«Sa mise en 'uvre devient très problématique»

Pour le professeur Fouad Bouguetta, maître de conférences, chercheur et doyen de la faculté des sciences humaines et sociales de l'université Badji Mokhtar d'Annaba, ce n'est pas tant le système LMD qui pose problème, mais sa mise en ?uvre en Algérie vu un manque criant de compétences.- LMD doit rimer avec «clusters», pôles de compétitivité, ce maillon fort des économies mondialisées. Comment, selon vous qui êtes diplômé d'universités anglo-saxonnes, s'est construit le lien entre les deux concepts 'Dans sa préface à l'ouvrage de Mary Douglas How Institutions Think, Georges Balandier affirme que les sociétés actuelles «sont porteuses de changements multiples, intensifs, cumulés» et dont les effets à long terme sont peu prévisibles. Ce mouvement ébranle nos certitudes et s'accompagne «d'une sorte de chantier de déconstruction où la hiérarchie des connaissances et des valeurs, les systèmes de signification, les paradigmes et les modèles sont mis en pièces». «Dans ces décombres, nous dira le philosophe Jean François Lyotard, il n'y aurait plus à saisir une logique d'ensemble, mais des ??micro-logies''? Le mouvant et le désordre font que la vérité n'est plus une ni indivisible».Depuis une trentaine d'années, philosophes, épistémologues, sociologues, anthropologues, économistes, politologues et autres penseurs en sciences sociales essaient de nous décrire toute la complexité de ce nouveau monde dont l'économie est basée sur la connaissance. Les pays européens réalisent alors l'urgence de revoir leurs systèmes d'enseignement supérieur pour rester compétitifs dans ce nouveau monde. En février 1998, la commission Attali présente un rapport intitulé «Pour un modèle européen d'enseignement supérieur» qui sera à l'origine de la Déclaration de la Sorbonne des ministres de l'Enseignement supérieur en Allemagne, en France, en Italie et au Royaume-Uni.Cette Déclaration va amorcer le processus de Bologne qui va produire ce qui est aujourd'hui communément appelé le système LMD. Cette réforme touchera les pays maghrébins, ainsi que d'autres pays africains. La réforme LMD a pour objectif l'adaptation de l'enseignement supérieur aux exigences de l'économie de la connaissance. Le système doit désormais produire de nouvelles compétences : esprit critique et analytique, créativité, autonomie, responsabilité, esprit d'entreprise?Pour ce faire, le système doit revoir sa gouvernance pour devenir une organisation participante, apprenante et communicante ; ses formations pour répondre à des besoins réels ; ses méthodes d'enseignement en adoptant des méthodes actives et en utilisant au mieux les TIC? Partant d'une philosophie qui considère qu'il y a des savoirs et non pas un savoir, que chaque individu est différent des autres et que tout change en permanence, le système LMD est construit avec une architecture à trois niveaux (licence, master et doctorat) et prévoit des socles communs, des passerelles, des crédits capitalisables et transférables afin que chacun puisse adapter sa formation à des situations différentes en construisant tout au long de sa vie un parcours personnalisé.- Dans une économie rentière comme la nôtre, dans un pays qui figure toujours dans le «Top 10» des pires élèves en matière d'innovation (133e place sur 143 pays), l'option pour un tel système n'y est-elle pas un autre non-sens 'Le LMD est un système très complexe. Cette complexité est telle qu'un véritable partenariat basé sur des relations contractuelles entre les différentes parties prenantes (responsables, enseignants, étudiants) doit s'établir. Au centre de ce partenariat est l'enseignant, dont le savoir-agir devient de plus en plus compliqué. Ce savoir-agir est fait des savoirs techniques de la matière enseignée, des savoir-faire liés aux modes de transmission d'un savoir dans un contexte donné, des savoir-faire-faire qui amènent les étudiants à apprendre par eux-mêmes et des savoir-être qui reflètent la capacité d'adaptation à des situations ou des individus différents. Comme chacun peut le voir, le système LMD est d'une complexité inouïe et beaucoup d'intelligence a été investie dans sa conception.Mais, transposé dans le contexte algérien qui est différent de celui où il a été conçu, sa mise en ?uvre devient très problématique : les compétences requises des différentes parties prenantes font cruellement défaut, les modes de coordination entre elles posent problème, la culture collaborative absolument nécessaire au bon fonctionnement du système est inexistante, la contractualisation est un procédé qui est refusé et par-dessus tout, cette culture rentière fait que personne ne ressent l'urgence de maîtriser le système pour nous arrimer au nouveau monde. D'où le non-sens avéré dont vous parlez.