Algérie - A la une



C'est ma vie
6 janvier 1957, dans la région des Ath-Idjeur. Marchant d'un pas décidé, la foule, composée de femmes, d'hommes et d'enfants avançait courageusement dans la grisaille d'une journée maussade. La glace et le verglas, qui avaient succédé à la tempête de neige tombée sans discontinuer pendant des jours, rendaient hypothétique tout déplacement.Parmi tout ce monde fulminant de colère et de retenue, na Zouina Ath-Kaci, qui portait sur son dos sa fille âgée de quelques mois seulement, était aux premières loges, pas loin des hommes qui ouvraient la marche. Elle ruminait une colère sans fin envers l'occupant.La procession silencieuse se dirigeait du village Aït-Feraach vers le redoutable cantonnement militaire d'Ighil Bwamas, premier camp installé dans la région de Bouzeguène par l'armée coloniale.Outre la caserne, il était entouré d'une muraille infranchissable en pierres de plus d'un mètre d'épaisseur et de trois mètres de hauteur surmontée d'une double rangée de fils barbelés et de guérites. Il renfermait également la SAS d'Aït-Megève, toponymie formée de la particule berbère «aït» qui veut dire «ceux de”?» et Megève, une commune française située dans le département de la Haute-Savoie en Rhène-Alpes d'où étaient originaires les troupes constituant l'essentiel de l'effectif du casernement. Par ce subtil jeu de mots, ses concepteurs voulaient insinuer qu'ils étaient chez eux dans la région. Mais peine perdue, parce que la mémoire collective n'a jamais retenu ce concept colonisateur au contraire des autres substituts, à savoir Ighil Bwamas, Ighzer, Zemaa, Thaawint et à défaut El Ca (le camp). Mais jamais Aït-Megève en dépit de la grosse inscription bien en évidence sur le toit de l'un des baraquements. Les habitants d'Aït-Feraach au grand complet ont répondu à l'appel.Seuls les parturientes et les malades étaient dispensés de la marche. Ils avaient comme mot d'ordre d'exiger la libération de l'un des leurs arrêtés la veille. Lors de la perquisition opérée chez Saïd Ath-Ougougil, un commerçant qui tenait boutique à Ath-Semlal, il aurait été, selon na Safia, veuve du chahid Hameg Mehenni née Snacel, découvert chez lui une liste de cotisants du FLN. Par cette action suicidaire, le village allait ainsi inaugurer la première manifestation populaire de l'Algérie contre le colonialisme. C'était une initiative du FLN qui avait instruit les villages de recourir à cette forme de lutte pour montrer à l'opinion publique mondiale l'émancipation politique du peuple algérien. Et la conscientisation était précoce dans ce village avec les précurseurs Hameg Arab, activiste de l'UDMA tué à Guelma lors des événements du 8 Mai 45, Azouaoui Idir, le cordonnier de Sidi Aïch, un fin limier de la politique, et Babou Md Oubelkacem, le proscrit, ainsi que Amar Ath-El-Hadj.Arrivés devant la caserne, les villageois firent part de leur revendication en lançant des slogans en français et en kabyle. Azouaoui Cherif s'en souvient : «on criait espèces de lâches, libérez da Saïd !» Mais les sentinelles ne voulaient rien entendre et ne laissèrent personne franchir la barrière. Azouaoui Mohand Arezki et Zouina Ath-Kaci furent les premiers à la forcer et elle finit par céder sous la pression des manifestants. Craignant l'effet contagieux de l'action, les décideurs du camp passèrent à l'offensive. Sans tir de sommation, le fusil-mitrailleur entra en action. Le soldat de faction à la guérite ciblera Zouina Ath-Kaci repérée comme l'une des meneuses avec sa grande taille. Elle sera déchiquetée par une rafale de mitrailleuse et décédera sur place le crâne éclaté tout près de l'actuelle boutique du tunisien. Ce fut la première chahida de la région. