes d'arbitrage que peuvent offrir des institutions légitimes, l'homme qui traite le passant de berrani dans nos villes et villages, se positionne hors de la communauté nationale à laquelle un fort sentiment d'appartenance devrait nous lier par la foi d'un contrat équitable entre gouvernés et gouvernants.Or, plus douloureusement encore, l'«étranger» est en chacun de nous, puisque exclus de la pratique décisionnelle. Nous sommes physiquement des Algériens, mais sur le plan citoyen, nous ne sommes que des individualités partageant un même territoire, négociant âprement avec l'autorité notre marge de manœuvre en matière de survie, de santé, de travail, de ressources financières, de liberté, d'éducation ou de crédit bancaire. Ainsi, nous vivons et agissons «à côté» de notre double dépourvu de consistance : le citoyen.La MatriceAu-delà de l'imam payé par «l'Etat» algérien qui attise les haines à Ghardaïa, au-delà de la mauvaise opportunité des mesquines chamailleries entre patrons sécuritaires, alors que les Algériens tuent d'autres Algériens, au-delà des sottises de langages et des dérives politiciennes de tous bords autour du sinistre 4e mandat, au-delà de la gestion passive des rivalités commerciales teintées d'histoire de tribus, au-delà du fait que des listes électorales s'établissent selon des critères «ethniques», au-delà de la gabegie d'un «Etat» qui se croyait central et qui se trouve à genoux devant des notabilités corrompues, au-delà de beaucoup d'incohérences, fruits empoisonnés d'une non-gouvernance érigée en mode de fonctionnement automatique, c'est l'échec cuisant du projet national qui nous explose à la figure.Dans le fracas de l'impact, il nous dit le gâchis de plus d'un siècle de combat nationaliste, depuis la résistance sur le plateau de Staouéli en 1830, depuis l'Emir Abdelkader jusqu'à l'Emir Khaled, en passant par Ferhat Abbas et Abane Ramdane et Ben M'hidi et toute la généalogie de l'Etat et de l'idéal algériens qui ont pourtant existé quand leurs propres structures mentales étaient encore embryonnaires au maquis révolutionnaire, un combat nationaliste si attaché depuis le début du XXe siècle à l'idée de la citoyenneté et de la dignité.La plaie est profonde, elle va loin dans nos entrailles d'Algériens condamnés à réaliser l'idéal de Massinissa sans renier ni Okba Ibn Nafaâ, ni la Kahina, ni saint Augustin, ni saint Donat, ni les Rostomides, ni les Almoravides, ni Sidi Abdelkader, ni toute la dynastie mystique des rabbins d'Algérie, sans nier non plus les antagonismes qui devront, pour nous faire avancer, produire davantage de questionnements que d'obstacles stigmatisant les uns et les autres. Car 52 ans plus tard, nous avons, collectivement, détruit ce que la terrible machine coloniale n'a pu mettre à terre : notre sentiment d'appartenance à la matrice civilisationnelle du Maghreb central, la Mésopotamie de l'Afrique du Nord, notre inconscient collectif, connecté à la terre et aux textes produits par des milliers d'érudits, de saints et de poètes durant des siècles, si enraciné en nous, si combatif et si fier. A Ghardaïa, depuis des mois, on se tue entre nous.DépeçageCar celui qui assassine n'a jamais tué un Algérien, mais un «Ibadite» ou un «Arabe», à Bordj Badji Mokhtar, c'étaient des «Touareg» contre des «Barabich», à Tamanrasset, c'était les «Touareg» contre les «Nordistes» ou les «Chnaoua», demain ce sera autre chose, et c'est inéluctable. Mais dans la Constitution algérienne, avons-nous lu ces termes ' Car le régime ? ce conglomérat instable de bureaucrates de haut rang dont le chef de l'Etat, de hauts gradés et de puissants «hommes d'affaires» ? a de tout temps, de Ben Bella à Bouteflika, confondu particularisme culturel (culturel, il faut insister) et «risques de dislocation».Cette paranoïa ayant, a contrario, créé exactement le résultat d'un pays déchiré par des tensions ataviques. Le crime est une logique conclusion de notre échec. Car quand deux anciens Premiers ministres animent, lors de cette pathétique campagne électorale, des meetings distincts pour «Malékites-Arabes» d'un côté, et pour des «Ibadites-Mozabites» de l'autre, au lieu de s'adresser à des Algériens, ils confirment la criminelle destruction de l'idéal Etat-nation de 1954 et du Congrès de la Soummam. Par ces agissements, ils entérinent du coup l'enterrement de ce pays-idéal, l'Algérie, voué au dépeçage territorial, à la perte de souveraineté sur nos forces armées appelés à suppléer les puissances mondiales... et à la disparition.




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