Algérie - Revue de Presse

Abane Ramdane et la Stratégie militaire de la Guerre de Libération Nationale


«La rapidité de l?attaque et de la retraite empêche la riposte de l?ennemi»: telle était le devise qui résumait la stratégie de l?ALN et qui lui avait permis d?étendre son emprise sur le tout le territoire entre novembre 1954 et début 1957.

 
Bien que les forces d?occupation fussent passées dans la même période de 55.000 à 361.000 hommes sur la même période, elles n?avaient pas réussi à arrêter la progression de l?ALN, et les pertes qui lui étaient infligées par l?ennemi -en dépit de la croissance formidable de ses effectifs, de sa puissance de feu et de la densité de son implantation sur le territoire national- étaient acceptables. La population algérienne, de plus en plus mobilisée contre l?occupant, offrait suffisamment de volontaires non seulement pour remplacer les jounouds morts au combat mais également, pour accroître les effectifs de l?ALN. L?approvisionnement en armement, en munitions et en uniformes en provenance du Maroc comme de la Tunisie était suffisant pour maintenir et renforcer la capacité de combat de l?ALN.

Cette stratégie, fondée sur des petites unités dont les effectifs dépassaient rarement les 50 jounouds, unités extrêmement mobiles et difficiles à repérer, empêchait l?ennemi d?utiliser de manière efficace sa puissance de feu et ses effectifs.

La forme de guerre adoptée par l?ALN était dictée par le bon sens; la position géographique de l?Algérie, l?absence de frontières avec une puissance alliée et suffisamment riche pour dispenser l?aide nécessaire à une forme de guerre plus intense, la proximité du territoire national de l?adversaire, pays industrialisé, ayant des ressources humaines et matérielles de loin supérieures à celles que pouvait prendre en charge la population algérienne, alors pauvre et dont la majorité arrivait à peine à subvenir à ses besoins de base, les conditions climatiques et de relief du pays, faisaient de cette forme de guerre la seule soutenable sur la longueur de temps nécessaire pour forcer l?adversaire à accepter une solution politique.

Cette guerre avait l?avantage de maintenir intacte la mobilisation populaire, car les sacrifices qui lui étaient demandés en termes humains, financiers et matériels, était acceptable. Certes la répression avait atteint un niveau d?inhumanité qui n?a pas encore été suffisamment décrit dans ses détails les plus barbares. Mais c?était là un coût accepté de la guerre de guérilla dans laquelle la population civile est le maillon faible sur lequel l?ennemi s?acharne, faute de pouvoir détruire le noyau fort de la résistance armée.

C?était également, pour l?adversaire, une forme de guerre incompréhensible, car ses règles changeaient avec les circonstances spécifiques à telle ou telle région, telle ou telle localisation des affrontements.

Donc, l?adversaire n?était jamais à l?abri de surprises qui pouvaient mettre à bas ses opérations les mieux préparées et les mieux appuyées sur des renseignements fiables. C?était pour lui une guerre coûteuse, car elle le forçait à multiplier les points fixes de surveillance, à maintenir une vigilance constante, à multiplier les opérations de recherche avec un faible espoir d?accrocher et de détruire les groupes de l?ALN, mobiles et flexibles, aisément pris en charge par la population, faciles à nourrir, à alimenter en armes et munitions et à soigner.

Le fait même que l?adversaire avait multiplié par 6 ses effectifs en 28 mois prouvait que la stratégie de l?ALN avait réussi: on n?accroit pas ses effectifs et ses moyens militaires si on a pris la haute main sur son ennemi !

La doctrine de Abane Ramdane sur la guerre révolutionnaire, doctrine incluse dans le document de la Soumman, changea du tout au tout, cette stratégie et mit l?ALN sur la voie de la destruction. Abane Ramdane avait imposé une analyse erronée de l?état d?évolution de la situation militaire. Il avait conçu cette doctrine, non sur la base de son expérience militaire, acquise pendant la Seconde Guerre mondiale, ni en tirant les leçons du terrain de la guerre de Libération, mais sur la base d?une lecture tronquée des oeuvres militaires de Mao Tsé-Toung, lecture qu?il n?avait pas complétée par la consultation du petit ouvrage en 13 chapitres sur l?art de la guerre, écrit au 6ième siècle avant Jésus Christ- du maître à penser de Mao, le général Sun Tze. Il est bon de citer celui-ci pour donner une idée de la gravité de l?erreur de Abane Ramdane, qui devait aboutir à des conséquences dramatiques sur le terrain, que seul le courage des jounouds de l?intérieur et la mobilisation de la population autour du thème de la Libération nationale ont permis de dépasser:

