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DÉBATS D'AVENIR OU DE DÉRIVE '


DÉBATS D'AVENIR OU DE DÉRIVE '
Par Abdelmadjid Attar,ancien ministreAujourd'hui plus que jamais, et probablement pour la dernière fois dans l'histoire de ce demi-siècle d'indépendance, l'avenir du pays dépendra de quatre facteurs, quatre défis, quatre chantiers. Mais voilà que toute l'attention est détournée vers un étrange débat autour du gaz de schiste, comme si l'avenir du pays ou son développement économique ne pouvait dépendre que de cette ressource naturelle, selon qu'on envisage ou non son exploitation.L'objectif n'est ni de mettre en doute les avis des uns et des autres ni de donner des leçons à quiconque, mais de soumettre un humble avis sur ce qui est essentiel et ce qui est accessoire parce que les vrais défis du moment découlent tous des quatre facteurs que je vais citer, leurs conséquences négatives ou positives par le passé et pour l'avenir du pays, selon non seulement de ce que nos gouvernants décideront, et mettront en chantier, mais aussi selon ce que la société civile apportera à ces chantiers.La démocratie, étymologiquement le pouvoir du peuple, ne se manifeste dans beaucoup de pays que par le vote qui n'est qu'un outil parmi d'autres de l'exercice démocratique. Les pouvoirs, dans ces pays, convoquent le «corps électoral» pour satisfaire leurs desseins et les textes fondamentaux du pays. Le vote n'est ainsi qu'un exercice démocratique occasionnel ou conjoncturel qui ne peut pas répondre à tous les besoins des citoyens.La citoyenneté, reconnaissance aux personnes du statut de citoyen, c'est-à-dire un être jouissant de droits civils et politiques, est le socle de la démocratie. Une communauté consciente de ces droits en fera un exercice de tous les jours à travers «la société civile» pour contrôler, proposer et, au final, orienter l'évolution de la société. Quitte à en payer un certain prix !L'entrepreneuriat national, qu'il soit public ou privé, est de son côté le meilleur garant de mobilisation et de participation des compétences et des capacités nationales au développement du pays. Il ne peut, hélas, exister et se développer que quand les deux conditions précédentes sont complètement réunies.L'économie de rente est la situation dans laquelle un gouvernement et une population, en toute complicité, se complaisent à se «nourrir» d'une sorte de pension de retraite dont le «fonds de pension» n'est pas renouvelable, même si certains croient qu'il peut l'être grâce aussi bien aux hydrocarbures conventionnels qu'à la «révolution du gaz de schiste», actuellement objet d'un débat complètement détourné, qui viendrait se substituer aux hydrocarbures conventionnels appelés à s'épuiser.On ne peut pas, par conséquent, parler de progrès, de croissance ou de démocratie quand il n'existe ni le cadre ni les moyens, et encore moins la volonté citoyenne de s'impliquer ou de s'exprimer pour participer au remplacement ou au renouvellement de ce «fonds de pension».Il y a plutôt nécessité d'une «révolution économique», et la responsabilité est globale et indissociable.1- A l'échelle mondiale, la globalisation de la finance dont le système a remplacé petit à petit le système bancaire ancien a abouti à la mise en place et à la prédominance d'un marché de valeurs virtuelles marginalisant l'économie réelle. Celle-ci était autrefois caractérisée par un monde plus équilibré et des valeurs de solidarité, d'espoir pour la justice et la prospérité, aujourd'hui disparues.De nos jours, tout cela est remplacé par l'absence de vision, la crainte et l'angoisse quant à son avenir ou celui de ses enfants, parfois même la perte de foi en soi.Or, la crise économique et financière mondiale est loin d'être terminée quand on voit ce qui se passe par exemple en Europe (Grèce, Irlande, Espagne, Portugal, Italie) et dans de nombreux pays à travers le monde qui se croient épargnés. On peut même se poser la question de savoir si les troubles, ou plutôt la vague révolutionnaire qui affecte entre autres les pays arabes aujourd'hui, certains en Europe même, d'autres prochainement, n'ont pas un lien avec cette crise.Que se passe-t-il ou que constate-t-on de façon générale à travers le monde d'aujourd'hui '? Une angoisse politique et sociale générale des citoyens et des acteurs économiques (entrepreneurs) du fait des incertitudes sur