Algérie - Patrimoine Culturel

Au delà de la brèche pathétique d'El-Kantara, après les dernières pentes du Tell où d'étranges sursauts ro­cheux crèvent la terre en orgues immenses, en citadelles grises et baroques, c'est la brusque révélation du désert...
Là, s'enveloppant de « cette fine lumière qui monte du sol blond et glisse du ciel bleu », les oasis des Ziban étalent leurs taches vertes et Biskra se blottit dans le creux des Aurès
Cette situation exceptionnelle crée autant de charme immédiat que de promesses d'enchantement. Le visage authentique de Biskra se découvre sur les berges de l'Oued aux admirables perspectives, devant ce fleuve cristallisé aux colères redoutables et imprévues, mais qui s'est toujours plu à respecter le petit sanctuaire maraboutique de Sidi-Zerzour, protecteur de la cité. En toile de fond, le massif translucide des Aurès bloque la vue, mais non le rêve.
Comment décrire le jardin Landon, aimablement mystérieux, créé pour le plaisir d'un esthète, le Comte Landon ? Serre géante qui réunit les plantes et les arbres aux origines les plus diverses et lointaines, « lieu de vo­lupté et d'oubli » (Louis Bertrand).
En 1890, Robert Hitchens y écrivit son célèbre « Garden of Allah » qui eut un prodigieux succès. Certains lieux ont une puissance de charme. C'est là que Francis Jammes, venu à Biskra à la recherche de nota­tions colorées découvrit « les palmes rigides pareilles à des bouquets de fer tranchant l'azur... »
C'est là que s'abritèrent les évasions d'Oscar Wilde et que les frères Tharaud conçurent « La Fête Arabe », c'est là qu'Anatole France aimait à s'asseoir.
Et dans ce jardin pour contes bleus, par une nuit transfusée de lune, nous nous plaisons à imaginer une grande silhouette s'avançant parmi les cyprès en quenouille et les oliviers d'argent : André Gide, prome­nant les jeunes réflexions qui devaient tant contribuer à sa gloire naissante et rendre son ombre plus grande encore. C'est à Biskra et singulièrement dans le jardin Landon que Gide trouva des nourritures à sa sensibilité, « des fruits de saveur sauvage et subite ».
A quelques pas de ces allées profondes, dans un prolongement d'harmonie, le petit café maure de Seksaf, en balcon sur l'Oued, asile de charme et de paix. Un peu plus loin, la maison et le parc de Magali Boisnard, gloire littéraire du Sud, voisinent avec la demeure de Mme Clare Sheridan, célèbre écrivain et sculpteur anglais. C'est le hameau de M'Cid tout entier sous les palmes. Au delà de ce village, le belvédère du Fort Turc émerge de la palmeraie qui le cerne de toutes parts.
La ville se retrouve au bout des chemins creux de Stah ben Melouk qui côtoient le cimetière de Gueddacha, la mosquée de Sidi-Abdelmoumen et l'Ouvroir des Soeurs Blanches où les traditions de l'Artisanat local sont conservées et vivifiées.
Partir pour les Ziban, à l'aube fine et fraîche, quand l'automne compose son prélude subtil ou lorsque le printemps invite à boire le matin vert des oasis, c'est voir le désert se parer d'une aurore subite, tandis que se hérisse et se dore la chaîne rocheuse d'où coule un sable fin et roux.
La rencontre d'une caravane nomade dont le rythme paraît scander le temps infini, c'est « un chapitre de Bible en action ». C'est aussi l'instant fleuri de taches vives, le silence surpris du tintement de sau­vages bijoux au long balancement des chameaux. D'oasis en oasis, hommes et bêtes vont rituellement vers la terre promise des pâturages d'achaba.
Et voici Bouchagroun d'un vert d'aquarelle chinoise. Un petit chemin tortueux et obscur, troué de plaques de soleil y donne accès. Les palmes au vent léger semblent peigner le ciel. Le long d'un mur d'argile pétri, un groupe d'enfants se disperse en riant. Au­dessus des maisons en toube, un minaret s'effile comme un cyprès blanc sur un ciel pâle où monte la voix du muezzin.
Puis, c'est Lichana, que sa forme et l'heure font belle, dans un entassement de maisons basses séparées par des ruelles couvertes, étroites et sombres, avec des troncs de palmiers pour solives. Les gens grouillent ici allant on ne sait où; des nomades pour la plupart, grands, forts, pressés, un lourd bâton aidant leurs jambes fines et nerveuses. Ils viennent troquer la laine et le beurre de leurs troupeaux contre des dattes ou du blé.
A Farfar, l'oasis jumelle aux maisons claires et jeunes parmi les palmiers sombres, le marché caravansérail se tient au pied d'une mosquée étrange, fine et audacieuse.
Tolga, capitale des Ziban, apparaît comme une longue île verte au milieu d'un lac fauve. Ici, les jardins sont plus profonds et plus riches, les arbres plus grands, plus fiers, plus métalliques aussi.
Entre leurs doigts aigus et verts, un don du ciel semble descendre jusqu'à leur coeur pour y suspendre l'anneau doré de leurs fruits mûrs : la datte muscade, la meilleure du monde, « la Déglet-Nour », charnue, blonde, si délicatement savoureuse, d'une qualité si rare que les planteurs n'ont même pas à se préoccuper de la présenter sur les marchés, on vient la solliciter aux lieux mêmes où elle a lentement mûri. « Fruit de miel et d'ambre, fille du soleil et de la lumière » (Curnonsky), elle est spécialement recherchée par nos amis britanniques qui l'appellent - ô ironie amère - « Tunis date ». Au pied des dattiers, les grenades éclatent, les orangers enluminent les allées sombres, la vigne s'élance en torsades d'un fût à l'autre, quelques bananiers apportent une note tropicale.
