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De Hydra à Bab El Oued, l'attente



De Hydra à Bab El Oued, l'attente
Qu'ils habitent dans un quartier chic ou pauvre, les jeunes d'Alger sont conscients qu'ils ne sont pas acteurs de l'élection. Après le scrutin, ils choisiront : se résigner ou se révolter.«Nous demandons la paix. Si le peuple demande un changement, il faut que cela puisse arriver dans un cadre pacifique pour que l'Algérie ne connaisse pas de printemps arabe. Nous aspirons à une vie normale.» A Sidi Yahia, le quartier des enseignes étrangères de luxe, Amine, étudiant, discute politique sur la terrasse d'un restaurant comme il n'y en a qu'ici. Des établissements où se rencontrent les hommes d'affaires qui ne boivent pas d'alcool, où vous pouvez commander un tiramisu ou des gaufres belges. Il se dit «critique par rapport au système». «Il est certain que cette fois-ci, l'élection présidentielle ne se passera pas comme les précédentes. Sellal et ceux qui font campagne pour Bouteflika créent des tensions là où ils vont.Le peuple ne veut pas d'un 4e mandat. Les pro-Boutef continuent à forcer la main et ça ne peut finir qu'avec un débordement. Cette situation profite à Benflis qui me paraît plus dangereux que Bouteflika lui-même», affirme-t-il. Yacine Benmeslem, 27 ans, gestionnaire de restaurant, pense qu'un changement de l'intérieur est toujours possible. «Je suis pour Bouteflika et je suis convaincu qu'un changement profond est possible avec lui.» L'après-17 avril ' «Je crois que le risque de débordement existe vraiment. Moi, je ne souhaite qu'une chose, que la paix règne en Algérie, car nous voulons continuer à espérer et à rêver.»VitrinesPour lui, les responsables de ces tensions sont tout désignés : «Les chaînes privées, elles jettent de l'huile sur feu.» Rencontré dans la rue principale de Sidi Yahia, un enseignant à l'INSIM ne veut même pas penser à l'avenir. «Je ne crois pas à un changement possible dans notre pays. Qu'ils nous foutent la paix, c'est tout ce que je leur demande.» Le propriétaire du marchand de journaux réagit, lui aussi. «Franchement, je ne me sens absolument pas concerné par l'élection», lance-t-il.Dans l'allée des boutiques à l'architecture chaotique, le soleil illumine les vitrines où sont déjà exhibées les collections d'été. Ici, les loyers sont hors de prix, sauf pour les étrangers. Demain, une nouvelle marque de prêt-à-porter pré-ado et jeune adulte fera le bonheur des filles : Jennyfer. La première boutique de l'enseigne ouvrira à Sidi Yahia, une seconde suivra avenue Ali Khodja, à El Biar. Les filles, justement, avec voile ou au look hipster, difficile de les interviewer. «Les Algériens sont libres d'élire le président qu'ils voient capable d'assurer cette lourde tâche. Mais cela ne doit arriver que par les élections», explique, Yassou, 28 ans, avocate. Pour l'avenir, elle reste optimiste. «L'après-17 ne me fait pas peur. Mais entre nous, je demande au prochain président de prendre en considération de grands dossiers, tels que le chômage. Ils doivent aussi penser à léguer la place aux jeunes», ajoute Yassou.CrainteEn face du grand rond-point de Sidi Yahia, où la circulation ne s'arrête jamais, deux adolescents s'attardent à prendre la route de Bir Mourad Raïs. «La situation est normale. Les Algériens bardine, Khou (Les Algériens ne réagissent pas, ndlr). Ne vous inquiétez pas, rien ne va se passer», assure Momo, 20 ans, technicien en froid. A la sortie d'un restaurant, nous avons rencontré un couple d'indonésiens installé depuis quelques années à Alger, qui suit de près l'évolution de l'actualité en Algérie. Ils ne cachent pas leur crainte quant à leur avenir ici. «Il faut que la démocratie algérienne soit plus simple. Les étrangers ont beaucoup de problèmes et endurent une terrible bureaucratie», déclare le couple. «J'ai peur de ce qui peut arriver. Nous avons des enfants et je ne sais pas si pourrai bien les protéger. Que Dieu garde l'Algérie saine et sauve», s'inquiète la dame. Sidi Yahia échappe-t-il à la campagne ' Un chauffeur de taxi en est persuadé : «Ici, les gens ne demandent que la paix, car ils ne veulent pas perdre cette stabilité et leur qualité vie. Mais au fond d'eux, je crois qu'ils sont comme tout le monde, ils sentent que les choses vont dans le sens d'une débordement imminent.»