l'avenir.? Une crainte générale qui amène à sentir la crise économique et financière comme une fatalité génératrice de moins d'emplois et de précarité croissante à l'avenir.? Un sentiment d'injustice et d'absence de solidarité entre les communautés, les pays et même entre l'Etat-pouvoir et le citoyen.? L'appauvrissement des classes ouvrière et moyenne de façon générale à cause du renchérissement des prix et du coût de la vie en général.? La détérioration de la relation gouvernants-gouvernés du fait que les effets de la crise affectent plutôt ceux qui la subissent que ceux qui la gèrent et parfois même la créent.La meilleure preuve en est ce sentiment ou ce comportement du citoyen-travailleur : il travaillait très dur il y a 20 ou 30 ans et disait qu'il le faisait pour que ses enfants aient un meilleur avenir, et il y croyait. Aujourd'hui, il travaille aussi dur, a parfois quelque peu amélioré sa situation, mais croit de moins en moins que ses enfants puissent avoir un avenir meilleur.Dans beaucoup de pays développés (en réalité essentiellement occidentaux), il faut reconnaître qu'il s'est instauré rapidement un débat pour la recherche d'une adaptation à cette évolution de l'environnement économique, social et politique à travers :? une société civile qui est organisée autour d'une élite multiforme (politique, économique, culturelle, scientifique”?) et de simples citoyens, qui savent parfaitement ce que signifient la citoyenneté, la démocratie et l'entrepreneuriat. Des droits farouchement défendus, mais aussi des devoirs parfaitement assumés ;? une société caractérisée par une organisation politique et associative très active, mobilisée autour d'idéologies, de programmes, d'objectifs, ou de défis, qui sont inspirés par les composantes de cette société civile (majorité ou opposition) et de plus en plus par la nécessité de s'adapter (ou de s'opposer) aux grandes mutations dans le monde ;? une société dont les institutions et les gouvernants sont désignés et fonctionnent de façon démocratique, respectent l'exercice de la démocratie (du moins dans la majorité des cas) et agissent dans l'intérêt de leur pays y compris parfois en usant d'un protectionnisme allant à l'encontre du libre-échange, base de leur système économique.Seule l'appréciation des droits de l'homme varie selon qu'il s'agisse de leurs intérêts ou ceux des autres pays. Et les positions vis-à-vis des printemps arabes le montrent parfaitement bien d'ailleurs.2- Alors où en sommes-nous aujourd'hui en Algérie et que voulons-nous faire à long terme face aux défis multiples que sont les besoins internes réels, les effets inévitables des mutations mondiales, des guerres d'influence et de domination actuelles, du réchauffement climatique et de la globalisation des échanges 'L'Algérie est caractérisée par :? une société dont les institutions fonctionnent de façon dispersée, avec des objectifs souvent plus politiques que socioéconomiques, basés beaucoup plus sur les besoins ou les préoccupations du moment que les menaces ou défis futurs ;? une société où les activités politiques et associatives sont confinées dans un environnement qui en fait de simples faire-valoir et où, en réalité, les espaces de liberté d'expression concédés sont d'ordre économique aux dépens de toutes les autres réformes susceptibles d'assurer un développement social réel et justifié. Cette société est alors envahie par une multitude de partis politiques et d'associations fictives dont la plupart ne proposent aucun projet de société, ne font que de la figuration sur la scène politique, sont incapables de s'entendre sur l'essentiel et qui ne se manifestent parfois que quand il y a des dividendes à récolter en contrepartie d'un vote, soutien ou simple message de soutien. C'est tout ce qui a fini par entraîner la démobilisation et la démission des citoyens qui n'ont plus confiance en personne.Elle est aussi caractérisée par un mouvement syndical dont le pouvoir revendicatif s'est progressivement affaibli, miné par des intérêts partisans et ne représentant finalement pas toutes les composantes du monde du travail ;? l'opposition politique ou la revendication syndicale, les vraies, quand elles existent, sont alors impuissantes au sein d'une société civile complètement désorganisée et dépouillée de toutes ses traditions et valeurs. Demandez à un citoyen pris au hasard de