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, sa fille Samia Hameg qu'elle portait sur son dos, tombera sur l'épaule de Saït Mohand Arezki et succombera à ses blessures une semaine plus tard. Ce ne sera, hélas, pas la première victime femme du village, dirigé alors par Azouaoui Akli et Babou Akli des amins parmi les autres amins et tamens. Avec sa fille, elles seront au total neuf à tomber au champ d'honneur : Deghaïmi Zahra Vve Babou Akli, fille de chahid, Babou Nouara, Boukella Zahra, épouse Messaoudène, ses deux filles Cherifa et Samia, Saïl Zahra et Brahmi Yamina, mère du chahid Rachedi Amar. Au chapitre des femmes ayant pris part à la révolution, notons cette moudjahida d'adoption, épouse du moudjahid Saïd Ouchallam. D'origine française, Kofi Josyane, surnommée Senouci Jedjiga, avait comme nom de guerre Zahra. Recherchée, elle trouve accueil au refuge du village servant d'infirmerie où activaient aussi beaucoup de femmes dont Yamina Ath Ali, épouse Hadj Makhlouf le propriétaire.En rendant l'âme des suites des dures conditions de vie, les femmes du village maculèrent de suie son visage blanc d'Européenne auparavant déjà tatoué et les oreilles percées pour éviter son identification par les soldats français alertés sur ces détails. Elle sera enterrée au vieux cimetière d'Aït-Semlal avec la bénédiction des moussebiline Ameziane Ath Moussa, Azouaoui Idir, Babou Tahar, Kessi Ramdane et Mohand Bouali, Maouche Amar Ben Idir, Hameg Belkacem, relève de Boukella Rachid, l'intrépide moudjahid décoré par Amirouche, Azouaoui Md Arezki, Maouche Md Saïd, Blanc Blanc et Rachedi Md Arezki.Pour son permis d'inhumer, elle se verra attribuer le nom de Snacel Ouardia, vraie fille de Yamina Ath Ali qui a trouvé en Rachedi Saïd un parfait interprète. Le refuge avait sa logistique et sa régie. 36 femmes y activaient et chacune avait un rôle précis dans ce refuge régional qui recevait des groupes de maquisards blessés. Tout comme Thacherdouts qui sera brûlée vive par le napalm lâché par un avion d'où le surnom «l'avion Tcherdhouts».Le village de 44 martyrs n'en fut pas à sa première épreuve. Plaque tournante de la Révolution de par sa position géostratégique, il a été le théâtre de plusieurs actions militaires.C'était là où tombèrent au champ d'honneur beaucoup de chahids de la région. Et c'était sur ces terres bénies de la Révolution que fut enregistrée l'une des plus meurtrières actions militaires le 30 août 1957 référenciée pour sa stratégie : l'embuscade de Tanaïmt dressée entre le carrefour de généraux et le village Aït-Feraach par une centaine de maquisards, selon Roger Henria. Beaucoup reste à dire et à écrire sur cette opération réalisée dans le plus pur style des exercices militaires qui font cas d'école. Un revers qui restera en travers de la gorge des colonisateurs eu égard aux pertes subies et à la manière dont fut déroutée la 4e compagnie à laquelle appartenaient l'escorte, et les soldats. Le choix porté sur ce site sur le sol des Aït-Feraach n'était donc pas fortuit.Il ne fallait en aucun cas que l'affaire s'ébruite. Pour cela il fallait composer avec la population. Même si, comme nous l'avait affirmé Azouaoui Cherif qui raconte comment il a été rabroué avec son ami par un moudjahid surgi de nulle part qui l'a hélé par son nom pour les prier de déguerpir alors qu'ils déambulaient sur les lieux peu avant l'attaque, personne n'était au courant de ce qui allait s'y passer, hormis quelques initiés.Beaucoup de zones d'ombre entourent donc cette opération classée top-secret, et ce, de l'avis même d'acteurs de la Révolution dont des civils encore vivants.Et les témoignages peinent à se recouper. Il est ainsi fait état, selon un moudjahid d'Ath-Jennad, de la participation active d'une compagnie de choc de 135 éléments sous la conduite du commandant Mouh Ouali dit Chéri Bibi venant des Ath-Jennad donnée comme conceptrice de l'embuscade dont on dit qu'elle a été épaulée par une section de moudjahidine du secteur 4 commandé par le chahid Rachedi Amar qui se serait positionnée en aval de la route alors que les sommets étaient occupés par les choquistes.Des sources locales font état de la présence parmi le groupe de choc de moudjahidine de la région tels Si Mohand Amokrane Ath-Kaci d'Aït-Salah, commandant de l'ANP, sous-officier à l'époque, Rachedi Md Arezki (Aït-Feraach) et les chahids Boukella Rachid d'Aït-Feraach, Kashi Tahar d'Aït-Ikhlef, Aliane Mohand Ouamar d'Ihitoussène, tombé au champ d'honneur durant la grande bataille de Aïn-Zaouïa avec le grade d'officier de compagnie, et Djaouti Mokrane d'Ibekarène. L'embuscade aurait été décidée par ailleurs à Maraghna dans la région d'Illoula Ou Malou lors d'un conseil de moudjahidine, selon une source, et classée top-secret de l'avis même des Français qui l'ont inscrite sur leurs pages les plus noires de leur histoire. Pour contenir les éventuels renforts des deux camps militaires de la