«Ainsi, est-il dit, si tu connais tes ennemis et tu te connais toi-même, tu combattras sans danger; si tu ne connais seulement que toi-même, mais non ton adversaire, tu te mettras en danger constant; si tu ne connais ni toi-même, ni ton ennemi, tu seras toujours en danger... Cent victoires ne font pas le meilleur général. S?emparer de l?ennemi sans combat est le critère du bon général.» Apparemment, Abane Ramdane, qui domina les discussions entre les 16 membres directeurs du Congrès de la Soumman (20 Août- 10 septembre 1956) et fut le rédacteur principal du document final, réussit à imposer sa vision erronée à tous ses collègues. Seule l?expérience du terrain devait prouver que l?ALN n?était pas prête à passer à la guerre régulière totale.

Les pertes terribles subies par l?ALN en 1957, après que les thèses militaires de Abane Ramdane aient été mises en oeuvre sur tout le territoire national, allaient prouver la gravité de son erreur, dont la conséquence immédiate aurait pu être la liquidation physique du mouvement armé par l?adversaire, dès 1957.

La vision militaire de l?ennemi avait été rendue plus claire par la transformation des petites unités de l?ALN en unités du type adopté par les armées classiques; l?armée ennemie pouvait enfin appliquer toute sa puissance stratégique pour écraser, avec le maximum d?économie et le minimum de pertes, un adversaire qui enfin se montrait au grand jour, du fait même de sa nouvelle stratégie. Donc, d?une certaine façon l?analyse militaire de Abane Ramdane allait dans le sens des intérêts de l?ennemi, qui ne tarda guère à saisir l?initiative, vu qu?il avait déjà sur place les moyens nécessaires pour infliger des pertes irrémédiables à l?ALN. Le bon sens des commandants de l?intérieur, qui saisirent rapidement, et du fait des évènements, l?ampleur de l?erreur stratégique de Abane Ramdane, en revinrent à une stratégie militaire plus adaptée aux circonstances dans lesquelles ils se battaient.

Joignant l?insulte aux coups, suivant l?expression, Abane Ramdane voulut faire porter le chapeau des pertes cruelles et insensées subies par l?ALN durant toute l?année 1957, à ses collègues de l?extérieur, en leur reprochant de ne pas approvisionner en armes suffisantes en qualité et en quantité l?armée de l?intérieur; il inversait ainsi le problème en voulant faire passer la thèse suivant laquelle on établit, sur la base d?une analyse livresque et irréaliste de la guerre, une stratégie sans se demander si on a les moyens de la mettre en application, puis on demande des comptes à ceux qui n?ont été pour rien dans sa conception et n?ont fait que la mettre en oeuvre pour éviter que tout le texte de la Soumman ne soit vidé de tout contenu s?ils avaient refusé à en faire appliquer la partie centrale, c?est-à-dire la stratégie militaire.

La réalité du terrain devait rapidement prouver que la stratégie militaire imposée par Abane Ramdane ne pouvait déboucher que sur la décimation de l?ALN. L?installation par l?ennemi d?un barrage électrifié et fortifié aux frontières de l?Est et de l?Ouest, à partir de février 1957, ne fit que rendre encore plus évident le caractère mortel de cette stratégie. La mise en oeuvre de cette stratégie à travers toutes les wilayas du pays dans les premiers mois de 1957 aboutit à l?accroissement des pertes humaines et matérielles au sein de l?ALN.

Une illustration des effets de cette stratégie peut être donnée par les évènements qui se déroulèrent dans la zone II, wilaya V, après la mise en oeuvre de cette stratégie.

 

 La vision militaire de l?ennemi avait été rendue plus claire
par la transformation des petites unités de l?ALN
en unités du type adopté par les armées classiques.

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