vous définir la citoyenneté, la démocratie ou les droits de l'homme et vous constaterez une énorme confusion entre toutes ces valeurs du fait que ses préoccupations quotidiennes ont fini par prendre le dessus. Cette évolution a façonné le citoyen depuis des décennies et fini par faire disparaître chez lui toute envie d'expression citoyenne en le confinant dans un simple rôle de consommateur et de figurant, un citoyen ou plutôt un simple individu qui n'est plus façonné par des traditions, des valeurs, une origine ou une histoire, une appartenance à une nation ou une religion ou encore une race, mais plutôt un individu façonné, bricolé ;? la seule organisation qui arrive à fédérer ou mobiliser en ce moment autour d'un objectif commun est l'équipe nationale de football («opium du peuple») ou même les équipes locales.3 - L'Algérie et l'Algérien ne sont pas aujourd'hui ce qu'ils auraient dû être. «Le processus de transformation a été long mais efficace» et a abouti maintenant à une situation où on peut constater ce qui suit :? un système éducatif qui n'assure pas une réelle insertion sociale et économique de la jeunesse algérienne qui constitue aujourd'hui un problème majeur mais certainement un grand péril dans le futur, à moins d'un miracle ! La jeunesse dans sa majorité n'a plus aucun repère malgré le foisonnement d'organisations satellitaires toutes noyautées par les tendances partisanes et clientélistes, alors il n'y a plus qu'à être «anséjiste», «emploi-de-jeuniste», hittiste, harraga, ou terroriste, en attendant”?'Le secteur de l'enseignement, surtout le niveau universitaire, se développe et fonctionne comme s'il s'agissait d'une fonction sociale ou de solidarité, où la qualité a fini par être sacrifiée au profit de la quantité avec une «surproduction inflationniste» de diplômés de l'université qui n'arrivent plus à accéder aux emplois souhaités. Leur taux de chômage réel doit être énorme si on fait le parallèle entre l'objet de la formation et l'emploi arraché, souvent précaire et provisoire. Ce dernier détail est dû bien sûr au tissu économique couvrant de façon insuffisante et inégale le pays, mais aussi au fait que la carte universitaire (au sens de la répartition géographique et de la spécialisation des pèles universitaires) et les orientations scolaires et universitaires ne s'inscrivent pas dans une vision globale et futuriste. Elles ne tiennent pas compte des besoins réels du pays ou du marché du travail à long terme, et encore moins de la nécessité d'améliorer constamment la qualité de la formation. Dans quel monde peut-on par exemple imaginer qu'il puisse exister une revendication destinée à baisser des notes de rattrapage, à fixer des seuils de programmes d'examen le plus bas possible, ce qui équivaut à valoriser la médiocrité par rapport à la qualité et l'excellence '? une augmentation de la dépense publique et de l'investissement social qui ne génèrent aucune richesse nouvelle et durable parce qu'ils n'ont aucun impact sur la véritable croissance et l'emploi durable, et ne répondent en réalité qu'à la pression des revendications sociales et des besoins conjoncturels. Cette distribution de rente facile aboutit de plus en plus à l'immobilisme social et entrepreneurial, puis à une dépendance fatale vis-à-vis d'elle ;? des politiques et des programmes sociaux ou de soutien de l'Etat (crédits à la consommation, pré-emploi, filet social, etc.) qui aboutissent souvent au surendettement des ménages, à l'envolée des prix, sans aucune contrepartie de création de richesse ;? de grands projets d'infrastructures (autoroutes, rail, hydraulique, réseau de distribution énergétique), certes très utiles, nécessaires et heureusement qu'ils ont pu être réalisés ou démarrés, mais qui ne procurent pour le moment qu'une amélioration fragile et non durable des conditions de vie (transport, eau potable et énergie/chauffage), donc de la consommation finalement. Ces projets, rendus possibles grâce à l'évolution favorable du marché pétrolier, ne sont pas complétés ou accompagnés, du moins au bon moment, par d'autres actions au point de vue investissement ou organisationnel, qui les valoriseraient dans le cadre d'une stratégie intégrée de développement à long terme. C'est peut-être en cours ' Mais c'est trop lent par rapport aux dangers qui guettent le niveau de la rente pétrolière !? Des tentatives de