Les puits artésiens déversent inlassablement l'eau frémissante et limpide qui se répand en séguias d'argent. Au centre de la cité: la demeure du Cheikh El-Arab, oasis dans l'oasis, décor des Mille et une Nuits dessiné avec un art exquis par le plus grand des chefs du Sud. C'est là que Si Bouaziz Bengana venait méditer et chercher l'oubli.
La zaouïa Rahmania, qui possède une bibliothèque d'une rare richesse, anime un collège grouillant de tolba. Dans les rues, une foule dense, des cafés maures, l'activité des petits métiers : artisans des babouches jaunes et rouges, brodeurs d'argent et d'or, tailleurs, vanniers, sculpteurs d'albâtre...
Foughala, El-Amri, El-Bordj, satellites de Tolga, jalonnent la route qui mène au sud vers Lioua, sur l'Oued Djedi, première rencontre avec le « limes » romain. De place en place, des ruines ensablées, les vestiges d'une histoire inscrite sur le sable en matériaux indestructibles. Doua, telle une citadelle antique, domine un paysage de steppe salée.
Parfois, une ligne noire grandit et se précise on dirait un grand lac où des bateaux font voile. Et tout soudain s'évanouit: ce n'était qu'un mirage. Mais une force nous arrête, la puissance infinie de la solitude. On dit que le désert c'est la mort. Non, Dieu n'est pas absent. Il pose à l'horizon son grand pont sans nuage. Quand la nature se dépouille, l'homme s'enrichit, se retrouve, s'appartient. Ici, plus rien n'empêche le regard de se tourner vers le dedans : l'infini est en nous comme il est au dehors où les bruits menus et fins ont un langage nouveau. Une abeille est un avion. Nous avions pris pour une abeille le courrier d'Air-France qui nous rappelle que tout ce monde merveilleux, cette cure d'isolement et de complet dépaysement, ne sont qu'à cinq heures de Paris.
Mekhadma, Ourlal, Bigou, M'Lili, nous replacent dans le réel verdoyant, tandis que Castrum Gemellae retrace les fluctuations de l'empire de Rome.
Au sud-est de Biskra, la plus célèbre des oasis porte un nom prestigieux dans tout l'Islam : Sidi-Okba. Au centre de la grande mosquée, à l'abri d'une admirable porte de cèdre, le tombeau de ce conquérant missionnaire, construit voici plus de treize siècles, est un lieu de pèlerinage étonnant. Vainqueur au Fezzan et en Tripolitaine, fondateur de Kairouan, après une chevauchée triomphale à travers l'Algérie et le Maroc, Okba ben Naafi trouva la mort, alors qu'il regagnait la Tunisie, dans une embuscade machinée sous l'autorité de cette figure légendaire : la Kahena.
Une grande oasis est née autour du mausolée sacré. Ici pas de puits, pas de sources, rien que les eaux rares des Oueds de l'Aurès : mais le récent barrage de Foum-el-Gherza va donner un élan nouveau à ces jardins assoiffés. Au delà, vers l'horizon oriental, la piste conduit jusqu'aux immensités blondes où bondissent les gazelles dans un poudroiement de sable et de soleil. Au pied de l'Aurès retrouvé, les mirages émergent de lacs irréels pendant des lieues et des lieues jusqu'au sobre caravansérail de Zéribet-el-Oued inscrit dans la courbe de l'Oued El-Arab.
Par Badès et Liana, où les vestiges du limes romain réapparaissent, on accède au fantastique décor de Khanga Sidi-Nadji, sentinelle de l'Oued El-Arab torrent de palmiers dans une gorge, dantesque échelonnement de kasbah de pierres nues à l'assaut de la montagne fauve.
Droh, Chetma, Filiach, Sidi-Khelil, oasis les plus proches de Biskra semblables aux autres et pourtant si différentes. Ici de vieux moulins et de hautes demeures, là une forteresse abandonnée, plus loin des tours massives et crénelées ; domaine de l'éblouissement, charme surnaturel de ces marches sahariennes. Une route audacieuse accrochée au flanc de l'Aurès traverse un paysage lunaire et conduit à M'Chounèch, l'oasis sereine et majestueuse où le ruban fluide et rapide de l'Oued El-Abiod a creusé des gorges gigantesques. Après les greniers de Banyane, ça et là suspendus aux rochers hasardeux, voici le cœur magnifique et farouche de la montagne berbère : cèdres géants, forêts de genévriers, arbustes fleuris, coteaux fertiles, canyons tourmentés, sauvages sentiers où le rêve se perd.
A l'opposé, vers les horizons sans neige, la route s'enfonce dans les profondeurs du désert, vers la proche cité des sables, El-Oued, qui parsème ses coupoles dans la houle silencieuse du Grand Erg Oriental.
Pays aux incomparables richesses, aux possibilités sans cesse élargies, Biskra captait jadis « tous les vagabonds du luxe voyageur ». Un essor nouveau est promis à ces régions pré-sahariennes qui proposent aux amateurs de pittoresque durable, de couleur et de luminosité, l'itinéraire le plus court vers le soleil et le désert, le luxe et le confort des hôtels, les vertus d'eaux thermo-minérales et radio-actives.
Le savant, l'amoureux, le sportif, le chasseur, le dilettante, le peintre, le sculpteur, l'oisif trouveront, à Biskra et dans les Ziban, les thèmes singuliers les plus merveilleux dans leur commune découverte. Un charme nouveau longuement les suivra : leurs souvenirs et leurs rêves se fianceront désormais dans une féerie d'azur, d'immensité, d'harmonie. Les rythmes, les parfums, les contrastes auront versé dans le cœur de chacun la nostalgie vivifiante d'un pays qui enchante toujours.


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