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Abderrahim, 27 ans
«Je considère que j'ai deux dates de naissance.» Derrière ses yeux clairs et son sourire affable, Abderrahim refoule souffrances et angoisses. Il n'avait que 19 ans lorsqu'il a perdu l'usage de ses jambes. «C'était dans l'après-midi du 31 décembre 2006. Entre Laghouat et Ghardaïa», entame-t-il en fermant les yeux. Cet après-midi là, le jeune homme avait passé la journée avec ses amis, qui avaient organisé un barbecue. En rentrant chez eux, leur véhicule a fait une embardée. «Nous roulions vite, et, en plein virage, le sable a fait déraper la voiture. Je me suis réveillé une heure après, seul et à 11 mètres en dehors de l'habitacle», ajoute-t-il, sans se départir de son sourire, mais les yeux voilés.Et s'il ne sent rien, s'il n'arrive plus à bouger, il ne se doute pas de la gravité de ses blessures, mettant cette paralysie sur le compte d'un choc passager. Au fil des jours sans «amélioration», le jeune comprend que les choses étaient plus compliquées qu'il ne le pensait. Après plusieurs tentatives, il parvient à se faire admettre à l'hôpital de Tixeraïne. «Je pensais, naïvement, que je n'y passerai que quelques jours, voire quelques semaines. Que je ressortirai pour reprendre ma vie d'avant, remarcher, ressortir, reprendre mes études. Je demandais même aux autres patients depuis combien de temps ils étaient là», se rappelle-t-il avec émotion.Durant ces sept mois de rééducation, Abderrahim se rend à l'évidence : il ne retrouvera jamais l'usage de ses jambes. «J'étais dans le déni, dans la non-acceptation. D'autant plus qu'il n'y a aucune aide psychologique prodiguée, et qui pourrait aider à faire son deuil plus vite», déplore-t-il. Pour lui, la période d'acceptation de sa nouvelle vie prendra près d'un an, durant lequel il ne sort pas de chez lui. «Quand je suis sorti, ça a été une nouvelle vie, une nouvelle naissance. Imaginez, j'étais un jeune homme comme les autres. J'étudiais, passais mon bac, préparai mon avenir et la vie que j'avais devant moi, et j'avais une vie sociale pleine et trépignante. Et d'un coup, à cause d'une fraction de seconde, plus rien. Dire que ça a été dur est un euphémisme», souffle-t-il, sans pourtant se départir de son sourire chaleureux.Pour lui, c'est la fin, il est devenu «handicapé», dans un fauteuil roulant. Puis, un jour, sans s'expliquer le déclic, il sort, et affronte une société «impitoyable». A partir de là, le jeune homme décide de sortir de son hibernation.Il passe son permis de conduire, s'achète une voiture, suit une formation d'informatique, et tente de se reconstruire un avenir. En faisant fi de tous les obstacles dressés par l'environnement et par la société algérienne aux personnes ayant un problème de mobilité. «Je n'ai pas pu suivre une autre formation pour cause d'inaccessibilité. Idem pour de nombreux postes de travail que j'ai pu décrocher, mais que j'ai été contraint d'abandonner. J'ai donc fait le taxi clandestin pendant 3 ans, avant d'ouvrir un cybercafé», énumère-t-il. Puis, il ajoute à brûle-pourpoint : «Je ne me sens vraiment handicapé que lorsque je suis face à des escaliers, sans autre issue.» Car le manque d'accessibilité pour les personnes en fauteuil roulant est la chose qui les paralyse vraiment.Ce qui le freine, le bloque même, dans de nombreux domaines. «Dont celui de fonder une famille. C'est très compliqué, et le plus difficile sera de trouver une femme, qui voudra m'épouser pour moi-même, et non pas par pitié ou par défaut», souffle-t-il, en hochant les épaules, une ombre assombrissant son visage. «Mais bien sûr, je ne montre pas que cela m'affecte. Mais c'est la nuit, quand je suis allongé dans mon lit, dans le noir, que tout remonte. Et ça tue.»D'ailleurs, son sourire indélébile et sa bonne humeur communicative, Abderrahim les a payés cher. «J'ai développé un diabète, parce que justement je laissais tout enfoui en moi, courageux que je fais semblant d'être», dit-il dans un éclat de rire.


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