restructuration et de redéploiement des activités industrielles (publiques surtout) qui se suivent et aboutissent à de simples aménagements d'organigrammes. Les assainissements successifs des entreprises publiques qui ont coûté des dizaines de milliards de dinars ont été des retours successifs à la case départ : déficits abyssaux, endettement, sureffectifs, etc.Par contre, les importations, y compris la facture alimentaire, ont quadruplé depuis l'année 2000 pour dépasser les 50 milliards de dollars en 2012 (+28% en 2007 et +42% en 2008), et probablement plus en 2013.? Un secteur privé industriel, surtout commercial (import-import) où les rares champions industriels se plaignent de l'Etat et vice-versa, tandis que la grande majorité des autres opérateurs se soucient plus du gain financier que des objectifs économiques essentiels que sont la productivité, la compétitivité, l'innovation, l'intégration nationale et la création de richesses et d'emplois durables.4 -Il faut cependant reconnaître qu'il y a aussi du positif en Algérie car il est vrai que :? l'Algérie à un capital humain formidable avec 70% de jeunes mais dont une bonne partie est d'un niveau de formation «discutable» ;? l'Algérie possède assez de ressources naturelles et même les plus importantes à l'échelle maghrébine et méditerranéenne ;? l'Etat algérien consacre des efforts et des enveloppes financières énormes dans de nombreux projets d'infrastructures ou à caractère social pour répondre aux revendications et besoins de la population.? Le niveau de vie et même de confort par rapport à certains critères (pourcentage d'accessibilité à l'éducation, l'énergie et l'eau, le nombre de logements, d'hôpitaux, d'écoles, d'universités”?) est en nette progression et pratiquement un des meilleurs en Afrique ou même par rapport à beaucoup d'autres pays dans le monde ;? on peut aussi considérer que les récentes réformes relatives aux relations citoyen-administration sont positives et contribuent à rétablir la confiance dans leur relation.Mais ce bilan, certes, positif sur le plan quantitatif ne semble pas s'inscrire dans le cadre d'une stratégie et d'une démarche globale et intégrée à long terme, ce qui lui confère un caractère d'inachevé, fragile, non durable. D'où le sentiment d'incertitude et de crainte sur l'avenir, qui envahit de plus en plus la société dans sa globalité.On peut alors se poser les questions suivantes : Pourquoi ' Qui est derrière tout ça ' Nous-mêmes en tant que citoyens ' Nos gouvernants ' Nos dirigeants ' Ne sommes-nous pas tous pareils et issus de cette société à laquelle nous appartenons ' Le pouvoir ou les décideurs sont-ils tous coupables 'Il y a certainement des réponses à toutes ces questions, selon le point de vue où chacun de nous se situe, mais je ne pense pas que la solution viendra de ces réponses car nous sommes tous responsables à un degré ou à un autre.Chaque décideur s'acharne à croire qu'il est le seul à savoir ce qu'il faut pour ce pays, sans tenir compte des autres décideurs et encore moins du citoyen.Chaque citoyen, en confondant souvent droits et obligations, veut tout et tout de suite, sans effort, sans sacrifice aucun, comme si ce pays, avec sa divine rente pétrolière, était juste un gâteau à partager.On a demandé un jour au dalaà?-lama ce qui pouvait le surprendre le plus dans l'humanité et il a répondu :«Les hommes parce qu'ils perdent la santé pour accumuler de l'argent, ensuite ils perdent de l'argent pour retrouver la santé.»On peut alors se poser la question suivante : est-ce que l'Algérie n'est pas en train de consumer ses ressources naturelles et même humaines pour accumuler des réserves et ensuite les consumer à travers l'importation de ressources identiques ' (services et savoir-faire aujourd'hui, et peut-être demain des ressources naturelles comme l'énergie quand il n'y aura plus de pétrole et de gaz).On peut aussi décrire la situation avec une autre image de fiction :«C'est comme un bateau dans une mer agitée, avec des passagers affolés, un équipage en mutinerie, une mécanique déréglée et des vents multidirectionnels.On peut penser que dans ce cas il n'y a plus qu'à attendre le naufrage.»Oui, si on est fataliste.Non, si on essaye simplement d'analyser chacun de ces critères et de s'appuyer sur ceux qu'on peut modifier, améliorer et mettre en œuvre :? la mer et les vents, il faut