Algérie - A la une

"Le désir de vivre quitte à en mourir"





L'auteur du livre HarragasKamel Boudjadi est journaliste à L'Expression. Il est chef de bureau à Tizi Ouzou. En plus de ses articles sur l'actualité régionale dont il rapporte les faits saillants et courants, il s'intéresse aussi à la politique nationale. Dans cet entretien relatif à son livre intitulé Harragas, quelques raisons de partir, Boudjadi présente le phénomène et laisse les jeunes parler d'eux-mêmes.L'Expression: Votre livre intitulé Harragas, quelques raisons de partir, paru en 2011, est aujourd'hui plus que jamais d'actualité avec le récent drame qui a secoué les pays riverains de la «Mare Nostrum» et le monde entier. Pourquoi un sujet pareil vous a-t-il motivé'Kamel Boudjadi: En effet, le livre est plus que jamais d'actualité. Ça ne peut pas être autrement tant que le problème n'est pas pris en charge de façon concrète.Au juste, ce n'est pas le phénomène de l'émigration clandestine, qu'on appelle communément, dans la rive sud de la Méditerranée «harga», qui m'a inspiré. C'est plutôt les jeunes candidats. Leur façon de voir la vie, leur posture devant l'implacable horizon bouché.D'ailleurs, avant le roman, j'ai fait beaucoup de reportages sur le phénomène. J'ai beaucoup côtoyé ces jeunes. En fait, j'ai beaucoup parlé d'eux et le passage au roman est une façon de me taire un peu pour les laisser parler.Le phénomène de la harga n'a pas cessé de prendre de l'ampleur depuis 2011 à nos jours. Est-ce une forme d'expression ou de rébellion'C'est vrai. Le phénomène a pris de l'ampleur. Je vois deux raisons à cela. D'abord, au début, on ne l'a pas pris au sérieux. Puis, ce fut le mépris avant de tomber dans les solutions inadéquates par la force. Devant la peur de l'horizon bouché, les jeunes n'ont trouvé que les portes ouvertes des prisons. Ça ne peut pas être une solution.La deuxième raison est, peut-être, le dialogue de sourds qui règne entre les pays de la rive sud et ceux de la rive nord de la Méditerranée. Alors que dans les pays du Sud, toutes les conditions sont réunies pour pousser les jeunes à partir, le Nord, lui, donne de lui, l'image, chimérique d'ailleurs, d'être l'eldorado.Entre-temps, les gouvernants des pays du Sud ne cherchent guère à ouvrir les horizons aux jeunes et ceux d'en face n'ont aucunement la volonté de les accueillir.Ça peut être les deux à la fois, mais moi, personnellement, je crois que c'est une forme d'espoir d'avoir une vie meilleure. Comme je vous le disais, si vraiment il y avait volonté dans le Nord comme dans le Sud, le phénomène n'en serait pas là aujourd'hui. Les jeunes cherchent à s'ouvrir des horizons, même en forçant le destin.La «harga» est une manière de forcer le destin, en affrontant les dangers de la mer et en laissant derrière eux leurs pays respectifs à ceux qui en font une propriété privée. Puis, pour revenir un peu en arrière, ça peut être à la fois une forme de rébellion contre les tabous de tout ordre, contre les gouvernants, les parents, les atavismes, les traditions et de l'hypocrisie régnante surtout. En gros, c'est une rébellion exprimée à leur manière.Aujourd'hui, le phénomène de l'émigration clandestine est exploité par différentes parties au Nord comme au Sud.La solution ne peut venir que des pays du Sud, là où le jeune a hérité de pays invivables. Les gouvernants n'ont pas réussi à représenter l'alternative à la colonisation.Ceux du Nord, par contre, doivent considérer ces jeunes avec un peu plus d'humilité car, les racines du mal remontent à la colonisation de l'Afrique.Le discours actuel qui met en avant le travail humanitaire des ONG n'est qu'une hypocrisie pour se voiler la face de peur de parler de leurs responsabilités.Le mouvement des personnes a toujours été dense entre la rive sud et la rive nord.La fermeture des frontières semble faire oublier que l'Afrique a toujours ouvert son coeur comme ses bras et n'a jamais revendiqué, à elle seule, ses richesses. C'est, à mon avis, à partir de là que le dialogue Nord-Sud doit commencer pour trouver les vraies solutions à un problème commun.Qu'est-ce que ce drame vous inspire'Dans le présent, le phénomène me révolte. Mais, en fait, en observant les jeunes, j'ai constaté en eux, une force inouïe. Le désir de vivre, quitte à en mourir. Ça renforce aussi ma conviction que les rapports de force entre le Nord et le Sud devraient être rééquilibrés. Lampedusa n'est plus une province de l'Empire romain.


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