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La mariée à la robe noire



La mariée à la robe noire
Abdelkader Rouahi est un nom qui va compter dans le futur du théâtre algérien.Ce jeune metteur en scène est venu au Festival national du théâtre amateur de Mostaganem présenter sa dernière pièce Safar (voyage) produite par la Coopérative culturelle Al Nibras pour les arts de scène d'Adrar.Le public de la grande salle de la maison de la cuture Ould Abderrahmane Kaki a suivi jusqu'au bout cette pièce qui relève du théâtre rituel. Le voyage qu'offre Abdelkader Rouahi est spirituel, presque mystique. Des louanges d'inspiration coranique introduisent le spectacle.Au coin d'une salle, un musicien vêtu en rouge joue le bardj Hamou du Diwane, assis entre deux bougies allumées et un brasero. Il est relayé par un ch'ur éloigné du regard qui interprète un chant invitant à la méditation. Un homme drapé de blanc, qui peut symboliser l'homme de religion, reçoit une femme (Hadjer Benhassan) venue lui demander de libérer son fils de l'emprise d'une djin nommée Alma.Possédé par l'esprit maléfique, le jeune homme crie, pleure, élève la voix, se déplace dans tous les sens. L'enfant, fruit d'un inceste, reproche à sa mère de ne pas l'aimer, de ne pas accepter son existence. «Rends moi d'abord l'argent que tu as pris», réplique la mère. Le conflit s'intensifie entre les deux personnages. La mère est partagée entre l'amour et la haine.L'homme de religion tente de jouer le rôle de médiation. Un ruban vert ondulant traverse la scène comme pour suggérer la possibilité d'un changement. Mais, la couleur verte est également celle des zaouias, notamment celle de Cheikh Belkebir de la région du Touat-Gourara. Un autre ruban de couleur rouge, celle d'un des bordj du diwane, traverse la scène pour rappeler le drame de l'enfant illégitime.Symboliquement, Abdelkader Rouahi invite avec une rare finesse à la communion entre les zaouias et la communauté diwane. D'où le vert et le rouge.Il n'y a donc pas de «cassure» entre l'islam mystique des zaouias et le rite patrimonial du diwane. Pas d'anathème ou de rejet surtout que le vert est une autre couleur présente dans le diwane. «Laissez-moi tranquille. J'ai mal. Trop mal. Laissez-moi tranquille. Je ne serais donc jamais heureuse. Je suis une mariée à la robe noire !», crie la mère en pleurant.Elle se lave à grande eau. «Je veux me débarrasser de toutes les souillures», insiste-t-elle. L'idée de la purification est fortement présente dans la pièce Safar suggérée par la couleur blanche qui enveloppe presque toute la scène à la fin du spectacle intensifiée par l'interprétation chorale du qcid du Burda d'Al Boussaïri. A Adrar, le Burda est interprété dans les fêtes de mariage au moment de couvrir d'un manteau le nouveau marié.De nature optimiste, Abdelkader Rouahi croit à la possibilité du triomphe final du bien et à la catharsis par le théâtre. La pièce, qui cache dans ses entrailles une colère alimentée par les oublis, est porteuse de revendications que le metteur en scène a bien enrobées.Le fils maudit évoque dans l'une des répliques la couleur noire de sa peau. «Nous considérons le gumbri comme un être vivant qui existe parmi nous. Je suis revenu à moi-même et au gumbri pour que cet instrument ne soit pas oublié ou subisse les épées de l'Histoire.Nous sommes le fruit de notre patrimoine. J'ai été écrit par le sable, les dattes, l'air du désert, les braises, le jawi, les bkhour...Tout ce qui fait l'homme saharien.Il est temps de mettre en valeur toutes ces composantes du Sud», a-t-il dit lors du débat qui a suivi la représentation. «Je vous ai ramené quelque chose d'Adrar pour vous dire que l'être humain est plus cher que tout. On peut construire l'homme à partir d'ici, de la scène que je considère comme un espace pur.Je ne peux monter sur cet espace sans les valeurs qui ont fait de moi ce que je suis», a-t-il confié. Abdelkader Rouahi s'est appuyé sur l'apport des frères Kouki (Abdelhakim, Chouaïb et Abdelmadjid) connus pour leur attachement à la tradition du diwane à Adrar.La puissance de la pièce Safar est justement dans ce travail collectif. Le regard profond du metteur en scène, la foule de questions qu'il pose avec intelligence, l'esthétique contemporaine qu'il propose ont donné une densité à la pièce malgré quelques faillites techniques liées à la gestion de l'espace et à l'éclairage. Mais, Abdelkader Rouahi est un artiste modeste qui force l'admiration et le respect.La modestie qui a manqué à d'autres concepteurs et comédiens amateurs de spectacles présentés à Mostaganem.Des amateurs allergiques à la critique, incapables de se remettre en cause ou de se poser des questions sur leur travail et sur le sens de ce qu'ils font. «Vous voulez nous casser», disent certains. Une vision étriquée et des horizons limités. Ce n'est pas du tout la philosophie des arts et du théâtre.Certains jeunes amateurs venus à Mostaganem ne l'ont pas encore compris. «Nous allons continuer à travailler pour améliorer l'interprétation des comédiens et rendre le spectacle plus performant. Nous avons encore du chemin à faire», a déclaré Abdelkader Rouahi acceptant toutes les remarques qui lui ont été faites à propos de son spectacle.





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