les oublier et se dire qu'on doit leur faire face si on veut arriver à bon port ;? la mécanique du bateau est réparable si on arrive à mobiliser les compétences nécessaires à partir des mutins et pourquoi pas des passagers ;? les carburants sont dans les soutes et il n'y a qu'à les consommer de façon judicieuse ;? pour ce qui est de l'équipage, on a le choix entre le jeter par-dessus bord et faire appel au volontariat de quelques passagers compétents (gros risque) ou alors opter pour une solution mixte ;? les passagers affolés se calmeront pour peu qu'ils constatent qu'il y a de nouveau un espoir, et surtout un commandant à bord.5- Les défis à affronter.La description précédente est certes légère, mais n'est pas loin de la réalité, et chacune de ses composantes se trouve quelque part dans la société algérienne et correspond à un défi réel sur lequel il faudra se focaliser pour :? élargir et développer l'exercice démocratique à travers l'exercice de la citoyenneté sans trop s'attarder aujourd'hui sur les erreurs de gouvernance politique et économique passées, mais en renforçant et en mettant en place des institutions qui réfléchissent au long terme, des mécanismes susceptibles d'améliorer notre réactivité et la bonne gouvernance. Il n'y a pas d'autres moyens pour protéger les intérêts nationaux, notamment face à la globalisation. La solution passe par la confiance dans les hommes et l'entrepreneuriat national public et privé (sans distinction aucune) qui ne demande pas grand-chose pour s'impliquer ;? réformer en profondeur l'administration et la justice pour en finir avec la bureaucratie et l'injustice qui sont à l'origine de tous les maux sociaux et ont fini par démobiliser des pans entiers de la société algérienne, y compris dans la perception de leur appartenance à un pays, à une nation. Il faut d'ailleurs noter que les récentes mesures d'assouplissement des démarches administratives du citoyen auprès des différentes administrations ont été énormément appréciées et ont contribué, plus que tout le reste, à son «confort social». Beaucoup de choses restent à faire pour que le citoyen puisse définitivement sentir que l'administration et les institutions sont à son service. C'est ce qui permettra aussi de lui faire sentir qu'il a aussi des devoirs vis-à-vis de l'Etat et de la société en général ;? réformer en profondeur (encore une fois) le secteur de l'éducation en le soumettant aux normes universelles de qualité en premier lieu, d'ouverture et en l'adaptant à nos besoins, nos spécificités géoéconomiques et culturelles. Il faut faire en sorte par exemple qu'un jeune Algérien n'ait pas obligatoirement à suivre tout son cursus scolaire depuis le primaire jusqu'à la post-graduation dans son «village» (il y a aujourd'hui plus de centres universitaires que de wilayas). Ceci a produit un universitaire qui croit que l'Algérie se réduit à son «village», et que par exemple un «docteur en climat des zones arides» de Tizi-Ouzou devra avoir un poste de travail à Tizi-Ouzou qu'il n'a jamais quittée et ne veut pas quitter. On peut prendre aussi l'exemple des dizaines de juristes formés dans un village des confins du Sahara (et c'est un cas réel !) qui sont revenus dans leur village pour exiger un emploi local parce qu'ils ne peuvent pas ou ne veulent pas aller plus loin que leur village ou l'université qui les a formés, située aux confins du Sahara aussi ! La situation est encore plus complexe parce que tous veulent travailler au sein du secteur pétrolier alors que c'est le secteur qui crée le moins d'emplois et de moins en moins dans le futur. La solution est ailleurs, du ressort de tous les secteurs et concerne tout le pays. Combien d'universitaires y a-t-il aujourd'hui éparpillés dans une multitude de villages impossibles à employer localement, ne voulant pas non plus quitter leur village, ou alors prêts à le faire, encore faut-il entrer en compétition avec les autres villages et avoir non seulement l'emploi mais aussi le logement, etc.' Des statistiques dans ce domaine mettront en évidence les immenses dégâts sociaux et humains que nous sommes en train d'ignorer. Le plus grave est la naissance de comportements de rejet et de régionalisme qui consistent, en ce moment, dans certaines régions, à soutenir qu'un Algérien d'une wilaya X n'a pas le droit de chercher du travail dans une wilaya Y. C'est une