Algérie - A la une



A fonds perdus
ammarbelhimer@hotmail.frLes filiations de l'Islam politique local avec le wahhabisme sont matière à controverses. La revue Shihab (Le Météore), porte-parole du réformisme algérien (1925-1939), qualifie Ibn Saoud de «roi de l'Islam» en 1935, tandis que deux animateurs de ce mouvement (Tayeb Okbi et Moubarak El Mili) ont «de réelles sympathies pour le wahhabisme». Hamadi Redissi, l'auteur de l'ouvrage Le Pacte de Najd(*) tempère ce jugement sur Okbi qui «après avoir passé une partie de sa jeunesse à Médine, s'installe en 1920 à Biskra pour diffuser une version modérée du wahhabisme. Il adhère, en 1925, à l'équipe de Ibn Badis, mais se disculpe de professer les doctrines du pur wahhabisme».Le dernier mot sur la relation entre le réformisme religieux algérien et le wahhabisme revient à son président Abdelhamid Ibn Badis qui écrit en mars 1935 : «Si les nadjdiens, les wahhabites, se réclament du cheikh Ibn Abd al-Wahhab parce qu'il fut le premier réformateur de leur pays, nous ne nous réclamons point de lui parce que nous n'avons pas été ses disciples ; nous n'avons pas pratiqué son œuvre. Notre respect pour la vérité et pour nous-mêmes nous interdit de nier ce qui nous lie à quoi que ce soit, ou de nous réclamer faussement de quelqu'un». La messe est – nous ne serons jamais ses disciples – et le propos est prémonitoire : lorsque l'Algérie découvrira le wahhabisme au début des années 1990, c'est pour sombrer dans ses ténèbres. Depuis, elle a intérêt à surveiller ses ramifications locales comme le lait sur le feu. Grâce à la rente pétrolière et à l'islam comme ressource symbolique, l'Arabie saoudite s'est constitué un vaste réseau de clientèle dans le monde arabe et islamique. Elle n'a jamais cessé de mobiliser et d'élargir ce réseau pour endiguer la vague socialiste et nationaliste qui a traversé le monde arabe dans la deuxième moitié du XXe siècle. Le nationalisme arabe a été stigmatisé comme une politique importée et exogène contraire aux principes mêmes de l'islam alors que le socialisme, même dit «spécifique», était présenté comme un mouvement antireligieux. Depuis, la pression wahhabite n'a jamais cessé de secouer le monde arabe. A ce titre, nombre de questions actuelles méritent d'être posées : que réserve l'avenir au wahhabisme ' Quel est son mode de reproduction ' Quelle est sa capacité à continuer de déteindre sur nous, à nous défigurer 'Ces questions revêtent une importance cruciale pour les sociétés qui subissent son hégémonisme.On sait, pour reprendre une récente étude de David Rigoulet-Roze(**), que le système wahhabite obéit à «une logique utérine de la descendance polygame et donc prolifique du souverain fondateur». Parce qu'il n'a pas été un Etat-nation, les clans qui lui servent d'institutions ont pour origine une ascendance bédouine qui transcende souvent les frontières des Etats constitués.Depuis Ibn Saoud, la transmission du pouvoir se fait de façon horizontale entre les fils du fondateur selon l'âge et aussi selon l'ordre hiérarchique de leur maison (place de la mère). Un modèle jugé «dysfonctionnel dans la mesure où accèdent désormais au trène des vieillards plus ou moins bien portants – quand ils y arrivent !». Ce sont ces vieillards qui aspirent à décider de l'avenir de nos enfants.L'année en cours a vu se produire «plusieurs changements de position de personnes réputées d'importance majeure» entre les clans.Le roi Abdallah, nonagénaire grabataire se déplaçant aujourd'hui en chaise roulante avec un appareil d'assistance respiratoire, est dit depuis longtemps malade et serait même en phase terminale. Dans la perspective de sa disparition prochaine, jugée imminente, on voit s'aiguiser les appétits divers de près de 200 grands princes, le plus souvent oisifs, de la deuxième génération. D'où d'incessantes manœuvres de sérail obéissant à des logiques souvent obscures, car étrangères à tous les systèmes politiques connus dans le monde. Comme le relève David Rigoulet-Roze, le critère pour accéder au trène demeure toujours aussi