Algérie - Fiscalité

Fiscalité algérienne : Réflexion sur l’applicabilité des réformes




Une fois le processus législatif et réglementaire de l’approfondissement des réformes mis en place, son application sur le terrain reste à mettre en œuvre. Dans ce domaine, il est nécessaire que l’administration se remette volontairement en cause en mettant à plat son organisation, ses procédures et ses méthodes de fonctionnement.

Ici, il y a lieu de souligner que cette mise à niveau des différentes administrations est aussi importante que les mesures d’ordre législatif. Pour étayer notre argumentation et montrer l’ampleur, la complexité et l’intensité des efforts à fournir, nous allons présenter deux exemples empruntés à la fiscalité :
la nécessité de la réorganisation du contrôle fiscal ;
la nécessité du recensement du commerce informel et son intégration dans la sphère de l’économie déclarée.

LA REORGANISATION DU CONTROLE FISCAL
A. LES CONSTATS

1. Comment établir les listes des contribuables à contrôler ? Le service doit s’interdire la facilité et bannir les errements anciens consistant en la gestion d’un portefeuille de quelques milliers de contribuables (répartis sur le territoire et comprenant un éventail représentatif d’activités), éternels « abonnés » au contrôle qui « tournent » sur la période quadriennale de prescription !

2. Comment contrôler les comptabilités ? Là aussi, le service doit s’interdire la facilité au niveau de la mise en œuvre de la procédure et bannir la pratique très courante des rejets de comptabilité pour essentiellement des motifs de formalisme (ratures, surcharges des écritures) mais aussi de soupçons largement partagés par les contrôleurs de cadrage des comptabilités.

3. Quels résultats a l’issue du contrôle ? Là également, l’habitude et la facilité sévissent : en effet, le rejet de la comptabilité permet au contrôleur d’avoir « les mains libres », de renverser, au plan juridique, la charge de la preuve et surtout de mettre en place le système de la taxation d’office avec application de « coefficients » établis unilatéralement par l’administration sur la base de monographies établies par le service dans les années 1970 et superficiellement actualisées ! Sur la base de cette taxation d’office, il est arrivé que les montants des redressements d’impôts ajoutés aux montants des pénalités d’assiette et de recouvrement dépassent le montant du chiffre d’affaires lui-même ! Et avec le renversement de la charge de la preuve, c’est au contribuable de prouver que le vérificateur n’exagère pas !

4. Quel rendement ? Les montants des redressements sont arrêtés en centaines de millions, voire en milliards de dinars, mais les recouvrements amiables sont minimes (quelquefois ne dépassant pas les 10% des montants redressés). Les recouvrements traînent sur plusieurs années et chargent inutilement le service en écritures fastidieuses reprises d’année en année de manière manuscrite sur des registres ad hoc.

5. Le contentieux En matière de recours administratif, c’est la structure ayant taxé qui instruit le dossier. Dans cette situation, le service qui est juge et partie, en même temps, se déjuge difficilement. Les décisions sont notifiées avec beaucoup de retards et dépassent souvent l’année. En matière de recours juridictionnels et dans la majorité des cas, les jugements confortent la position de l’administration car le droit fiscal est un droit complexe et d’interprétation stricte. Les juges et les avocats ne sont pas toujours spécialisés, ils ne sont pas toujours, non plus, au fait des arcannes et des procédures fiscales ; les contribuables eux aussi ne savent pas se défendre. En matière de recours devant les commissions, le point de vue de l’administration prédomine généralement. La composition de ces commissions est favorable à l’administration ; les procédures sont lourdes et les retards s’accumulent sur plusieurs années.

6. Les résultats finaux Les taxations issues du contrôle restent généralement impayées avec des contentieux qui n’en finissent plus (blocage des comptes, saisies fiscales, fermetures de locaux…).

