Algérie - Immigration clandestine, Harga

Élan de solidarité avec les migrants subsahariens à Béjaïa: Des vêtements, de la nourriture en attendant un cadre juridique



Élan de solidarité avec les migrants subsahariens à Béjaïa:  Des vêtements, de la nourriture en attendant un cadre juridique




Arrivés il y a trois mois dans la ville de Béjaïa, après une traversée périlleuse du désert, les migrants nigériens n’ont trouvé de moyens de subsistance qu’auprès de la population locale. Moult fois sollicités pour assurer le minimum vital à quelques dizaines de migrants en détresse, les services de la wilaya adoptent la politique de l’autruche en attendant une décision centrale.

Parmi les rares associations, qui activent sur le terrain pour apporter assistance et aide humanitaires aux réfugiés syriens et migrants subsahariens, l’Association pour la défense et l’information du consommateur (ADIC) de Béjaïa, l’association de bienfaisance Inchirah et le Centre de documentation en droit de l’homme de Béjaïa (CDDH), affilié à la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH). Des organisations dont les membres ont le cœur sur la main, des adhérents dévoués pour soulager l’homme dans sa détresse quelles que soient la couleur de sa peau, sa religion, sa race et les raisons qui l’ont contraint à vivre sans papier dans un pays étranger.

Yanis, président d’ADIC, a tracé un programme à court terme pour aider ces migrants. Il consiste en un apport en nourritures, en vêtements et prochainement – il y travaille – une assistance médicale avec l’aide d’autres associations compétentes dans le domaine sanitaire.

«Nous avons commencé par les recenser. Aujourd’hui, j’ai un chiffre qui se rapproche de la réalité, notamment pour la ville de Béjaïa. Il y a plus de 150 personnes à errer dans les rues et à mendier», dit Yanis en retirant de sa poche des bouts de papier sur lesquels il prend ses notes.

En ce jeudi 15 octobre, ADIC organise une distribution de vêtements aux migrants. Les dons sont déposés dans un local, chez un membre de cette association qui a élu siège à la cité CNS, au centre-ville.

Il est 16h. Deux voitures, une moto et un fourgon démarrent vers le quartier Edimco, à l’est du chef-lieu. Sur place, les familles nigériennes se rassemblent pour le dîner qu’elles préparent sur un feu de bois. Ce qui facilite la tâche de Yanis et ses copains, ce sont les liens d’amitié que le groupe a tissés autour des matchs de football organisés auparavant avec les jeunes migrants. Yanis appelle tout le monde par son prénom. A peine le fourgon chargé de vêtements garé, les enfants et les femmes se ruent vers la portière arrière avant de s’organiser en file indienne pour choisir ce qui leur convient en robes, chaussures, pantalons, vestes, etc.

Il n’en fallait pas plus pour que se dessine un sourire sur les visages des enfants et des mamans. Moins d’une heure plus tard, la procession de véhicules se dirige vers les Quatre Chemins. Sous le pont jouxtant la gare routière, des dizaines de familles de migrants y ont pris leurs «quartiers».

«Nous allons distribuer ce qui reste de vêtements. Et j’apprends déjà qu’au siège, les habitants continuent d’affluer pour déposer leurs dons», dit un membre d’ADIC, tout sourire.

Avant de commencer l’opération de distribution, les bénévoles semblent chercher une personne parmi les migrants.

«Ceux-là sont très différents des autres. Ils sont moins accessibles. Donc, on cherche le chef de la ‘‘tribu’’ qui nous aidera à organiser l’action», précise-t-on.

L’activité attire les regards de tous les automobilistes de passage. Des conducteurs s’arrêtent pour déposer des «colis» tout en saluant cette initiative de ces jeunes d’ADIC et d’Inchirah. Ce qui n’était pas le cas pour les policiers en patrouille.

Attirer par l’attroupement et un cameraman amateur, membre de l’association, ils s’arrêtent pour demander une autorisation de filmer sans le respect des usages, faisant moins attention à leurs manières – descendre du véhicule, le salut et le ton moins agressif… L’officier demande à l’un des membres de l’association de le suivre dans le véhicule.

Ce qui a été pris pour un manque de respect par les membres qui ont failli être embarqués pour avoir fait la remarque. Ces gens-là sont-ils considérés comme des clandestins?

«Des clandestins qui vivotent ici depuis trois mois sous ce pont lugubre sans la moindre prise en charge. Donc, si vous ne les embarquez pas, laissez-nous les aider!» rétorque Yanis à l’officier en tenue de combat.

A se demander si un sans-papiers a le droit à la protection ou est-il coupable de tout ce qui peut lui arriver dans la rue?