«Nous n'accepterons pas une momie ! Imposer Bouteflika nous mènera droit à la dérive. Ne voyez-vous pas ce que subissent ceux qui lui font campagne ' Ils sont hués, boycottés et chassés là où ils vont, aux quatre coins de l'Algérie.» A Diar El Kef, un quartier pauvre situé sur les hauteurs de Bab El Oued, ou «El Carrière» comme l'appellent les Algérois, où les seules couleurs sont apportées par les poubelles jetées n'importe où et le linge étendu sur chaque balcon, la critique du système passe avant la question de l'après-élection présidentielle du 17 avril 2014. «L'après-17 me fait peur. Les dérapages de Sellal ont créé beaucoup de tension. Lui et ses compères font la campagne d'un candidat fantôme et ignorent ce qui se dit dans chaque meeting organisé dans les différentes régions du pays», assure Karim, 29 ans, chômeur.Beaucoup de colère est ressentie chez ces jeunes qui passent la journée adossés au mur d'une baraque qui donnent sur le quartier Climat de France. «Sellal est un ignare. Il ne peut même pas nous procurer du lait et veut gouverner 40 millions d'Algériens ' Il n'y aura pas de vote ici. Nous sommes prêts à tout, même à la guerre s'ils veulent», ajoute un jeune surnommé Caméra. Son ami intervient : «Pourquoi vous ne parlez pas de Bouteflika !» Quelqu'un s'y met directement : «C'est un régionaliste. D'ailleurs, nous n'avons rien vu depuis que l'Ouest a gouverné l'Algérie», explique Khaled, 28 ans, célibataire et chômeur.SceptiquesEn parlant du futur Président, Kamel propose un nom : «Donnez le pouvoir à Lotfi Double Kanon. C'est le seul qui comprend nos douleurs. J'ai 30 ans et je n'ai jamais quitté mon quartier. C'est ici que je suis né et c'est dans mon quartier de misère que je mourrai», s'emporte Kamel. «On veut la guerre pour retrouver notre souveraineté. Je sais que ça va chauffer. C'est l'étranger qui dirige en Algérie et non les Algériens, ajoute Khaled. Les affaires de l'Etat sont gérées par la mafia. Ils ont pillé toutes les richesse du pays pendant que nous luttons pour survivre dans le pays du pétrodollar.» Karim craint un printemps arabe en Algérie. «Mais ils ont tous la double nationalité. Si ça dégénère, ce sont les pauvres, c'est nous qui payerons le prix», affirme Karim. Mais Khaled ne prête pas attention aux propos de Karim : «Ils nous disent que c'est soit eux, soit le terrorisme. Moi, je leur dis, ni n'touma ni houma (ni vous, ni eux, ndlr), la parole reviendra au peuple, Kho.»Appel au calmeDe l'autre côté des bâtiments de Diar El Kef, sur un vue pleine donnant sur Bab El Oued, quelques magasins sont ouverts, dont la cafétéria de Lahkdar, 49 ans, ex-policier. «La délinquance a augmenté depuis que Bouteflika a pris le pouvoir. Aujourd'hui, le vol, l'agression, les crimes et le chômage se sont normalisés dans le pays, affirme Lakhdar. C'est le pouvoir qui crée cette dégradation. Nous craignons le pire pour notre pays. Nous ne voulons pas nous entretuer. Nous avons déjà vécu des tueries et nous ne voulons pas que ça se répète».Pour sa part, Gallez Mohamed, 61 ans, rencontré à la sortie de la cafétéria, pense que l'élection présidentielle peut déborder sur la violence. «Si tout se passe bien d'ici le 17 avril, c'est un miracle. La situation est désespérante. Moi-même, j'ai perdu tout espoir», assure Mohamed. Certains jeunes, eux, sont arrivés à souhaiter la guerre pour pouvoir s'exprimer comme ils disent. Quant à Lakhdar, il lance un appel au calme, notamment aux jeunes de Béjaïa. «Il ne faudrait pas que vous vous laissiez prendre par le cours des événements. Militez et organisez-vous pour crier votre ras-le-bol, mais n'allez jamais à la confrontation, car le pouvoir est mieux organisé dans ce domaine. Nous, nous allons en rester au stade pacifique.» n


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