forme de ségrégation en complète contradiction avec les libertés et droits constitutionnels et les derniers soulèvements au Sud en sont un bel exemple ;? créer des emplois durables eux-mêmes créateurs de richesses grâce à la naissance de champions industriels nationaux, mais surtout d'une multitude de PME-PMI, et en finir avec les politiques d'assistanat et de distribution de soutiens sous forme d'emplois sociaux qui prolifèrent et qui finiront par provoquer de véritables «séismes» sociaux. C'est un défi qui n'est pas l'affaire d'une simple stratégie industrielle qui a tellement tardé à être mise en œuvre qu'elle a fini par être inutile, car ne correspondant qu'à une simple réorganisation administrative sans vision lointaine. C'est aussi le défi aux mondes politique, économique et social de demain plus qu'à ceux d'aujourd'hui, parce que nous sommes passés, avec la mondialisation et l'ouverture des marchés, à la nécessité d'agir et de planifier en fonction des problèmes et des besoins futurs, et non ceux d'aujourd'hui ;? gagner la bataille de la satisfaction des besoins alimentaires et par conséquent celle du développement hydraulique et agricole qui devrait être la préoccupation principale pour les décennies à venir. Les besoins et les taux de consommation par habitant en produits et en eau sont en train d'évoluer de façon désordonnée et alarmante sans tenir compte du simple détail que dans quelques décennies les ressources en eau par exemple seront les mêmes ou probablement inférieures à celles d'aujourd'hui. Il faudra alors soit les rationner soit apprendre à en consommer le moins possible tout en assurant les mêmes productions agricoles et le même confort. C'est par conséquent maintenant qu'il faut prendre les mesures à appliquer dans 20 ou 30 ans et surtout les expliquer franchement aux citoyens ;? en finir une fois pour toutes avec la dépendance pétrolière de notre économie et passer de la distribution de la rente pétrolière à sa transformation en véritable économie diversifiée, créatrice de nouvelles richesses et surtout d'emplois.L'urgence dans ce domaine passe par la mise en œuvre d'une véritable stratégie de conservation des ressources en hydrocarbures, et de transformation de l'entreprise nationale Sonatrach en outil et moteur de développement pour en finir avec le rôle qu'elle joue depuis sa création comme simple pourvoyeur de fonds et «pompier social» dans des domaines qui n'ont rien à voir avec son métier de base. Il se passe aussi quelque chose d'alarmant aujourd'hui en Algérie du point de vue «rente pétrolière» et «modèle de consommation énergétique» : le pays est en train de devenir l'un des modèles les plus énergivores en Afrique et en Méditerranée avec un taux de croissance qui a atteint ou même dépassé les 14% par an pour l'électricité et probablement autant pour les carburants. En même temps la production de la ressource énergétique essentielle, à savoir les hydrocarbures, est en train de diminuer. Il en va de même pour les exportations, alors que l'ensemble des besoins sociaux (couverts essentiellement par les importations, donc par la rente pétrolière) augmente très rapidement. Cela a abouti à une situation d'urgence où il est annoncé qu'il faudra consentir des investissements énormes pour équilibrer à court terme la consommation énergétique, ce qui veut dire qu'il faut non seulement financer cela par la rente pétrolière, mais aussi réduire très probablement les exportations d'hydrocarbures pour faire fonctionner toutes les nouvelles infrastructures, et le parc véhicules qui ne cesse de s'accroître de façon alarmante.C'est une situation qui risque d'être insupportable à moyen terme, à moins d'imaginer et de mettre en œuvre une autre démarche du point de vue transition énergétique qui constitue le défi majeur à court et moyen termes, au même titre que ce qui se passe dans de nombreux pays depuis plusieurs années. Les besoins en électricité du pays doubleront dans moins de 10 ans, de même que la consommation domestique en gaz naturel (25% de la production actuelle). Cela signifie qu'il faudra mettre en place un modèle de consommation basé sur cette parité ou au moins en transition progressive gaz domestique vers l'électricité qu'il faudra alors générer en grande partie avec des ressources renouvelables. Les exemples à travers le monde ne manquent pas, et on peut citer