B. LES PROPOSITIONS POUR AMELIORER LE CONTROLE FISCAL
1. Au plan administratif, le service fiscal devrait s’atteler à l’élimination des points noirs signalés ci-dessus : Il s’agit en fait de réformer l’établissement du programme annuel du contrôle qui devrait être élaboré selon des normes et des paramètres neutres et objectifs où « la main de l’homme » ne peut « intervenir ». A cette fin, l’administration ne devrait pas hésiter à solliciter l’expertise de pays possédant le savoir faire en ce domaine. Les rejets de comptabilité, les taxations d’office, l’application de coefficients administratifs dépassés devront constituer l’exception. Et lorsque la taxation d’office semble s’imposer, les décisions qui iront dans ce sens devront être sérieusement motivées et les accords délivrés, après confrontation contradictoire, par une autorité autre que celle de la hiérarchie du vérificateur. Dans ce cas de figure, les redressements devront être justifiés et discutés avec le contribuable, comme cela se pratique dans d’autre pays. En résumé, les méthodes, pratiques et procédures de vérification des comptabilités, de taxation, de recouvrement, de contentieux administratif et juridictionnel, les monographies, les coefficients multiplicateurs doivent être revus, corrigés, simplifiés et au final, inscrits comme garanties dans la charte du contribuable.

2. Au plan politique, une réorientation de l’activité des deux principales structures de contrôle de la DGI : la DGE et la DRV pourrait être avantageusement décidée par le cabinet du ministre et un moratoire des contrôles fiscaux approfondis décidé sur une période quadriennale. Par ailleurs, il pourrait être décidé, et sauf exception, que pour une période de 4 ou 5 ans le contrôle fiscal sur place et en « cabinet » des contribuables connus, recensés et suivis par les services soit assuré par la seule DGE pour les entreprises importantes (CA = 1 000 000 000 DA) et les opérations complexes (institutions financières, holdings, groupes...) et par le service local de contrôle (DIW) pour les autres contribuables. Au cours de cette même période quadriennale, la DRV quant à elle devrait être chargée d’une seule mission qu’on pourrait qualifier de stratégique : le recensement du secteur informel. L’unique préoccupation de cette structure devrait être de rechercher et de faire connaître les sociétés et les personnes versées dans l’économie noire et ceci n’est pas une mince affaire puisqu’il est généralement admis que 30 à 40% de l’ensemble des activités sont versés dans l’informel.

3. Au plan législatif, il est proposé l’institution du système du « bouclier fiscal ». Afin de protéger l’entreprise, lieu de création de la richesse nationale, d’un arbitraire fiscal toujours possible, un seuil maximum de tous les prélèvements fiscaux y compris les pénalités d’assiette et de recouvrement devrait pouvoir être déterminé et reconnu par la loi : c’est le principe du bouclier fiscal qui sera introduit cette année en France, pourtant pays d’ancienne tradition fiscale, administrative et juridictionnelle. En clair, aucun prélèvement ne pourrait être effectué au plan fiscal dès lors qu’il dépasserait un pourcentage du CA ou du revenu fixé par le législateur (par exemple, 50% en France).

