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Airs d'antan
Des générations entières ont retenu ou siffloté ce couplet, furent bercées par son rythme lancinant. Il faut puiser dans le vieux fond, souvent en noir et blanc pour dénicher des images d'artistes entonnant des hymnes à la gloire de l'Aïd El Fitr ou d'autres fêtes religieuses. On ne trouve presque plus de semblables compositions célébrant la joie et les vertus de cette journée qui rassemble les familles et chasse les démons de la mésentente. Sur la scène musicale actuelle, hormis quelques artistes, à l'instar de Nacer Eddine Chaouli, Bourdib ou Amour Abdennour en kabyle, on se désintéresse d'un thème assimilé davantage aux tracas chez les citadins et surtout passé de mode. Le courant musical qui immortalisait le geste d'Abraham ou d'autres prophètes ne se renouvelle plus. Il s'agit souvent de reprises comme celle qu'entreprit Nouri Kouffi de l'immortel succès de Abdelkrim Dali. L'Aïd n'est plus attendu avec la même impatience et hormis les tenues des enfants, il s'est dépouillé de ses aspects joyeux. Les raisons et les circonstances pour se faire beau se sont diversifiées. Il y a dans un film de Sid-Ali Mazif, « Leïla et les autres », une scène savoureuse où le cimetière, un jour probablement de l'Aïd, devient le terrain des vieilles femmes, agences matrimoniales d'un autre âge. Elles aussi ont depuis modifié leurs méthodes et se sont adaptées à d'autres terrains de chasse.SymbolesChez les artistes de l'ancienne génération, les raisons de l'attachement à l'Aïd ne relèvent nullement de l'ordre du mystère. La valorisation des fêtes et des traditions musulmanes même en matière vestimentaire obéissait à une logique. Cette dernière sous-tend même le monde sportif où l'appellation de la majorité des clubs (Mouloudia) renvoyait à une date religieuse. Cette affirmation de nature identitaire était une façon de se distinguer de l'autre, le colon, et d'affirmer sa singularité. La Toussaint, Pâques ou Noël avaient chez les uns autant de valeur que l'Aïd ou El Mawlid chez les autres. Pour reprendre l'analyse de Fanon, « la société coloniale était basée sur la dichotomie de l'habitat, des m?urs ». C'est cela qui explique aussi le succès des films égyptiens qui déversèrent les images d'un Orient éternel et fantasmé. Evoquant ses années de jeunesse dans son livre, « Des noms et des lieux », Mostefa Lacheraf écrira, à juste titre, que cette forme de « résistance » culturelle d'intérêt esthétique pour le patrimoine algérien, n'était certainement pas moins noble que la résistance politique encore inorganisée mais dont l'avènement n'allait pas tarder (P. 267). L'Aïd était aussi un symbole. Il renvoie à une journée où le poids de l'absence du mari ou du fils est pesant. Cette vision est omniprésente chez les chanteurs de l'émigration. Dans son invocation de Sidi Aïch, Allaoua Zerrouki dépeint ainsi la solitude poignante de la femme abandonnée à son triste sort : « L'Aïd est arrivé un jeudi Son c?ur saigne Fadhma pleure avec ses enfants Douze d'ans d'affilée en France Allah Ya Rabi A la poste son nom s'est effacé... » Loin des siens en ce jour de fête, l'émigré ressentait l'amertume de la séparation et de l'éloignement. C'est sur le ton de la nostalgie que Guerrouabi et Meskoud évoquent les fêtes et les rites symboles d'un temps révolu et défiguré. « Il ne reste plus d'Aïd comme avant », pleure le second. Dans « El Bahdja », le premier revisite Alger illuminée par ses traditions dont le Ramadhan et l'Aïd. A l'heure de Skype et des portables, l'exil a changé de forme et de motivations. Chez beaucoup, il n'est plus vécu comme rupture mais comme délivrance. Les liens avec la terre d'origine se conservent et s'expriment différemment. L'Aïd est vécu davantage comme pratique sociale et référent identitaire mais se retrouve moins présent et moins visible dans la production artistique. Dans un contexte de rupture progressive avec l'humus de la culture nationale, et l'avènement d'une pratique religieuse qui renie et combat les aspects festifs des fêtes religieuses, l'Aïd comme El Mawlid inspirent moins. Il se dit moins en chansons qu'en... SMS.


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