l'Allemagne qui non seulement est en train d'investir massivement dans ce domaine, mais a réussi aussi à créer en moins d'une décennie plus de 200 000 emplois dans les énergies renouvelables.Cela veut dire aussi que l'option «énergies renouvelables» ne doit pas être seulement un objectif d'autosuffisance en énergie, mais aussi une opportunité de faire un bond technologique et industriel créateur d'emplois nouveaux. Aussi faut-il faire en sorte que l'Algérie ne s'engage pas dans ce domaine en simple fournisseur de terrain, mais plutôt en acteur industriel d'amont en aval. Cela ne pourra se faire aussi que s'il y a une politique très volontariste pour la promotion et la création d'une multitude de PME-PMI dans ce domaine.Il est annoncé que l'Algérie produira 40% de ses besoins en électricité en 2030. C'est bien, c'est un excellent défi à relever, mais est-ce que les ressources restantes en 2030 fourniront les autres 60% de besoins ' Personnellement j'en doute, et c'est la raison pour laquelle je milite pour un mix énergétique qui comporte la préparation à une éventuelle exploitation des hydrocarbures non conventionnels au-delà de 2030. Ils sont très contestés actuellement par beaucoup alors qu'un simple effort de débat et de communication de façon sereine permettra de convaincre les plus acharnés sur les défis qui se présenteront, et les responsabilités de chacun (gouvernants et citoyens). Le débat sur les hydrocarbures non conventionnels ne doit pas être importé de celui qui est en cours dans des pays comme les Etats-Unis, la France, l'Allemagne ou la Chine, car la situation énergétique ou environnementale est complètement différente d'un pays à un autre.Les hydrocarbures non conventionnels ne sont pas plus dangereux que le nucléaire ou même les hydrocarbures conventionnels dont on apprécie pourtant le bienfait depuis un demi-siècle. Toutes les activités industrielles, agricoles et même humaines ont une incidence parfois positive, parfois négative sur l'environnement. Mais comme elles répondent chacune à un besoin, il faut simplement mettre en place les moyens efficaces pour en éviter le risque. Cela aura un prix à payer qui, à son tour, aboutira ou non à la rentabilité ou à l'arbitrage nécessaire entre tel ou tel besoin à assurer.C'est pour cela qu'il faut arrêter de croire que les hydrocarbures non conventionnels sont la rente de demain pour certains, une catastrophe écologique pour d'autres, ou encore la solution unique des besoins énergétiques futurs.ils ne sont ni l'une ni l'autre pour des raisons très simples :- une éventuelle production ne surviendra qu'à long terme, mais nécessite au préalable le démarrage de projets-pilotes dès maintenant ;- si le rendement «financier et écologique» est avéré, d'où la nécessité d'une exploration à court et moyen termes, accompagnée d'une veille technologique et réglementaire importante, et non d'une exploitation pour le moment ;- des volumes de production certainement insuffisants par rapport aux besoins, et tout juste en appoint pour les besoins énergétiques (et autres industries) futurs avec toutes les autres sources d'énergie, y compris en premier lieu l'économie et l'efficacité énergétique où le rôle du citoyen est primordial ;- quant à la «rente», il faudra la créer avec de nouvelles richesses qui viendront de la formation et l'innovation, l'entrepreneuriat, l'agriculture, l'industrie productive et les services.Est-ce que tout ceci surviendra par l'action et la volonté de nos gouvernants seuls ' Ou bien y a-t-il nécessité d'associer et impliquer la société civile au processus de développement 'une chose est sûre, le changement et le développement ne seront là que s'il y a exercice plein et entier de sa citoyenneté.il est vraiment urgent aujourd'hui de faire sauter une fois pour toutes non seulement les verrous politiques comme le croient certains pour avancer dans la bonne voie, mais aussi et surtout les verrous sociologiques et culturels qui empêchent la société d'évoluer dans le bon sens.la transition sera douce si par bonheur on se rend enfin compte que le changement est inéluctable et qu'il faut stimuler et exercer en premier lieu sa citoyenneté.Dans le cas contraire, ce changement aura lieu quand-même, mais de façon probablement chaotique.mon Dieu, épargnez-nous cette épreuve !



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