Par ailleurs, la LADDH, à travers la CDDH de Béjaïa, s’est attaquée au volet juridique de cette crise migratoire qui remonte du Sud. L’humain étant au centre des débats, l’organisation a plaidé, lors de nombreuses rencontres et rassemblements, pour la mise en place d’un cadre juridique réglementaire et des mécanismes de prise en charge.

Et ce, même si la LADDH est convaincue que la véritable solution doit être trouvée à la source, c’est-à-dire dans les pays d’origine de ces migrants et réfugiés.

Après l’incident avec la police, le groupe de jeunes s’est dit déterminé à terminer son action qui devra se prolonger tout au long de cet hiver. Ils pensent déjà à organiser une campagne de vaccination pour les enfants en collaboration avec d’autres associations qui activent dans le domaine de la santé.



Moaâz et les autres, les condamnés à errer

Moaâz est un jeune Nigérien né en 1988 dans le département de Matamèye, à 826 km à l’est de la capitale, Niamey. Il y a trois mois, il a quitté sa région pour l’Algérie à la recherche d’un travail afin de nourrir sa famille qui est restée au pays.

«Je n’ai pas fait d’études. Toute ma vie, j’ai vécu de petits boulots, mais depuis quelques années, le travail est devenu rare au Niger. Les gens que vous voyez ici ont fui la faim à cause des conditions économiques et d’autres ont été persécutés par les groupes terroristes de Boko Haram.»

Comme Moaâz, chaque personne ou famille a une histoire. Moaâz raconte qu’il a perdu son père au cours d’un attentat terroriste qui a ciblé une mosquée dans le sud-est du Niger, où les islamistes armés sont très actifs.

«Derrière moi, j’ai laissé ma mère, ma femme et ma grande sœur à qui j’envoie de l’argent dès que j’en ai», poursuit-il, en poussant un soupir.

Ils sont des milliers à rejoindre l’Algérie chaque année. Des clandestins, aux yeux du gouvernement algérien qui organise chaque année une expulsion sous le couvert d’un rapatriement volontaire des migrants avec la collaboration de l’Etat nigérien.

Mais l’hypocrisie de ce programme déployé en grande pompe et surmédiatisé, marqué par des échanges de visites officielles, est mise à nu par le retour quasi systématique des migrants. Ces derniers n’hésitent plus à rappeler la cause de leur errance: la crise sécuritaire, politique et économique qui prévaut dans leur pays et dont le gouvernement nigérien est responsable. Ils en parlent à ceux qui veulent les écouter.

Certes, les migrants sont moins au fait de la crise financière que traverse l’Algérie, mais ils estiment, qu’«en Algérie, nos conditions sont également difficiles. Malgré tout cela, les Algériens sont généreux et c’est ce que nous avons constaté à Béjaïa», dit un autre migrant avant de poursuivre: «Nous dormons dehors, sous les ponts et les arcades des immeubles. L’hygiène est dangereusement dégradée dans les espaces que nous occupons. L’état de santé des enfants et des personnes âgées est fragile.»

La discussion est entrecoupée par les va-et-vient de quelques automobilistes qui s’arrêtent pour déposer des colis de nourriture et de vêtements chauds. L’hiver est à nos portes.

En attendant le programme d’«expulsion», expertement appelé par les décideurs programme de «rapatriement volontaire» pour ne pas froisser les sentiments des organisations humanitaires, les migrants subsahariens et les réfugiés syriens ne peuvent compter que sur la solidarité des citoyens de Béjaïa, en particulier l’association ADIC et la Ligue algérienne des droits de l’homme. Ce sont les rares organisations actives sur le terrain pour apporter une aide humanitaire et rappeler à l’Etat algérien ses responsabilités.

«Nous avons bel et bien cherché du travail dans les chantiers, mais nous sommes refusés à cause de l’absence d’une autorisation de travail», disent-ils.

Les entrepreneurs qui manquent cruellement de main-d’œuvre leur répondent que «nous voulons bien vous embaucher mais malheureusement vous n’avez pas de permis de travail et ça c’est interdit», rapportent-il.

Au lieu d’aller à l’école, les enfants accompagnent leur maman pour mendier. Ainsi, la première chose que ces gamins apprennent dans la rue, c’est de tendre la main et le mot «sadaka» (aumône).

A la question de savoir comment il envisage son avenir, Moaâz, cet indésirable clandestin aux yeux de la loi algérienne, marque un silence de quelques secondes en balayant du regard «le campement». Puis, il se retourne vers nous et dit avec un air abattu: «Je ne sais pas. Nous vivons au jour le jour. Pour le moment, mon seul souci est de subvenir aux besoins de ma famille et la mendicité est le seul moyen d’y parvenir dans ces conditions.» N. D.


Photo: Des migrants subsahariens et des réfugiés syriens attendant une distribution de dons

Nordine Douici

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