obscur : «il pourrait tout aussi bien relever de charaf (“honneur” ) que de ilm (“science”), ou encore de hasad (“mérite”), voire de barakah (“protection” ou “bénédiction”)».Dans ces manœuvres de succession, un événement n'est pas passé inaperçu pour les observateurs avertis de la scène wahhabite : la désignation par décret royal, le 27 mars 2014, du prince Mouqrin bin Abdulaziz Ibn Saoud, un demi-frère ou «frère consanguin» – c'est-à-dire né du même père mais «d'une mère différente» –, de l'actuel roi Abdallah b. Abdulaziz Ibn Saoud, en tant que Vice-prince héritier (VPH) du wali al haad («Prince héritier» en titre). A 68 ans, il est aujourd'hui le plus jeune des fils encore vivants du roi fondateur. Selon ledit décret royal, le prince Mouqrin serait proclamé roi «en cas de vacance simultanée aux postes de PH et de roi». Le décret précise encore que la décision royale est «irrévocable et ne peut en aucune manière être modifiée ou remaniée ou interprétée par quiconque».On retrouve dans les profils de la succession la main de l'ancienne (et toujours) puissance protectrice britannique : «Ancien pilote de F-15 formé au Royaume-Uni, brièvement chef des services de renseignement (entre 2005 et 2012), il a été gouverneur des provinces de Hail et de Médine». A ce titre, il disposerait de «toutes les qualifications communément requises pour devenir un futur roi», mais son lignage serait problématique : «sa mère Baraka, d'origine yéménite, aurait été au pire une esclave, au mieux une simple concubine, et non l'une de la vingtaine d'épouses “légitimes” du roi Ibn Saoud ».Autre événement de taille en vue de cette succession : le retrait officialisé le 15 avril 2014 par décret du roi Abdallah, du neveu de ce dernier, à savoir le prince Bandar bin Sultan bin Abdulaziz Ibn Saoud (65 ans), du poste très sensible de chef d'Al Mukhabarat Al A'amah, plus connu sous l'acronyme anglo-saxon General Intelligence Directorate/GID (soit les services secrets saoudiens). Ce poste a un caractère stratégique aussi bien en termes de sécurité «nationale» qu'en termes d'avantages financiers générés par les «rétro-commissions inhérentes à la signature régulière de méga-contrats d'armements». «A l'image du fameux et sulfureux contrat al-Yamamah (“La Colombe” en arabe) signé en 1985 et qui a défrayé la chronique en 2007 avec des révélations sur les colossales rétro-commissions de plusieurs centaines de millions de dollars dont le prince Bandar avait été partie prenante» en sa qualité de premier patron des services.Le prince Bandar ne pourra vraisemblablement jamais prétendre au trène du fait d'un pedigree jugé rédhibitoire par ses demi-frères ou «frères consanguins» c'est-à-dire Akh minal ab («nés de mère différente») : «Il est en effet le fils d'une certaine Khirazan, une esclave noire de 16 ans, d'origine soudanaise, dite Umm Bandar – littéralement “mère de”, avec laquelle le Prince Sultan avait entretenu une liaison aussi passagère que passionnée», nous apprend encore David Rigoulet-Roze.A propos de ce qu'il appelle «l'islamisme violent dans le monde musulman», le philosophe français Regis Debray pronostiquait samedi dernier dans le quotidien Le Figaro : «Ce cancer ne sera extirpé que par les musulmans eux-mêmes, comme les chrétiens ont jadis aboli eux-mêmes leur tribunal de l'Inquisition et ont renoncé eux-mêmes à qualifier les Juifs de “peuple déicide”. Nous pouvons aider épisodiquement les nations musulmanes à combattre l'intolérance et le fanatisme religieux, mais, à la fin, ce sont elles qui feront ou ne feront pas leur Réforme chez elles». Cette Réforme se fera nécessairement contre le wahhabisme.A. B.(*) Hamadi Redissi, Le Pacte de Nadjd, Le Seuil, Paris, septembre 2007, 343 pages. L'auteur traite l'influence du wahhabisme sur l'Algérie en pages 190-193.(**) David Rigoulet-Roze, Arabie saoudite : la question de la succession et l'équilibre interne et externe du royaume, Fondation pour la recherche stratégique, Note n°12/2014, 2 juillet 2014.


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