LE RECENSEMENT DU COMMERCE INFORMEL ET SON INTEGRATION DANS LA SPHERE DE L’ECONOMIE DECLAREE : LA MISSION DES IMPOTS
Il convient, tout d’abord, de souligner ici, et cela est évident, que la lutte contre le secteur informel (qui a pris une telle ampleur !) relève de toutes les institutions de la République. Aucune institution ne peut prétendre pouvoir y faire face à elle seule. Les motifs avancés pour expliquer cette situation sont connus : bureaucratie des services publics (fisc, douane, commerce, banque, administrations d’autorité), autorisations à n’en plus finir, complexité et lenteurs des procédures, corruption, arbitraire, laxisme… En réalité, le phénomène est à rechercher plutôt dans les dysfonctionnements de l’économie dus au passage (très lent, chez nous) d’un système planifié à un système plus ouvert, phénomène observé, par ailleurs, dans d’autres pays ayant connu une telle transition. Ce qui devient, par contre, plus préoccupant chez nous, c’est que des contribuables déclarés versent de plus en plus dans l’informel. Et pour une part de plus en plus importante de leur chiffre d’affaires ; parfois, c’est la loi même qui est détournée à ces fins, à l’exemple du dispositif d’aide à l’investissement mis en place par l’Etat (APSI - ANSEJ). Et ce qui devrait préoccuper davantage l’Etat, c’est que « l’effet d’attractivité » joue en sens inverse de ce qu’il devrait être : c’est l’informel qui attire le secteur formel ! Et sur ce plan, osons une question, exagérée, nous l’espérons : l’Algérie serait elle en train de régresser à l’image de certains pays du Sahel où à l’exception des grosses sociétés, généralement étrangères, la quasi-totalité des activités relèvent de l’informel et où la seule réaction « d’adaptation » du fisc et de mettre en place des impôts forfaitaires, c’est-à-dire des « impôts informels » ? Face à l’ampleur de cette situation, l’Etat devrait dépasser les seules actions répressives et mettre en place un dispositif réfléchi, approprié et graduel. C’est le sens que nous donnons à notre proposition de moratoire du contrôle des contribuables déjà connus et de réorientation des activités de la DRV : plutôt que de contrôler et recontrôler des entreprises déjà recensées, ne serait-il pas plus rentable pour l’Etat et le fisc d’aller à la recherche de ceux qu sont dans l’illégalité totale et que ne règlent aucun dinar ? A titre d’exemple, voyons ce qui peut être fait par l’administration fiscale dans la recherche du secteur informel à travers la mise en œuvre « rénovée » de deux instruments d’actions classiques : le recensement et l’informatisation.

A. LE RECENSEMENT : qui est à la base du contrôle de toute activité déclarée et surtout non déclarée a été plus ou moins abandonné par les services locaux depuis déjà de longues années, en fait depuis les temps de l’économie dirigée où l’inspecteur des impôts, sans bouger de son bureau, recevait l’information des différents services délivrant les différentes autorisations recoupant et contrôlant ainsi, sans déplacement, les déclarations des contribuables relevant de son secteur. Aujourd’hui, l’administration gagnerait à réhabiliter le recensement, à en faire la pierre angulaire de l’activité des services d’assiette, en lui donnant son lustre d’antan et en y associant autorités et institutions locales. Au plan technique, le mode opératoire de ce recensement devrait être également rénové et réaliser la nécessaire « synchronisation » des actions :

1. Le recensement des personnes : il s’agit d’établir, de compléter et d’actualiser le registre fiscal, listing de tous les contribuables et de leur activité et ceci par recensement sur les lieux d’une part et par l’exploitation, d’autre part, de tous les fichiers et leur exploitation par « croisements » grâce au « matricule fiscal » dont l’utilisation gagnerait à être étendue, même graduellement, aux autres organes de contrôle : sécurité sociale, registre du commerce, banques et trésoreries de wilaya…

2. Le recensements des biens : l’administration devrait pouvoir mettre en place assez rapidement le Cadastre Fiscal, base de la connaissance et de la localisation des occupations des lieux et des activités marchandes qui permettrait au service de recouper les informations collectées avec celles du registre fiscal et conséquemment de déceler les anomalies et d’y remédier par mise à jour et exploitation du Registre.

B. L’INFORMATIQUE FISCALE :

Bien que ce soit le moyen indispensable de l’information fiscale, de son exploitation et du contrôle de l’activité des services, il importe, en réalité, et tout particulièrement, de signaler ici, l’important retard pris par l’administration fiscale dans le " décollage " de son informatisation.

Il serait, même, plus honnête de dire, qu’à une ou deux applications comptables au niveau des Recettes et Inspections, presque rien n’a été fait depuis, pratiquement, la fin des années 1980 !