région, une large couverture des lieux était prévue de part et d'autre de l'itinéraire du convoi. Venant d'Azazga par Ifigha, il était destiné à ravitailler un camp situé à l'est d'Aït-Feraach.Un half-track, une jeep, un camion de transport de troupes et un 4/4 composaient le convoi transportant, outre les provisions et les soldats, des appelés gradés ayant subi une visite médicale de libération. L'avion patrouilleur effectua trois vols de reconnaissance en rase-mottes avant de se retirer.Il était environ 17h quand le 1er tir de mortier actionné par Rabah Ath Ourabah du village Iguersafène tomba sur le half-track. Surpris par un déluge de feu, les soldats français tombèrent les uns après les autres. Seuls trois, dont deux blessés, réussirent à s'échapper en direction du camp voisin. Le bilan de l'ALN était de 15 à 16 morts, d'un prisonnier et d'une douzaine de rescapés dont des blessés qui ont réussi à rejoindre le camp et aucune perte humaine côté ALN. Du côté français, le bilan fait état de 5 tués, les sergents Delubac, Chaîne, et les Chasseurs Bartin, Sartorelli et Larue, d'un disparu, le caporal-chef Paul Bonhomme, et 12 blessés nommément cités. Le caporal chef Paul Bonhomme sera fait prisonnier par les moudjahidine. Dans ses confessions, il dira avoir été interpellé avec un français impeccable par un maquisard qui l'a prié de le suivre pour le présenter à son chef. Avec les douze soldats du camp de Horrane à M'sila, Paul Bonhomme sera le treizième prisonnier de l'ALN en Wilaya III que le colonel Amirouche comptait utiliser comme monnaie d'échange contre la libération de moudjahidine.L'opération suivie par Amirouche à partir d'Ath-Zikki par jumelles fut une réussite totale. Elle se soldera par la récupération d'un poste émetteur, d'un fusil-mitrailleur et de plusieurs fusils d'assaut en plus des provisions. Côté français, il était fait état de la perte d'un FM, 3 MAT 49, 2 PA, une carabine US et d'un FSA Garant. L'opération qui aura duré moins de 10 minutes sera facilitée lorsque les appels faits à partir de l'avion mouchard auraient été interceptés par un moudjahid qui déroutera la communication. Et c'est ainsi que les maquisards se fondront dans la nature jusqu'au soir où un somptueux dîner leur fut offert par le militant Ali n'Aït-Ali de Takoucht qui a immolé à cette occasion un bœuf pour fêter l'éclatante victoire que Roger Henria recensa comme une perte jamais subie jusque-là en 7 ans et demi de guerre par le 27e BCA dont relevait le convoi de la 4e Cie. Mais dure sera la répression qui s'abattit sauvagement sur le village Aït-Feraach accusé de complicité. Elle sera digne d'un scénario hollywoodien. Plusieurs prisonniers, dont des femmes, seront constitués et amenés au camp voisin pour être torturés et flagellés.Le 2 septembre, des prisonniers du camp voisin seront requis pour démolir les maisons, démonter les charpentes et la boiserie. Pierres, poutres, traverses de chêne, portes et tuiles seront démontées, chargées sur les camions et déchargées au camp.Le 3 septembre, le village sera incendié de la manière la plus perfide. Ce sont les propriétaires des maisons qui mettront eux-mêmes le feu à leurs maisons sous la menace.Et pour finir, des bombes seront larguées sur le village et ses habitants. Le bilan était de 3 morts, Boukella Zahra, Boukella Cherifa et Messaoudène Cherifa et de 4 blessés dont un amputé, Boukella Lounis, Bouaraba Taous, Messaoudène Madjid et Boukella Mabrouk. Ce dernier tient à «rendre hommage au camionneur d'Ihitoussène venu avec son camion défier les bombes pour nous évacuer jusqu'à l'hôpital de Tizi-Ouzou, autrement on aurait crevé».Le FLN a donné des instructions claires aux villages pour accueillir leurs concitoyens dans la détresse en leur offrant gîte et nourriture. Non contents de démolir les maisons et d'incendier le village, les colonisateurs ont aussi déraciné et brûlé des oliviers centenaires, ressources vivrières des habitants.C'est cet événement historique qui a été fêté dignement par le village le 30 août dernier dans la joie et le recueillement. Et comme pour dire que les sacrifices de leurs parents n'ont pas été vains, les élèves tous cycles confondus ont obtenu cette année un taux d'admission de 100% aux différents examens.



Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)