Et l’écart, en cette matière, avec les autres services publics parait encore plus grand lorsque l’on compare, aujourd’hui, les progrès réalisés par la Poste, les Chèques Postaux, la Douane et les Banques avec qui se fait au niveau du fisc !

Une des raisons, me semble t’il, de cette stagnation tient au fait que les dirigeants qui se sont succédés à la tête de l’administration fiscale ont considéré - à tort - la " question " comme une affaire de " techniciens " et que leur mission devait se limiter en ce domaine à mettre à disposition du service informatique les moyens financiers et matériels possibles, sans établir ni Cahier des Charges précis et contraignant ni Listing détaillé des opérations à effectuer ni dates de réalisation de ces actions.

Concernant la mise en œuvre de la politique informatique, le " maillage " du secteur informel passe, au plan technique, par les étapes suivantes :

1. Préalablement à toute action, l’établissement du " Schéma Directeur Informatique " c’est-à-dire l’élaboration d’un document de référence pour toutes les décisions à prendre sur 4 ou 5ans en matière de fixation des objectifs et des choix en matière informatique et, si possible, précisant, dans le détail, le listing et le timing des opérations à effectuer, doit être réalisé en urgence et ne plus être considéré comme une production purement intellectuelle sans prise sur le terrain.

Ce schéma directeur arrêté au niveau de la D.G doit pouvoir prendre en compte les principes de modularité, d’indépendance des architectures informatiques par rapport à l’organisation administrative, de sécurité des données et des traitements, d’indépendance de logiciels par rapport aux fournisseurs (systèmes ouverts et compatibles), de recherche d’économies d’échelle dans les applications de masse, de simplicité du système et d’ouverture sur l’avenir.

2. Sur un plan opérationnel et comme cela se pratique dans les pays développés, l’Informatique CENTRALISEE sera chargée des opérations de masse :

- T.V.A, - I.B.S, - I.R.G, - Acomptes Provisionnels, - Déclarations Prè-imprimées.

Les autres applications informatiques centralisées concerneront :

Le recensement des biens, des personnes et des activités ;
La gestion du Fichier Central,
La gestion du Matricule Fiscal,
La gestion du Cadastre Fiscal,
La gestion opérationnelle des recoupements et informations fiscaux ;
La gestion des statistiques et prévisions.

Pour donner l’exacte mesure des efforts qui restent à effectuer par l’Administration Algérienne dans ce domaine, donnons ici, l’exemple de la France qui a investi 2 Milliards d’Euros (200 Milliards de nos Dinars) dans le seul programme " COPERNIC " (gestion centralisée des impôts français)

3. L’informatique locale doit être, bien sûr, décentralisée mais coordonnée et cohérente dans le cadre de l’organisation générale de la D.G.I.

4. Ceci passe préalablement et concomitamment par :

La fixation aux services locaux de normes techniques en vue d’éviter de multiplier les systèmes et les logiciels, de simplifier les formations et la gestion et réduire les coûts ;
La mise en place du fameux " dossier fiscal unique " tant en matière d’assiette que de recouvrement ;
Ce qui, au plan organisationnel, implique, à brève échéance, la fusion des services d’assiette et de recouvrement.
Au plan matériel, cette fusion des services implique leur regroupement en un seul lieu .Eu égard à l’éloignement actuel des services les uns des autres et leur état de délabrement indigne d’une Administration d’Etat, il devient nécessaire de programmer la construction de Centres des impôts au niveau de chaque daïra.

bsr, messieurs, je rejoint vos suggestions intéressantes mais cela demande un investissements assez important d'abord des gestionnaires et sur le matériel adéquats pour mener a bien les missions fiscales contrôles ou autres. car actuellement les contrôles fiscaux sont abusifs on parle que de rejet de comptabilité pour ne pas se compliqués l'existence et mettre tout au détriment du contribuable il n'y a pas de sincérité dans la fonction de contrôle et d'information.
kerfouf lahouari - directeur financier - oran, Algérie

09/12/2010 - 9092

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